Pourquoi les femmes risquent-elles davantage de souffrir de la maladie d’Alzheimer?

Les femmes sont plus susceptibles de souffrir d’Alzheimer – des 747 000 Canadiens ayant cette maladie, 70% sont des femmes. Un fait choquant, mais sans grande surprise, on constate que peu de recherches se sont vraiment intéressées à l’incidence du sexe jusqu’ici.

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La Dre Pauline Maki a étudié les effets du vieillissement sur le cerveau des femmes lors de son doctorat, il y a une dizaine d’années. Cela ne l’a pas empêchée d’éprouver un léger frisson de panique quand elle a récemment constaté des changements dans ses propres fonctions cognitives.

«J’ai dû demander à mon père le nom du Ben qui jouait avec Matt Damon, se souvient-elle. Il m’a répondu « Ben Affleck », et j’ai dit, « oui, c’est ça, Ben Affleck. » Si vous m’aviez demandé cela dans un questionnaire à choix multiples, j’aurais sans hésiter choisi la bonne réponse. C’est vraiment frustrant.»

La Dre Maki, qui enseigne la psychiatrie et la psychologie et dirige le centre de recherche de santé mentale des femmes à l’Université de l’Illinois à Chicago, a dû se rappeler que les problèmes de mémoire chez les femmes dans la quarantaine et la cinquantaine sont tout à fait normaux – et temporaires. « Le problème, dit-elle, c’est que beaucoup de femmes l’ignorent. En fait, la plupart des gens, et les femmes en particulier, sont incapables de faire la différence entre les fluctuations de nos fonctions cérébrales et les signes de démence ou le fait d’être diagnostiqué avec la maladie Alzheimer. » Sachez déceler ces premiers signes de la maladie d’Alzheimer chez vous ou vos proches.

«Le plus grand problème auquel nous sommes confrontés, c’est que la recherche ne s’intéresse pas aux différentes manières dont la biologie de notre cerveau change en fonction du sexe», soutient la Dre Mary Tierney,  professeur et clinicienne-chercheuse  au département de médecine communautaire et familiale de l’Université de Toronto. Pourtant, des 747 000 Canadiens souffrant d’Alzheimer, 70% sont des femmes. «Il existe une différence entre prévalence et incidence, continue la scientifique. La plus grande prévalence de la maladie d’Alzheimer chez les femmes s’explique par leur plus grande longévité, l’âge étant ici un facteur de risque important. Mais il y a aussi une plus grande incidence de la maladie chez les femmes dans la mesure où la majorité des individus qui en sont frappés après 80 ans sont des femmes.»

Une recherche de l’Institut Duke pour les sciences neurologiques de Caroline du Nord a montré que l’état des femmes frappées d’un trouble cognitif léger déclinait deux fois plus vite que celui des hommes atteints d’un problème similaire. « On ne comprend pas pourquoi », admet la Dre Tierney. Même les études sur les rongeurs utilisent souvent des rats et des souris mâles – le raisonnement étant qu’il est plus facile et meilleur marché de n’avoir qu’un sexe à l’étude.Par contre, si vous n’étudiez que les mâles, que ce soit chez la souris ou chez l’humain, vous faites une recherche incomplète et de qualité médiocre. Vous ne racontez que la moitié de l’histoire.»

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Détectez la maladie d'Alzheimer rapidement en connaissant les symptômes.
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Notre cerveau vieillissant

La démence n’est pas une maladie à proprement parler, pas plus que ce n’est un état normal du vieillissement. C’est plutôt un terme générique pour un tas de symptômes qui peuvent affecter le cerveau et parmi lesquels on compte la perte de mémoire, l’altération du jugement et les changements de l’humeur et du comportement. Si vous présentez un ou deux de ces symptômes et qu’ils sont assez handicapants pour vous empêcher de fonctionner normalement au quotidien, vous devriez consulter un médecin capable d’évaluer votre état ou de vous recommander un spécialiste afin de déterminer si vous souffrez de démence. Si tel est le cas, la maladie d’Alzheimer en est la cause la plus commune.

