Réparer soi-même, une révolution environnementale
Assurer ses réparations pour contrer la culture du tout jetable.
Quand elle a commencé à jouer avec Stitch, le chiot qu’elle venait d’adopter, Flora Collingwood-Norris portait sa trouvaille préférée, un tricot de cachemire corail déniché dans une friperie. Excité, le caniche croisé noir a sauté et mordu la manche, ses dents pointues laissant de nombreux trous.
Pas question pour Collingwood-Norris, aujourd’hui âgée de 37 ans, de se débarrasser du chandail. «Je ne vais quand même pas jeter un vêtement à cause d’un trou.» La conceptrice de tricots de Galashields, en Écosse, avait l’habitude de fabriquer ses propres chandails; cette fois, elle allait passer au raccommodage. Avant de se lancer, elle s’est plongée dans l’ouvrage Make Do and Mend, consacré à l’esprit économe novateur qu’on a cultivé lors de la Deuxième Guerre mondiale.
Plutôt qu’une réparation discrète, elle privilégie le «raccommodage visible», qui consiste à laisser intentionnellement des reprises qui se voient sur les vêtements. Les couturières ajoutent des fleurs, des carrés de tissus aux couleurs vives ou d’autres motifs sur des vêtements déchirés. «Chaque fois que je raccommode un vêtement, j’ai l’impression que ma garde-robe s’enrichit d’une nouvelle pièce», plaisante Collingwood-Norris. Elle s’est attaquée à toutes sortes de réparations – notamment celle d’un trou dans le tissu du grand fauteuil rouge dans lequel elle était assise durant notre entretien vidéo.
Nous avons malheureusement pris l’habitude de remplacer plutôt que de réparer – et les déchets s’accumulent dans le monde. Nous jetons chaque année 92 millions de tonnes de textile. Les déchets électroniques – dont on estime que 50 millions de tonnes sont produites chaque année dans le monde – constituent un autre problème croissant. Au Canada, leur poids a plus que triplé au cours des 20 dernières années pour atteindre près d’un million de tonnes en 2020.
Réparer soi-même peut contribuer à résoudre le problème des déchets. Cela s’inscrit dans une plus large évolution vers l’économie circulaire – l’idée que, au lieu de nous débarrasser des objets cassés ou périmés, nous les réutilisions, les réparions ou les rénovions, pour les éloigner le plus longtemps possible du site d’enfouissement.
Les biens manufacturés et les articles de consommation sont responsables d’environ un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Suivant un rapport produit en 2023 par Circle Economy – une ONG des Pays-Bas – une conversion planétaire à l’économie circulaire ferait diminuer du tiers la quantité de produits à extraire de la nature.
Il existe heureusement des solutions au problème des déchets. En voici quelques-unes.
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La législation sur le droit à la réparation
Il est possible d’apprendre à raccommoder ses vêtements, mais réparer un téléphone ou un électroménager n’est pas aussi simple. D’ailleurs, certains produits sont fabriqués de manière que le consommateur en soit empêché. Les sociétés Apple et Samsung ont été poursuivies pour «obsolescence programmée» – lorsqu’un produit s’abîme facilement ou devient rapidement désuet, cela force le consommateur à s’en procurer un nouveau ou à acheter une mise à niveau.
Un mouvement mondial de «droit à la réparation» lutte contre la culture du jetable. Le consommateur veut pouvoir réparer ce qu’il a acheté – afin de réduire son empreinte écologique, faire des économies ou simplement pour le principe.
Dans l’évolution du modèle économique «utiliser-et-remplacer» vers un modèle plus «facile-à-réparer», les gouvernements jouent un rôle déterminant auprès des fabricants. En mars, la Commission européenne a adopté une directive sur le droit à la réparation, exigeant notamment des manufacturiers qu’ils mettent les pièces et accessoires de rechange d’un produit à la disposition des consommateurs pendant une durée de 5 à 10 ans après son achat.
