L’histoire d’une amitié entre un loup gris et son sauveur

Venu au secours d’une louve blessée et de ses louveteaux dans une région sauvage de l’Alaska, un chercheur d’or noue un lien durable avec le loup gris.

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Ma rencontre avec le loup gris.
Mircea Costina/Shutterstock

Ma rencontre avec le loup gris

Un matin de printemps voilà bien des années, je cherchais de l’or sur les berges de la ­rivière Coho Creek dans l’île Kupreanof au sud-est de l’Alaska. En sortant d’une forêt d’épicéas, je me suis brusquement immobilisé. À 20 pas, dans le marécage, se dressait un énorme loup de l’Est – prisonnier du piège de George, le trappeur.

Le vieux George était mort d’un infarctus la semaine précédente et c’était une sacrée veine pour le loup que je sois passé par là. Désorientée et effrayée, la pauvre bête a reculé quand je me suis approché, et la chaîne du piège s’est tendue. J’ai remarqué ses mamelles gorgées de lait.

C’était une femelle. Dans une tanière, quelque part, des louveteaux affamés attendaient leur mère.

Elle était sans doute piégée depuis un jour ou deux. À quelques kilomètres, ses petits étaient peut-être encore en vie. J’aurais bien voulu essayer de la libérer, mais je craignais qu’elle ne se montre agressive et m’attaque.

Amateur d’histoires qui finissent bien, lisez le témoignage de Jean, qui s’est perdue dans la forêt du Pacifique.

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Loup gris: à la recherche des louveteaux.
Vladimir Wrangel/Shutterstock

Commencer par les louveteaux

J’ai préféré aller à la recherche des louveteaux en remontant les traces qui me conduisaient au piège et me mèneraient sans doute à la tanière.

Par chance, il restait quelques plaques de neige. J’ai repéré des empreintes sur une piste qui longeait le marécage.

Après un kilomètre dans la forêt, je suis tombé sur un coteau semé de pierres. La tanière se trouvait au pied d’un énorme tronc. Je ne percevais aucun bruit. Les louveteaux sont par nature timides et prudents. J’avais peu d’espoir d’arriver à les attirer à l’extérieur, mais il fallait bien essayer.

J’ai imité le cri perçant de la louve appelant ses petits. Aucune réponse. Après une seconde tentative, j’ai vu émerger quatre minuscules louveteaux.

Ils n’avaient que quelques semaines. J’ai tendu les mains et ils ont doucement tété mes doigts. La faim aide à surmonter une méfiance naturelle. Je les ai déposés un à un dans un sac de toile avant de rebrousser chemin.

La maman loup s’est dressée en me voyant. Elle avait sans doute reconnu l’odeur de ses petits et a poussé un gémissement plaintif. J’ai sorti les louveteaux qui se sont jetés sur leur mère. Quelques secondes plus tard, ils lapaient son ventre.

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Que faire pour libérer ce loup gris?
Pat Lauzon/Shutterstock

Que faire, maintenant?

Que faire, maintenant? me suis-je demandé.
La louve souffrait. Un grondement menaçant accueillait chaque geste dans sa direction. Avec ses petits à protéger, elle devenait agressive. Il fallait la nourrir.

Je suis retourné vers la rivière Coho Creek et j’ai repéré une patte de cerf mort plantée dans une congère. J’en ai tranché un quartier et j’ai rendu le reste au réfrigérateur naturel. Rapportant le cuissot à la louve, je lui ai chuchoté sur un ton apaisant: «Allez, petite mère, le dîner est servi. Mais il faut arrêter de grogner. Calme.» J’ai lancé de gros morceaux dans sa direction. Elle les a humés avant de les engloutir.

Avec quelques branches de coni­fère, je me suis fabriqué un abri de fortune et je me suis endormi rapidement. J’ai été réveillé à l’aube par quatre boules de poil venues renifler mon visage et mes mains. J’ai jeté un coup d’œil à leur mère agitée. Si seulement je pouvais gagner sa confiance. C’était son seul espoir.

Pendant quelques jours, je me suis partagé entre la prospection et les tentatives d’apprivoiser la louve. Je lui parlais doucement, je la nourrissais de restes de cerf et jouais avec les petits. Je m’approchais chaque fois un peu plus – en m’assurant de rester hors de sa portée. Les yeux sombres de la bête imposante ne m’ont jamais lâché. «Allez, petite mère, tu veux retrouver tes amis dans la montagne. Calme-toi.»

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Le loup gris été pris dans un piège de trappeur.
Erni/Shutterstock

Le cinquième jour

«Voilà le repas, ai-je dit doucement au crépuscule du cinquième jour en lui offrant sa ration quotidienne. Allez, il ne faut pas avoir peur.» Les louveteaux ont bondi dans ma direction. Au moins j’avais leur confiance.

J’ai commencé à perdre espoir de ne jamais gagner celle de leur mère.

Puis j’ai cru voir un léger frétillement de sa queue. Je me suis approché de la chaîne tendue. La louve restait immobile. Mort de peur, je suis allé m’asseoir à deux mètres. En un claquement de sa puissante mâchoire, elle pouvait me casser le bras… ou le cou. Je me suis enveloppé dans la couverture tout en m’installant lentement à même le sol glacé. J’ai eu beaucoup de mal à m’endormir ce soir-là. Je me suis réveillé à l’aube au son des petits qui tétaient leur mère. Je me suis penché pour les caresser. La louve s’est raidie. «Bonjour, les amis», ai-je dit timidement.

