De nos archives: Perdu dans la tempête

George Westcott était parti à la chasse au cerf. Il n’avait jamais imaginé devoir se battre contre une force bien plus grande: la nature. Déterminé à survivre, Wescott a fait preuve d’une force admirable. Redécouvrez ce témoigne tiré du magazine Sélection de février 1985.

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Avant le tempête de neige, seuls quelques flocons tombaient.
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Premier jour: 15 novembre 1982, 8h

Quelques rares flocons de neige poudrent le chemin forestier, à 16 kilomètres à l’est du lac Moosehead, dans l’Etat du Maine. Six hommes se disposent à chasser le cerf. Après avoir vérifié leurs boussoles et synchronisé leurs montres, ils conviennent de se retrouver là, à midi, près des voitures. Celui qui arrivera le premier fera retentir le puissant avertisseur de la camionnette de Westcott.

Restaurateur à Swansea, dans le Massachusetts, George Westcott vient depuis dix-huit ans, chaque saison, chasser dans la région. La cinquantaine, grand, robuste, c’est un homme calme, minutieux, qui connaît la forêt et ne court jamais de risques inutiles. Pour sa part, il va prendre la direction du sud. Graduellement, le vent et la neige augmentent d’intensité. D’un coup d’œil à sa boussole, George vérifie qu’il ne dévie pas. Sur ce point, pas d’inquiétude; par contre, ses mains et ses pieds sont glacés et commencent à lui faire mal. À 10h30, il décide de faire demi-tour. Gêné par le vent, toujours plus fort, il appuie vers l’est, car il compte trouver le Mink Brook, un torrent qui le ramènerait vers le chemin forestier.

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D'un coup, la tempête de neige arrive et surprend Westcott.
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La nature s’active

Mais la tempête se déchaîne d’un seul coup: les arbres les plus frêles se couchent jusqu’à terre, les plus forts craquent et grincent. Bientôt, George n’y voit plus rien: tout est noyé dans un brouillard blanc et aveuglant. «L’essentiel est de rester calme et de garder les idées claires», pense-t-il.

À midi, il a beau tendre l’oreille, il n’entend pas le moindre coup d’avertisseur. En fait, le vacarme de la bourrasque couvre tout. Il finit par arriver devant un ruisseau tumultueux et, ne doutant pas qu’il s’agit du Mink Brook, commence à en longer la rive. Il a cependant du mal à reconnaître le terrain, maintenant recouvert par 30 centimètres de neige, et gravit un petit talus dominant le cours d’eau pour observer les environs. À sa stupeur, il aperçoit au loin une silhouette caractéristique: le mont Eléphant. Pas de doute, il s’est trompé de torrent; il est a des kilomètres au nord et quelque part à l’est du point de rendez-vous. Il décide donc de se diriger d’abord vers l’ouest.
Le voilà engagé le long d’une crête jonchée d’arbres abattus.

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Après la tempête, Westcott sait qu'il va devoir passer la nuit dehors.
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Westcott sait qu’il va devoir passer la nuit dehors

Des heures plus tard, il débouche sur une trouée coupant net à travers les cèdres et les sapins. Au bout, un lac lui barre le chemin. Il va falloir le contourner. Mais la berge est très marécageuse; il ne pourra pas en venir à bout avant la nuit. Or il est déjà 15h30. «Mieux vaut trouver un abri et allumer un feu», se dit-il. Sur ce, il s’enfonce jusqu’aux genoux dans un trou d’eau dissimulé par la neige. Avec peine, il parvient à se sortir de cette vase glaciale.

Les jambes de son pantalon, gorgées d’eau, gèlent aussitôt. Grelottant, il finit par trouver un abri dans un bosquet de cèdres rouges. «Du calme, surtout ne nous affolons pas», se répète-t-il. Il coupe des branches d’épinette pour s’en faire un lit, amasse des brindilles sèches et de l’écorce de bouleau pour allumer un feu. Entre-temps, la tempête redouble de violence et Westcott tente sans succès de faire prendre l’une après l’autre ses allumettes, mais il les brûle jusqu’à la dernière. «Mon Dieu, aidez-moi», prie-t-il.