La législation sur le droit à la réparation est en vigueur dans plus de la moitié des États-Unis. L’Australie a adopté une loi sur le droit à la réparation des véhicules moteur. L’Inde a proposé un cadre pour les appareils de téléphonie mobile, les tablettes électroniques, les voitures et le matériel agricole. De son côté, le Canada a un projet d’amendement de la Loi sur le droit d’auteur afin de faciliter l’accès à l’information pour les réparations nécessaires.
De telles mesures législatives suivent et alimentent le désir du public de réparer, dit Ricardo Cepeda Marquez, directeur technique de Waste and Water pour C40, un réseau mondial qui soutient les villes dans leur lutte contre le changement climatique. «La réparation est une formidable occasion de prendre conscience de notre consommation collective et de l’urgence de réduire notre production de déchets.»
Manuels de réparation en ligne
Il fut un temps où les gens s’occupaient eux-mêmes de réparer un appareil en panne ou appelaient l’atelier de réparation du quartier qui s’en chargeait. De plus en plus de pièces étant fabriquées à l’étranger, les prix ont chuté et même pour un gros électroménager coûteux, il est devenu plus simple de le remplacer plutôt que de le faire réparer.
Tout cela est en train de changer, notamment parce que l’information est désormais disponible en ligne. La très populaire plateforme en ligne iFixit.com a facilité plus de 100 millions de réparations.
iFixit a été fondé au début des années 2000 quand, après avoir fait tomber son portable Apple qui s’est cassé, Kyle Wiens, cofondateur avec Luke Soules de l’entreprise californienne et son PDG, a découvert qu’il n’existait aucun manuel de réparation. À force de tâtonnements et avec l’aide de Luke, Wiens a réussi à réparer son ordinateur. Il est vrai qu’il avait passé son enfance à démonter radios et appareils électroménagers avec son grand-père. Stimulés par l’expérience, Luke et Kyle ont rédigé un manuel qu’ils ont aussitôt posté sur iFixit.com.
Vingt ans plus tard, iFixit est une banque de données de près de 100 000 manuels de réparation pour à peu près tout, de l’appareil électronique à l’électroménager, en passant par les vêtements. Sa mission s’est généralisée. «Certains manufacturiers se montrent intéressés à fournir l’information pour les consommateurs qui souhaitent réparer leurs produits», confirme Elizabeth Chamberlain, directrice de la durabilité chez iFixit. Google, Microsoft, Samsung, Motorola, HP, Patagonia et The North Face vendent leurs pièces de rechange et partagent les manuels de réparation par l’intermédiaire de la plateforme.
«Nous espérons voir un monde où la réparation sera possible pour tout ce qui est fabriqué», confie Mme Chamberlain.
Les Repair Café
Le premier Repair Café a été inauguré à Amsterdam en 2009. Il proposait de l’aide pour la réparation de tout genre d’objets. Le réseau dirigé par des bénévoles est aujourd’hui présent dans plus de 2700 villes – en Belgique, en Allemagne, en France, en Inde, au Japon, au Royaume-Uni, au Canada et aux États-Unis, entre autres. Les animateurs organisent des évènements et invitent des volontaires compétents à se présenter avec leur boîte à outils, des imprimantes 3D, des machines à coudre et des instruments de reliure dans des bibliothèques ou des centres sociaux. Ils essaient de réparer ce qu’on leur présente et de transmettre leur compétence aux visiteurs. Le tout gratuitement.
«C’est un évènement très social, avec des discussions autour de ce qui doit être réparé et de l’idée même de réparation», explique Paul Magder, cofondateur d’un Repair Café à Toronto. C’est le sens de la collectivité qui attire, croit-il, et la demande pour des réparations et le nombre de volontaires sont en constante augmentation.
Si l’intérêt progresse dans tous les groupes d’âge, il manque de «réparateurs» chez les personnes de 20 et de 30 ans. «Réparer un objet exige des compétences que les plus jeunes n’ont pas, faute d’expérience», fait remarquer Christophe Gatt, président de Repair Café à Paris. «C’est pour ça que nous voulons partager notre savoir.» Le groupe a lancé fin 2022 le premier Repair Café pour enfants (à partir de 5 ans), avec des ateliers à thèmes sur les outils, la soudure et la couture, par exemple.