Puis j’ai posé délicatement la main sur sa patte blessée. Elle a tressailli, mais n’a eu aucun mouvement menaçant. C’est impossi­ble, ai-je songé. Et pourtant, oui.

Les dents d’acier du piège s’étaient refermées sur deux orteils. Ils étaient enflés et déchirés, mais elle ne perdrait pas sa patte – encore fallait-il que je parvienne à la libérer.

«Très bien, un peu de patience et on va te sortir de là.» J’ai appuyé sur le ressort, la mâchoire du piège s’est ouverte et la louve a pu se dégager. Elle s’est élancée aussitôt en gémissant pour dégourdir sa patte blessée.

D’après mon expérience de la vie sauvage, elle rassemblerait ses petits et disparaîtrait dans la forêt. Mais elle s’est approchée de moi avec prudence. Les louveteaux mordillaient malicieusement leur mère qui s’est arrêtée près de mon coude. Lentement, elle a reniflé mes mains et mes bras. Puis elle a léché mes doigts. J’étais stupéfait. Ça ne correspondait pas du tout à ce qu’on m’avait raconté sur le loup de l’Est. Et ça semblait si naturel.

Après un moment, avec les petits qui lui couraient autour, la louve était prête à partir et s’est engagée en boitant vers la forêt. Puis elle s’est tournée vers moi.

«Tu veux que je te suive, ma belle?» ai-je demandé. Curieux, j’ai rassemblé mon matériel et je l’ai suivie.

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Rejoindre la meute du loup gris.
Pat-s pictures/Shutterstock

Rejoindre la meute

Après avoir longé Coho Creek quelques kilomètres et gravi le mont Kupreanof, nous avons rejoint un pré alpin. Une meute de loups rôdait près du périmètre boisé – j’ai compté neuf adultes et, à en juger par leur comportement enjoué, quatre jeunes adolescents. Après quelques minutes de salutations, ils ont hurlé en chœur. C’était une musique étrange dont la gamme s’étendait de la note grave au yodle le plus aigu.

À la nuit tombée, j’ai préparé mon campement. Dans la lumière du feu et d’une lune étincelante, des silhouettes de loups aux yeux brillants apparaissaient et disparaissaient de manière fugitive dans les ombres. Je n’avais pas peur. Ils étaient tout simplement curieux. Moi aussi.

J’ai été réveillé à l’aube. Il était temps de laisser la louve à sa meute. Elle m’a regardé rassembler mon matériel et traverser la prairie. Avant de m’enfoncer dans la forêt, je me suis retourné. La mère et ses petits étaient là où je les avais laissés et m’observaient. Je ne sais pas pourquoi, mais je les ai salués de la main. La louve a alors lancé dans l’air vif un long cri plaintif.

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J'ai retrouvé ce loup gris, quatre ans plus tard.
AB Photographie/Shutterstock

Quatre années plus tard…

Quatre années plus tard, à l’automne 1945, après avoir participé à la Seconde Guerre mondiale, je suis retourné à Coho Creek. Après les horreurs de la guerre, j’étais content de retrouver les épicéas élancés et de respirer l’air tonifiant et familier de la taïga de l’Alaska. Puis j’ai vu, pendu au thuya géant où je l’avais laissé, le piège désormais rouillé qui avait retenu prisonnière la louve allaitante. Cette vision a fait naître une sensation étrange et quelque chose m’a poussé vers le mont Kupreanof et la prairie où je l’avais vue la dernière fois. Là-bas, sur une corniche élevée, j’ai poussé un long hurlement grave – comme je l’avais souvent fait.

Un écho a répondu au loin. J’ai répété l’appel. De nouveau l’écho, puis un loup a surgi d’une arête, à environ un kilomètre, et s’est avancé dans ma direction. Un frisson m’a saisi. J’ai reconnu la silhouette de la louve grise, même après quatre années. «Bonjour, ma belle», ai-je ­murmuré. Elle s’est approchée, oreilles dressées, corps tendu, avant de s’arrêter à quelques mètres. Sa queue touffue remuait légèrement. Puis elle a disparu.

J’ai quitté l’île Kupreanof quelque temps plus tard et je ne l’ai jamais revue. Mais le souvenir qu’elle m’a laissé – vivace, obsédant, un peu inquiétant – restera toujours présent, un rappel que la nature recèle des secrets qui échappent aux lois et à l’intelligence humaines. Pourtant, un moment, c’est comme si nous avions réussi à partager nos mondes et à franchir une barrière qui n’avait jamais été destinée à être levée. Il n’y a pas d’explication pour ce genre d’expériences. On peut seulement les accueillir et – parce qu’elles sont teintées d’une touche de mystère et d’étrangeté – les chérir d’autant plus.

Il est certain que cette rencontre avec un ours noir en Colombie-Britannique va vous plaire.

Première publication, Reader’s Digest mai 1987.

Contenu original Selection du Reader’s Digest

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