Comme la température baisse vite, il tente de se réchauffer en glissant ses mains sous sa veste de chasse, au creux de ses aisselles, et en s’efforçant de faire jouer le plus possible ses muscles. Toutes les demi-heures, il tire trois coups de fusil: c’est le signal de détresse.

Les autres chasseurs ont rejoint les voitures à l’heure convenue. Croyant Westcott lancé à la poursuite d’un cerf, ils ont retardé jusqu’au milieu de l’après-midi le moment de sonner le rappel. Ils ont alors déclenché un tintamarre continu et d’avertisseurs et de coups de fusil, accompagné de la pétarade d’une tronçonneuse. Sous le vent glacé, le thermomètre est descendu a -29°. On ne voyait pas à plus de 3 mètres.

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À l'aube, la tempête de neige s'est calmée.
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Deuxième jour

À l’aube, la tempête s’est calmée. Westcott s’éveille. De toute la nuit, il n’a dormi qu’une heure et demie au plus. Ses pieds ne lui font plus mal, ils sont même parfaitement insensibles. Quand il se lève, il s’écroule. Il rampe jusqu’à un arbre abattu et y coupe une branche dont il se fait une béquille. Il se remet péniblement debout et entreprend de contourner le lac. Mais le terrain marécageux, les troncs couchés sont maintenant des pièges insurmontables. Il revient donc vers la crête. À 10h30, après trois heures d’efforts, il a parcouru au plus 1500 mètres. Et il ne cesse de tomber. Dès le début de l’après-midi, il a les épaules meurtries. Ses mains, gelées, ne peuvent plus se fermer. Soudain il aperçoit, à 3 kilomètres environ, un second lac, sans doute le Lower Wilson Pond. Sur la rive, une cabane! Il va essayer de l’atteindre.

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Après la tempête,Westcott a trouvé une hutte en rondins.
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Troisième et quatrième jours

Durant ces quarante-huit heures, il va livrer un combat acharné à la mort. Le jour, il progresse pas à pas. La nuit, il s’astreint à faire des exercices afin de lutter contre l’hypothermie, et il sommeille juste un peu avant l’aube.

En chemin, il ne verra de nouveau la cabane qu’une seule fois. Cependant il continue ses efforts, confiant en sa boussole et, surtout, en lui-même. Quand il estime se trouver à l’aplomb du lac, il décide de descendre le long d’un ruisseau au creux d’un ravin. Et voilà qu’apparaît, droit au-dessous, une étendue d’eau et, sur la rive, une hutte en rondins.

La porte est cadenassée. Du canon de son fusil il casse un carreau, ouvre la fenêtre, puis commence par lancer à l’intérieur les bûches d’un tas de bois tout proche. Après quoi, en s’aidant tant bien que mal de sa béquille de fortune, il entre pieds en avant. À l’intérieur il trouve des allumettes, et en moins d’une heure, le feu ronfle dans la cuisinière. Il trouve également un marteau, une scie à métaux, une hache, des ustensiles de cuisine, des couvertures, des draps, des sacs de plastique et quelques boîtes de conserve. Bien qu’affamé et épuisé, il lui faut avant tout songer au lendemain.

D’abord, il scie l’anse du cadenas, cloue une planche à la place du carreau cassé, va chercher de l’eau et fait provision de bûches. Il pousse ensuite le feu jusqu’à porter au rouge la cuisinière et introduit doucement ses pieds dans le four. Quand la croûte de glace qui raidit son pantalon a enfin fondu, il découpe ses bottes et ses chaussettes. Un épais lambeau de peau se détache alors de son pied droit.

