Anticiper la pollution numérique pour un avenir en santé
C’est une dimension imbriquée dans nos réflexes du quotidien. Internet et la consommation de données sont devenus une deuxième nature. Il est presque impensable de se passer de ce bottin de ressources et des réseaux sociaux. Mais qu’en est-il de notre santé et de celle de nos proches? Quels gestes permettent un sain usage écologique? Pour y voir plus clair, le spécialiste Guillaume Pitron — auteur de L’enfer numérique: voyage au bout d’un like — nous livre ses connaissances.
Penser écologie: premier réflexe
Le numérique cause jusqu’à 4% des gaz à effet de serre de la planète démontrent des recherches menées par le groupe de travail The Shift Project. Pour atteindre la sobriété numérique et contrer cet «invisible ennemi» qu’est la pollution numérique, il est nécessaire de bien comprendre ce dont il s’agit.
Selon Greenpeace France, le terme «pollution numérique» réfère à «toute forme de pollution engendrée par le secteur informatique»: émissions de gaz à effet de serre, contamination chimique, érosion de la biodiversité, production de déchets électroniques. La consommation du réseau internet venant avec sa panoplie de matériau nécessaire; une forme de contamination est donc déjà en marche à l’étape de la fabrication, avant même que l’on ne pose les doigts sur un clavier ou un écran tactile.
Sachant que la demande sollicite 34 milliards d’interfaces de tablettes et de téléphones intelligents à travers le monde, le portrait est peu reluisant, souligne Guillaume Pitron.
La pollution matérielle est causée par l’extraction de minerais. Par exemple, le métal cobalt engendre une importante émission de dioxyde de carbone, le CO₂.
Greenpeace atteste que «la fabrication d’un téléviseur exige 2,5 tonnes de matières premières, et génère 350kg de CO₂». Le tantale congolais, le lithium bolivien et l’or australien sont requis pour la fabrication informatique, mais ne se recyclent pas. Un rapport de l’ONU de 2013 atteste que 75% de l’ensemble des déchets électroniques esquivent à toute forme de recyclage, aboutissant dans des décharges comme celle tristement célèbre du bidonville d’Agbogbloshie, au Ghana, où s’amoncellent des déchets électroniques nocifs pour quiconque y circulent. Sans parler du coût humain. Selon Jeune Afrique, 60% de la production mondiale de cobalt provient de la République démocratique du Congo (RDC), une extraction du sol taboue menée par 200 000 jeunes mineurs.
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Dépendance aux données et aux couleurs
Un autre volet de la pollution numérique réside dans la production des données en soit: tout ce qui est visionné en ligne pour se divertir, les téléchargements et le stockage. Cet écosystème nécessite une production d’électricité à l’échelle mondiale non négligeable. Une dette envers la Planète que Guillaume Pitron chiffre, selon ses estimations, à hauteur de 1% à 3% de la consommation d’électricité mondiale. «Il s’agit d’un coût direct sur l’environnement causé par l’émission des centrales de charbon, de gaz et nucléaires, mais surtout des énergies fossiles. Un gigaoctet produit environ 20g de CO₂, l’équivalent d’une distance de 150 mètres en voiture», contextualise-t-il.
Le visionnement de vidéos en streaming implique 60% des flux de données sur internet, à cause du poids des fichiers, note Guillaume Pitron. Un film offert par Netflix en très haute définition (4K), a un poids de 10 giga-octets, ce qui revient à 300 000 fois plus qu’un courriel (30 ko).
L’auteur souligne dans son livre l’influence d’un code couleur créé par l’interface Microsoft Bing, avec ce bleu distinctif, et le rouge véhiculé par les réseaux sociaux et ses notifications. Selon lui, cette couleur rougeoyante absente du milieu naturel aurait sur l’être humain un effet attractif qui le pousse à consommer davantage de produits numériques. C’est sans équivoque: les couleurs «aguicheuses» alimentent le temps connecté aux réseaux sociaux; ils ont donc un impact direct sur la pollution environnementale.
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Réduire avec certification
Sans qu’on ne le voie, l’usage des appareils informatiques et des accessoires ouvrant au merveilleux monde numérique constitue un premier indicateur de menaces sur la santé et l’écologie.
On doit d’ailleurs à la Suède et à la Scandinavie le tout premier guide, paru dans les années 90, des bonnes pratiques pour un usage responsable du numérique qui n’abîme ni les yeux ni le dos. La certification TCO de la filiale Swedish Confederation of Professional Employees fut avant-gardiste, devenant à ce jour la certification de développement durable des produits informatiques..
Puis, l’Allemagne développa sa certification de responsabilité Blue Angel, un sceau vert attestant que toute fabrication à base de plastique l’est à 80% de matières recyclées post-consommation. Enfin, la France, en 2021, a voté la loi REEN prévue pour la réduction de l’empreinte environnementale du numérique. Plus près de nous, Hydro-Québec peut se targuer d’héberger sur son territoire reconnu comme «pôle Internet propre du Nord-Est américain» les installations de multinationales comme Google et Amazon Web, favorisant une part de la transition écologique.
Il existe des moyens de réduire les effets du numérique, sur soi et sur la société. Une lutte qui se joue sur dans « l’arène de la consommation», en limitant nos achats d’appareils informatiques. Quand on sait qu’une dizaine de métaux en provenance du monde entier compose un simple ordinateur, avec un coût lié à l’extraction d’énergie fossile et d’eau, il y a matière à réflexion avant de se procurer le dernier modèle en vogue.
Dans un futur proche, l’être humain aura-t-il adopté la pleine «sobriété numérique»? Peu probable dans l’esprit du spécialiste Guillaume Pitron, vu nos besoins exponentiels qui frôlent la surconsommation. «Tout le monde court sur internet, il en va de la nécessité de s’informatiser pour rester dans l’Histoire. Il y a peu d’espace pour un débat sérieux sur l’écologie numérique et peu de rêveurs numériques qui accepteront de vivre dans la sobriété…», conclut-il.
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