«L’idée la plus répandue est que le premier signe de la démence se manifeste par une perte de mémoire, indique le Dr Larry Chambers, conseiller auprès de la Société Alzheimer Canada. Mais ce symptôme n’est en fait pas aussi préoccupant que ceux qui pourraient vous empêcher de fonctionner et de prendre des décisions en termes de finances, de conduite automobile ou d’activité professionnelle.»

Souvent, les gens ne comprennent pas que la démence est progressive, ajoute le Dr Chambers, ou que sa progression varie grandement d’un individu à l’autre. «Malheureusement, aussitôt qu’on diagnostique la démence chez un individu, c’est comme si tout était fini, dit-il. Mais la démence ne s’installe pas du jour au lendemain. C’est graduel et ça peut prendre des années. Les gens peuvent très souvent continuer de mener une vie heureuse et productive. Ce qu’il faut faire, c’est de nous concentrer sur de meilleurs services sociaux et créer un environnement plus compréhensif et favorable.» Adoptez ces habitudes dès aujourd’hui pour réduire votre risque d’Alzheimer.

Le Dr Chambers avoue que ce manque général de connaissance entourant la démence a abouti à une stigmatisation de cet état. Cela se retrouve dans le langage (le mot sénile, très péjoratif, est encore largement utilisé) aussi bien que dans le contexte social plus élargi, comme le sous-financement des établissements de soins de longue durée et les lacunes en matière de formation du personnel qui y travaille. En Ontario, pour ne prendre que cet exemple, on trouve 630 établissements de soins de longue durée. Et des 75 000 personnes qui y vivent, 50 000 sont probablement atteintes de démence. «L’allocation alimentaire actuelle accordée aux établissements de soins de longue durée en Ontario est inférieure à celle dont bénéficient les prisons, dénonce-t-il. Ça en dit long, n’est-ce pas?»

Trois Canadiens sur quatre connaissent quelqu’un qui souffre de démence. Bien que le facteur de risque le plus important soit l’âge (votre risque double tous les cinq ans après 65 ans), on peut être frappé de démence dans la trentaine, la quarantaine et la cinquantaine. Les premières manifestations biologiques de la démence peuvent se déclarer 25 ans avant les premiers symptômes. Voilà pourquoi, poursuit le Dr Chambers, informer très tôt les gens au sujet de la démence est essentiel. «En tant que société, nous devons aider les jeunes à comprendre la démence, dit-il. Les établissements de soins de longue durée devraient être mieux intégrés dans la communauté, et on devrait donner plus d’information sur la santé mentale dans les écoles.»

Le Dr Chambers milite en faveur d’une stratégie nationale sur la démence qui prônerait non seulement un accroissement de la recherche, mais aussi une meilleure sensibilisation sur les enjeux sociaux. Le plus urgent, c’est de voir comment nous prenons soin des gens qui souffrent de démence, un fardeau qui incombe aux femmes la plupart du temps puisque celles-ci constituent 70% des aidants naturels familiaux. Tandis que le Dr Chambers ne voit pas vraiment de signification dans les différences biologiques entre hommes et femmes faisant l’objet d’un déclin cognitif, il voit de grandes différences en ce qui a trait au partage des rôles hommes/femmes. «L’Alzheimer est une maladie chronique comme une autre, observe-t-il. Un cancer du poumon reste un cancer du poumon, que vous soyez un homme ou une femme. Il existe une liste de 10 signes indiquant la démence, et il n’y a pas une liste pour les hommes et une pour les femmes. Les enjeux sociaux auxquels sont confrontées les femmes sont pourtant très différents, si on les compare à ceux des hommes.»

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L'Alzheimer est plus répandue chez les femmes.
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À quel point le sexe importe-t-il?

Pour la Dre Maki, il est indéfendable de prétendre que le cerveau des hommes et des femmes ne présente aucune différence et qu’ils vieillissent de la même manière. «Il m’arrive de penser que cette résistance est due à la crainte que l’acceptation de cette différence pourrait être utilisée contre un sexe ou l’autre et que cela pourrait se retourner contre les femmes, constate-t-elle. Mais cela va dans les deux sens : comment aider les femmes à préserver leurs fonctions cognitives si on n’a pas d’abord identifié les besoins uniques à la santé de leur cerveau?