Ses deux pieds sont encore glacés, insensibles et aussi durs qu’un morceau de bois. Affolé, Westcott se met en devoir de les envelopper avec des bandes déchirées dans un drap de lit. Cela fait, il peut enfin absorber ses premiers aliments depuis trois jours et demi: un biscuit rassis, arrosé de cacao à l’eau, et rien d’autre car les conserves sont avariées. Il est toujours bien résolu à s’en tirer.

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Le cinquième jour après la tempête, Westcott identifie le lac comme étant le lac Wilson Pond.
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Du cinquième au septième jour

Ayant entendu passer des avions, puis un hélicoptère, il confectionne avec du papier des lettres d’un mètre de haut pour composer le mot HELP. Il les colle avec du ruban adhésif sur une couverture noire qu’il étale sur une aire bien en vue. Inutile: les patrouilles passent au large. Les grosses tempêtes d’hiver ne vont plus tarder. Comme il n’a plus de nourriture et que ses gelures ne cessent de s’aggraver, Westcott n’a d’autre choix que de quitter la hutte. Le lendemain, il consacre sa journée à des préparatifs: confectionner une bretelle de fusil avec une courroie de cuir, faire d’un bout de corde un baudrier où accrocher la hache. Dans ses poches, il emportera un gobelet et des allumettes. Il s’attachera une couverture sur les épaules. Il a identifié le lac. C’est bien le Wilson Pond. Plus exactement le bassin inférieur, distinct du bassin supérieur, plus au nord. Or il est sûr qu’un chemin relie les deux et qu’il côtoie le bassin inférieur. Il n’a donc qu’à longer la rive pour finir par tomber dessus.

À l’aube du septième jour, Westcott enfile des sacs de plastique en guise de chaussettes, remet ses bottes fendues qu’il attache avec de la ficelle et ajuste tout son équipement. En route! Il monte vers la crête, puis se dirige vers le nord-nord-ouest.

Au bout de plusieurs heures, il s’aperçoit qu’il a perdu sa botte droite. Le soir, une pluie torrentielle se met à tomber. Trempé, Westcott s’allonge sous l’abri précaire d’une corniche rocheuse et d’un tronc d’arbre abattu.

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Après la tempête de neige, il ne cesse de pleuvoir.
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Du huitième au dixième jour

Il ne cesse de pleuvoir. Boitant bas, Westcott cherche à atteindre l’extrémité nord du lac. Mais, chaque fois qu’il bifurque vers l’ouest, il se retrouve devant l’eau. Ce bassin inférieur n’en finit donc plus! Une affreuse odeur de décomposition monte de ses pieds. Dans quelques jours, il le sait, la gangrène se généralisera. Une seule solution: retourner à la cabane.

Le dixième jour, arrivé avant la tombée de la nuit, il s’empresse d’allumer le feu, puis il retire ses pansements et découvre des plaies meurtries et insensibles, ses orteils tout noirs. La puanteur lui lève le cœur.

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Au quatorzième jour après la tempête de neige, Westcott cherche un bateau pour s'en sortir.
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Quatorzième jour

Dans un placard, il a trouvé des bottes cuissardes. Il va donc repartir. Cette fois, il se dirige vers le nord-nord-est. Il espère réussir à avancer ainsi assez loin vers le nord pour contourner le lac. Mais, encore et toujours, chaque fois qu’il se rabat vers l’ouest, il rencontre l’eau. Soudain, il se rappelle: les deux bassins du lac Wilson ne sont pas séparés, mais bel et bien unis par une espèce d’étranglement. Il n’est donc pas question d’essayer de contourner cette vaste étendue d’eau enchâssée dans une montagne pour lui infranchissable, avec ses sentiers impraticables et dangereux. «Il me faut un bateau, sinon je vais mourir ici.» Une fois de plus, il regagne la cabane.

