Avoir un mot «sur le bout de la langue»: ce que la science en dit

Le sentiment d’avoir un mot «sur le bout de la langue» lorsque vous n’arrivez pas à vous en souvenir est peut-être plus révélateur d’une bonne mémoire que d’une mauvaise.

Avoir un mot «sur le bout de la langue»: ce que la science en dit.Anatoliy Karlyuk/Shutterstock
Quel est le nom du bébé lion dans le film de Disney Le Roi Lion? Si vous avez la certitude de le savoir et que vous êtes sur le point de le dire, mais que vous ne pouvez pas vous en souvenir, alors vous éprouvez ce sentiment familier d’avoir le mot «sur le bout de la langue».

Cela arrive lorsque vous êtes seul ou en groupe. Par exemple, des amis qui ont vu le même film peuvent éprouver simultanément le sentiment d’avoir le nom de l’actrice principale sur le bout de leur langue. Comme il nous arrive parfois de bâiller en voyant quelqu’un bâiller, on a parfois l’impression de ressentir un mot sur le bout de notre langue quand une personne près de nous en ressent un.

Avoir un mot sur le bout de la langue, est-ce contagieux?

Étonnamment, les aspects sociaux du phénomène du mot sur le bout de la langue ont été peu étudiés. Une étude récente réalisée au Laboratoire de recherche en santé cognitive de l’université Laurentienne, à Sudbury, a révélé que le sentiment d’avoir un mot sur le bout de la langue est plus susceptible de se produire lorsqu’on tente de se souvenir de quelque chose en groupe plutôt que seul.

(Si vous avez une panne de mémoire, servez-vous de ces phrases magiques pour vous sauver de l’embarras!)

«Oh! Attends, attends, je le sais, mais…»

À première vue, un sentiment de mot sur le bout de la langue reflète une défaillance de la mémoire, une sorte de panne qui se produit lors de la recherche d’un souvenir. Mais si vous avez la certitude de le savoir, c’est que le mot recherché est là, tout près, disponible dans votre tête… C’est pourquoi certains chercheurs affirment qu’avoir un mot sur le bout de la langue reflète une bonne mémoire, et non pas une mauvaise.

En effet, la recherche a montré que lorsque des personnes luttent avec un mot sur le bout de leur langue, elles sont habiles pour identifier correctement la première lettre du mot, pour estimer le nombre de syllabes qu’il contient, ou encore pour repérer des mots dont le sens ou la sonorité est semblable.

Des indices pour éclairer une supposition

Selon une théorie dominante, au cœur d’un sentiment de mot sur le bout de la langue, se trouve une supposition, une inférence sur la probabilité, que le mot recherché se trouve dans votre mémoire. Et pour éclairer votre supposition, comme les enquêteurs sur les scènes de crimes, vous vous fiez à des indices.

Parmi ces indices figurent des informations reliées au mot insaisissable, par exemple, dans le cas du bébé lion: sa meilleure amie et future épouse se nomme Nala; sa chanson enfantine était Je voudrais déjà être roi. Plus d’indices alimentent la supposition que le mot se trouve en mémoire, plus le mot semble sur le point d’être rappelé, déclenchant un sentiment de mot sur le bout de la langue.

(Vous souvenez-vous des jeux de mots les plus populaires de votre enfance?)

Un sentiment «socialement partagé»

En laboratoire, on tente de produire des sentiments de mot sur le bout de la langue en posant des questions de connaissances générales, ou encore en donnant des définitions de mots rares. Mais depuis 1966, toutes les études ont impliqué des individus tentant de se souvenir seuls. Selon un sondage réalisé sur le campus de l’université Laurentienne, 96% des gens ont été témoins d’au moins une occasion, au cours des six derniers mois, où deux personnes ou plus dans un groupe ont ressenti un sentiment de mot sur le bout de la langue.

Dans notre étude récemment publiée, «Socially Shared Feelings of Imminent Recall: More Tip-of-the-Tongue States Are Experienced in Small Groups», mon équipe de recherche a présenté à des groupes de quatre personnes 80 questions de connaissances générales (par exemple: «Quelle planète est la plus près du soleil?»). Les participants pouvaient partager des indices avec les autres, mais ne pouvaient ni divulguer la bonne réponse, ni avouer avoir le mot sur le bout de la langue. Chaque participant remplissait séparément sa propre feuille de réponse, choisissant l’une des options suivantes:

  • Je le sais, voici la réponse;
  • Je ne le sais pas; ou
  • J’ai le mot sur le bout de la langue.

Nous avons présenté la même série de 80 questions à des personnes seules. Fait remarquable, chaque membre de groupe a déclaré avoir le mot sur le bout de la langue six fois en moyenne, contre deux fois à peine chez les personnes se souvenant seuls. Comment expliquer un tel phénomène?

Contagion sociale ou supposition éclairée?

Quand on éprouve un sentiment d’avoir le mot sur le bout de la langue en compagnie d’une autre personne qui en fait aussi l’expérience, on a parfois l’impression d’avoir «attrapé» le mot sur le bout de la langue, comme si ce sentiment était contagieux. Cette contagion sociale peut survenir, par exemple, en entendant quelqu’un dire «Oh! Attendez, je le sais, mais…» ou encore «Quel était le nom de ce film?»

Cependant, il existe une autre explication pour l’émergence de mots sur le bout de la langue en groupe. Quatre têtes valent mieux qu’une! À partir de ce constat, il est possible que les participants supposent qu’il est plus facile de se souvenir de la bonne réponse en groupe que seul. Une telle supposition que le mot est disponible dans l’une ou l’autre mémoire autour de nous peut déclencher un sentiment de mot sur le bout de la langue chez une (ou plusieurs) personne(s) dans le groupe. (En tout cas, pensez à utiliser ces mots pour vivre mieux et plus longtemps!)

Un examen attentif de nos résultats est révélateur. La démonstration la plus directe d’une contagion sociale est obtenue quand deux personnes ou plus dans un groupe déclarent avoir le mot sur le bout de la langue, en encore à la suite d’échanges de paroles. Pourtant, après avoir retiré toutes les déclarations de mots sur le bout de la langue communes à deux personnes ou plus, de même que celles faites à la suite de paroles prononcés (45% de toutes les déclarations), il y avait encore davantage de mots sur le bout de la langue ressentis par chaque membre de groupe que chez les individus se souvenant seuls.

Par conséquent, même si la contagion sociale est une explication plausible, il semble qu’une meilleure explication soit la supposition que le mot est là, tout près, disponible dans l’une ou l’autre des mémoires des membres du groupe («Si je ne m’en souviens pas, les autres vont s’en souvenir!»).

Avoir un mot sur le bout de la langue est un sentiment personnel, mais nous commençons à en comprendre la dynamique sociale. Les deux causes possibles des mots sur le bout de la langue socialement partagés – la contagion sociale et la supposition que plusieurs têtes valent mieux qu’une – font présentement l’objet de recherches complémentaires.

Et soit dit en passant, le bébé lion s’appelle Simba.La Conversation

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Luc Rousseau, PhD, professeur agrégé de psychologie et chercheur au Laboratoire de recherche en santé cognitive, Laurentian University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.