Il existe de nombreuses preuves que les cerveaux de la femme et de l’homme sont différents et que nous ne les utilisons pas de la même manière, dit-elle. La neuroimagerie est aujourd’hui assez perfectionnée pour nous permettre de cartographier les différentes régions de notre cerveau et pour voir comment elles communiquent entre elles. «Ces cartes nous ont appris que la connectivité du cerveau de la femme est radicalement différente de celle de l’homme, note la Dre Maki. Les femmes ont une meilleure connectivité fonctionnelle entre les deux lobes cérébraux, tandis que les hommes affichent une connectivité supérieure à l’intérieur des lobes.»

Nous savons aussi que la ménopause a un impact sur la manière dont le cerveau des femmes vieillit, ajoute-t-elle. Des études montrent que le cerveau des femmes commence à changer lors de la périménopause, lorsque leurs cycles menstruels deviennent irréguliers. «C’est à ce moment que la vitesse de traitement de l’information et la mémoire changent, et notre meilleure hypothèse pour expliquer cela, c’est que c’est dû aux changements des œstrogènes», dit-elle. Une bonne nouvelle toutefois : la femme retrouve ses fonctions cognitives entre un et cinq ans après ses dernières règles. «Cela s’explique peut-être par le fait que le cerveau s’ajuste, probablement en produisant ses propres œstrogènes  pour compenser, pense-t-elle. Malheureusement, il n’existe pas d’études à grande échelle sur les œstrogènes à la périménopause, mais il y a beaucoup de données suggérant que les œstrogènes nous protègent sur le plan cognitif.»

Les hommes âgés ont plus d’œstradiol (le composant actif de l’œstrogène) dans leur cerveau que les femmes ménopausées, avance la Dre Mary Tierney. En janvier, des chercheurs de l’Université norvégienne des sciences et des technologies ont découvert que des femmes qui prenaient des suppléments d’œstrogène au moment où commence la ménopause sont capables de préserver leur structure cérébrale, réduisant ainsi potentiellement les risques de démence.

On trouve beaucoup de récepteurs œstrogéniques dans le cerveau, spécialement dans les aires responsables de la mémoire et de l’apprentissage. Mais lorsque l’œstrogène se tarit, ces récepteurs meurent, ce qui peut avoir un impact significatif sur les fonctions cognitives. «Nous avons conduit des études qui montraient que les femmes ménopausées et qui suivent une thérapie de substitution hormonale pendant deux ans sont capables de conserver les mêmes performances cognitives, tandis que celles qui n’en prennent pas affichent un déclin, indique la Dre Tierney. Il ne fait aucun doute que cela doit faire l’objet de davantage de recherches.»

Ralentissez le vieillissement de votre cerveau grâce à ces 13 conseils faciles.

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Alzheimer : des facteurs de risques peuvent être évités.
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Prendre sa santé en main

Il y a tout de même une bonne nouvelle concernant Alzheimer : on peut faire beaucoup de choses pour en réduire le risque. «Les espoirs en matière de prévention sont bien plus important que ce que pensent les gens», affirme la Dre maki. On estime que sept facteurs de risque sont responsables de la moitié des cas d’Alzheimer dans le monde : le diabète, l’hypertension et l’obésité touchant les gens d’un certain âge, le tabagisme, la dépression, la sédentarité et le faible niveau de scolarité. Nous pouvons influencer tous ces facteurs de risque, dit-elle.

Que ce soit en s’entraînant davantage ou en adoptant un régime méditerranéen, il suffit parfois de quelques modestes changements dans notre mode de vie pour réduire considérablement quelques-uns des facteurs de risque de démence. Et nombre de ces facteurs ont un impact encore plus important sur les femmes. Commencez par essayer ces exercices physiques pour améliorer la santé de votre cerveau.