Beaucoup de ceux qui ont entrepris de retrouver Westcott pensent qu’il n’a sans doute pas survécu à la terrible tempête de la première nuit. Au bout d’une semaine, les efforts de recherche ont donc beaucoup ralenti. Mais la famille et les amis du disparu continuent d’espérer. Le jour où l’on suggère à sa mère de faire dire un office funèbre, elle réagit vivement: «Non. Si George à le moindre moyen de survivre, il s’en tirera, j’en suis sûre.»

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Après la tempête de neige, Westcott découvre une autre cabane et, à côté, une barque.
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Quinzième jour et seizième jour

En revenant à la cabane, Westcott remarque un sentier descendant vers le lac. Comme il a besoin de bois de chauffage, il décide d’aller en ramasser par là. Arrivé sur la rive, il découvre une autre cabane et, à côté, une barque que les arbres lui avaient cachée. Il s’écrie: «Merci, mon Dieu!»

Non sans peine, il est arrivé jusqu’à la barque qui est attachée à un arbre par une chaîne. Dans un hangar, il trouve une pagaie et, dans la cabane, des chaussettes, un cire, et aussi des vivres: un pot de beurre de cacahouètes, des flocons d’avoine, des soupes en sachets, des pâtes, une boîte de betteraves en conserve, une de thon, une de tomates. Après avoir allumé du feu, Westcott prend enfin un repas consistant, le premier depuis quinze jours. Le lendemain, alors qu’il est en train de scier la chaîne d’amarrage, la tempête se lève, et c’est le déluge qui va durer quatre jours.

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Perdu dans la tempête, Westcott décide de passer sur la berge opposée.
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Vingt et unième jour

Westcott a décidé de passer sur la berge opposée; une traversée de plus de 3 kilomètres, non sans péril, à cause du vent. Lentement, laborieusement, il pousse la barque dans l’eau. Au moment où il va s’agenouiller à l’avant, elle se dérobe sous lui et s’échappe. Pour la rattraper, il patauge dans l’eau glacée. Dès lors, il n’est plus question de partir, et il rentre se faire du feu. Malheureusement, il n’a presque plus de vivres et il est au bord du désespoir.

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Après la tempête de neige, Westcott a mis au point une savante manœuvre d'embarquement.
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Vingt-deuxième jour

Le soleil est revenu, le lac est lisse comme un miroir. Cette fois, Westcott a mis au point une savante manœuvre d’embarquement: il amène l’embarcation sur un plat parallèlement à la rive et l’incline sur le côté afin de s’y installer sans trop d’efforts, à l’arrière, en s’aidant de sa béquille. Après quoi, d’elle-même, la barque s’écarte de la rive. Trois heures plus tard, après avoir pagayé durement, il atteint le ponton de l’autre rive. Lentement, il parvient à se hisser sur le débarcadère. Tout près de la, il découvre une route. «Merci, mon Dieu!» dit-il encore.

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Westcott a survécu à la tempête et seul pendant plus de 20 jours.
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Une volonté incroyable

Le Dr Paul A. Fichtner, du service des urgences à l’hôpital de Greenville, n’en a pas cru ses yeux quand il a vu débarquer l’espèce de vagabond loqueteux, hirsute, malodorant, exténué, qu’un poseur de lignes venait de recueillir sur la route. «La plupart des gens seraient morts dès la première nuit de tempête», dira par la suite le Dr Fichtner.

Après avoir subi l’amputation de tous ses orteils et d’une partie du pied droit, George Westcott s’est rétabli parfaitement, et malgré les dramatiques épreuves qu’elle lui a infligées, il aime toujours autant la nature. Davantage, même dit-il. Avec des chaussures orthopédiques et une bonne canne, il a déjà refait plusieurs excursions dans ses chères forêts. «Parmi tous les cas de survie héroïque que l’on a connus dans cet État, et il y en a plus d’un, l’exploit de Westcott est véritablement exceptionnel. S’il n’est pas mort, c’est bien par la seule force de sa volonté», affirme le commissaire des pêches et de la faune du Maine.

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Contenu original Selection du Reader’s Digest

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