Être seule: plus jamais!
Comment le chanteur de rock Roy Orbison m’a aidée à me faire une amie et à ne plus jamais être seule.
À l’automne 1988, ma famille a emménagé dans une maison plus vaste à l’autre bout de Peterborough, en Ontario. J’ai alors quitté la sécurité de l’école St. Paul et je suis devenue la «nouvelle» de celle de St. Teresa, une école à un seul couloir, sans gymnase.
J’avais 10 ans. Les élèves de la classe où je suis tombée se connaissaient depuis la maternelle. Mon intégration au groupe en a souffert. Je passais les récréations à jouer à la marelle toute seule en observant avec envie les autres enfants s’échanger petits gâteaux et barres aux fruits. Je n’avais aucun ami, ce qui me désespérait.
Un matin, début décembre, avant d’aller à l’école, j’ai préparé mes céréales et me suis assise à ma place habituelle. La radio passait de vieux succès populaires. Entre deux chansons, les animateurs plaisantaient entre eux. «C’est un triste jour pour la musique, a soudain dit l’un d’eux, monsieur Roy Orbison est mort.»
C’est triste en effet, ai-je pensé, que Roy Orbison soit mort. Mais au fait… qui est Roy Orbison? Ma question est restée en suspens puisque j’ai dû filer à l’école pour arriver avant la cloche.
J’étais dans la classe de M. Hutchison, qui aimait bien se faire plutôt appeler M. 83. Il avait enseigné au Japon où on prononçait son nom comme s’il s’agissait des chiffres huit (en japonais: hachi) et trois (san). M. «Hachi-san». La fillette que j’étais trouvait ça très malin. Je pense également qu’il avait pitié de moi, dont les efforts d’intégration restaient vains. Par sympathie, il m’avait trouvé le surnom de «Meggie McMuffin». J’adorais ça. M. Hutchison était avec moi.
Tous les jours après l’hymne national, il nous demandait si nous voulions prier pour quelqu’un. Il notait alors au tableau le nom qu’on proposait. Ce jour-là, Johnny, un garçon aux cheveux gominés, a souhaité qu’on prie pour son grand-père, qui venait d’être opéré. Emily, une fille à la longue queue de cheval, nous a invités à penser à sa grand-mère, qui faisait une pneumonie. De son côté, Claire, une fille d’une popularité intimidante, s’est émue pour son chien, qui venait d’être stérilisé. Et voilà.
Il m’est alors apparu que c’était l’occasion ou jamais de faire un pas vers le groupe! Sans y penser à deux fois, j’ai levé la main, et quand M. 83 m’a nommée, j’ai lâché: «J’aimerais prier pour Roy Orbison!»
Silence de mort dans la classe. Tout le monde avait l’air perplexe. Personne dans l’histoire de l’Église catholique n’avait jamais manifesté un tel manque d’empressement à prier pour qui que ce soit. Mais M. 83, qui a bien vu le désespoir au fond de mes yeux, est venu à mon secours.
«D’accord, McMuffin, j’inscris Roy Orbison.»
C’était gagné! Prier pour quelqu’un est manifestement une manière comme une autre de se faire des amis parmi les jeunes catholiques.
Je n’avais jamais rencontré Roy Orbison, je n’avais pas son album, je ne savais pas qui était la «Pretty Woman» de sa chanson, mais il me plaît de penser que nous avons compté l’un pour l’autre. S’il y a un ciel, Roy y est parce qu’une élève de 10 ans a prié pour lui.
Et ce jour-là, une fille appelée Christine est venue me voir en classe et m’a dit: «Mes sympathies. Si tu n’es pas trop prise par les funérailles, viens donc jouer chez moi après l’école.»
Grâce à elle et à Roy, être seule n’était plus ma réalité.
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