Les femmes sont plus susceptibles de souffrir d’une maladie cardiaque ou de dépression. En analysant des données provenant de 14 études et portant sur un total de 2,5 millions de participants, des chercheurs australiens ont récemment découvert que les femmes atteintes de diabète de type 2 couraient 20% plus de risque de contracter une démence vasculaire que les hommes diabétiques.

«Les femmes doivent vraiment prendre en main leur santé, confie la Dre Maki. Soignent-elles leur hypertension ou leur dépression? Prennent-elles des mesures pour prévenir le diabète et protéger leur cœur? Travaillent-elles à la réduction de leur niveau de stress?» Des études montrent ici aussi que le stress agit différemment sur les hommes et les femmes et que, en vieillissant, les femmes sont plus sensibles au niveau élevé de cortisol, l’hormone du stress. «Les approches corporelles de réduction du stress peuvent être très bénéfiques pour réduire le niveau de stress», souligne la Dre Maki. Elle vient juste de publier un article fondé sur des données factuelles prouvant que le tai-chi aide à la fois à réduire le stress et à améliorer les fonctions cognitives.

Un autre moyen de réduire le stress consiste à jumeler entraînement et socialisation, ajoute la Dre Tierney. Elle recommande d’intégrer un groupe de marche ou de se joindre à un cours de conditionnement physique communautaire. «L’exercice et l’interaction sociale réduisent le stress et vous gardent intellectuellement actif», dit-elle. Elle se désole de voir la technologie isoler de plus en plus les gens, puisque l’isolement est mauvais pour notre cerveau. «Regardez les gens dans un groupe ou dans un restaurant, ils sont tous en train de texter avec d’autres personnes. C’est vraiment bizarre : la personne qui  n’est pas là importe plus que celle qui s’y trouve.»

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Alzheimer : des recherches pourraient aboutir à de meilleures interventions.
Dragana Gordic/Shutterstock

Des lendemains meilleurs pour le cerveau de la femme

Quand Lynn Posluns recueillait des fonds pour un centre neurologique de Toronto, elle a dû ingurgiter beaucoup de statistiques sur la démence et la maladie d’Alzheimer. Ce qui l’a le plus frappée, c’est le manque de recherches portant sur la santé neurologique des femmes. Elle a donc décidé de faire entrer le facteur de la différenciation sexuelle dans le débat, quittant son emploi pour créer la Women’s Brain Health Initiative (WBHI). Cet organisme recueille des fonds pour la recherche et l’éducation consacrées au vieillissement cognitif chez la femme. «Quand j’ai commencé, il ne se faisait pas grand-chose dans ce domaine, et personne ne s’enorgueillissait de chercher à le développer, raconte Posluns. Pourtant, qu’elles succombent à la démence ou qu’elles finissent par s’occuper de quelqu’un qui en souffre, les femmes sont à 100% concernées par ce phénomène.»

Une des principales initiatives que soutient financièrement le WBHI est le Consortium canadien en neurodégénérescence associée au vieillissement (CCNV), un programme d’étude pancanadien qui réunit plus de 300 des meilleurs neuroscientifiques du pays. La Dre Tierney dirige pour sa part la branche du CCNV, qui s’occupe des différences sexuelles en matière de démence. Son travail consiste à s’assurer que l’on tient compte des problèmes liés au sexe. «Une de nos politiques est d’exiger que toute publication issue de la recherche mentionne le nombre d’hommes et de femmes sur lequel porte l’étude, explique-t-elle. Si la dimension sexuelle a été évacuée, les chercheurs doivent dire pourquoi et la considérer comme une grave lacune dans leur travail.»

Les résultats pourraient avoir un impact considérable, soutient la Dre Tierney. «L’étude des différences biologiques entre le cerveau des hommes et celui des femmes bénéficie aux deux sexes, conclut-elle. Elle nous aidera à comprendre comment la maladie progresse différemment chez les hommes et chez les femmes et pourrait aboutir un jour à de meilleures interventions pour l’ensemble de la population.»

Apprenez-en plus sur les stades de l’Alzheimer et l’évolution de cette maladie.

Best Health Canada
Contenu original Best Health Canada

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