En plus de revenir à la maison avec une cafetière ou un grille-pain qui marche, le visiteur quitte le Repair Café en comprenant un peu mieux son fonctionnement, dit Christophe Gatt. «Quand on sait comment fonctionne un objet, on est porté à mieux l’utiliser. Nous le consommons de manière plus responsable.»
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Téléphones portables réparables
Le téléphone portable est l’un des objets électroniques que l’on jette le plus. D’où le projet de Fairphone, lancé en 2013, de transformer l’industrie. L’entreprise sociale néerlandaise a voulu montrer qu’il était possible de produire un téléphone éthique réparable.
Leurs appareils sont vendus un peu partout en Europe pour 579 euros (environ 870 dollars canadiens). Le client peut réparer son appareil avec les pièces détachées — appareil photo, pile et haut-parleurs — qu’il se procure sur le site de Fairphone. Les guides d’installation sont disponibles et il suffit d’un petit tournevis pour effectuer les réparations.
Certains grands noms de l’industrie ont décidé de leur emboîter le pas. En mars, Nokia, l’entreprise de télécommunication finlandaise, lançait le G22, un smartphone conçu pour être réparable chez soi. Il est vendu à moins de 240$, et le prix des pièces détachées démarre à 32$ (pour le moment, seulement disponible en Europe et en Australie). Les appareils étant démontables, le recyclage est plus aisé; les pièces comme les piles, qui ne sont pas recyclables, peuvent être séparées du reste.
L’an dernier, le géant de la technologie Apple a lancé son programme Self Service Repair (réparation en libre-service). Les clients qui souhaitent réparer leur appareil peuvent commander en ligne une trousse de réparation, consulter le manuel et acheter la pièce dont ils ont besoin, qu’il s’agisse d’un nouvel écran, d’une pile ou d’un objectif photographique. Les modèles plus récents, comme l’iPhone 14, s’ouvrent d’ailleurs plus facilement.
Les téléphones pourraient bientôt bénéficier d’une plus grande longévité: en effet, la directive de l’UE sur le droit à la réparation comprendra une obligation de manufacturer des piles plus faciles à retirer et à remplacer.
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Mode responsable
Il y a quelques décennies, en proposant des vêtements bon marché, la fast fashion, ou mode éphémère, a séduit les consommateurs désireux de suivre l’évolution rapide des tendances. C’est une catastrophe pour l’environnement. Avant un an, trois cinquièmes de ces vêtements – un chiffre effarant – finissent à la décharge ou à l’incinérateur. De plus, cette production exige beaucoup d’eau: par exemple, la fabrication d’un jean peut en nécessiter 7500 litres. La slow fashion, ou mode lente, est le concept opposé qui célèbre la grande qualité des vêtements cousus main et créés localement. Aussi, de nombreux consommateurs préfèrent acheter des vêtements d’occasion via des regroupements de médias sociaux, des sites de consommateurs ou des boutiques vintage.
À l’instar de Flora Collingwood-Norris, on est de plus en plus nombreux à raccommoder ses vêtements pour les faire durer plus longtemps. Le tricot corail déchiré par Stitch a été rapiécé avec des tissus à pois de couleurs vives, et pour repriser les coudes, sa maîtresse a choisi des couchers de soleil ronds et des silhouettes d’oiseaux en plein vol. Le pull a été intégré à une exposition montée dans le Devon, au Royaume-Uni, sur la réparation de vêtements au fil de l’histoire jusqu’à aujourd’hui.
Flora donne sur Zoom des cours de raccommodage accessibles dans le monde entier. Elle prodigue par ailleurs des conseils à plus de 100 000 abonnés sur Instagram et a publié un livre en 2021 sur les mêmes questions. Elle se réjouit de constater que le raccommodage de vêtements est de nouveau populaire. «La pratique s’est perdue pendant quelques générations, mais elle revient, et c’est formidable. Je suis optimiste pour l’avenir; il y a un désir de transformer et de réévaluer nos habitudes.»
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