Une application pour prendre soin de son diabète

Des patients ont mis au point une application aussi performante qu’un vrai pancréas pour traiter le diabète.

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Le diabète est une maladie capricieuse.
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Le diabète, une maladie capricieuse

J’avais 12 ans quand mon système immunitaire a éliminé les cellules bêta de mon pancréas, productrices d’insuline. Aux premiers symptômes, j’étais en vacances à Paris avec ma famille. Je me suis mis à uriner comme un fou et à boire des litres d’eau pour compenser. Je n’ai aucun souvenir de la beauté des Champs Élysées, mais je me rappelle très bien toutes les toilettes publiques où j’ai dû m’arrêter.

C’était en 1986 et le traitement du diabète était différent à l’époque. Les médecins qu’on m’avait envoyé consulter assuraient que je pouvais manger n’importe quoi à condition que je m’injecte assez d’insuline pour rétablir l’équilibre. Il est possible de gérer son diabète et d’avoir une vie agréable, disaient-ils. Ce qui n’est pas loin de la vérité, mais n’est pas simple pour autant.

Le diabète est une maladie capricieuse; vivre avec elle et la comprendre n’est pas une mince affaire. Normalement, le pancréas produit de l’insuline, une hormone qui régule le taux de glucose dans le sang. Certains diabétiques n’en produisent pas assez (on parle alors de diabète de type 2, beaucoup plus facile à maîtriser), d’autres, pas du tout (le diabète de type 1). Dans les deux cas, l’organisme est incapable de métaboliser le sucre absorbé. Quand le taux de glucose dans le sang (la glycémie) chute ou qu’il monte en flèche, de graves problèmes de santé menacent.

Heureusement, les nouvelles avancées médicales et technologiques permettent aujourd’hui aux diabétiques de type 1 comme moi de mener une vie à peu près normale. Avec les pompes à insuline, il n’est plus nécessaire de se faire soi-même les injections; par une fine tubulure qui entre dans l’abdomen, ces petits appareils délivrent une dose programmée et constante de médicament. Un capteur placé sous la peau fait la mesure du glucose en continu (MGC), laquelle est transmise toutes les cinq minutes à un téléphone intelligent. La gestion d’un diabète de type 1 reste un travail à plein temps. S’il n’est pas bien fait, vous vous sentirez très mal. Ou vous serez très malade. Ou vous mourrez.

Le chiffre magique de la glycémie oscille autour de 5 millimoles par litre de sang. Atteindre ce plateau est un défi, même si on bénéficie d’une technologie de pointe. Le diabétique doit tenir compte de plusieurs facteurs pour déterminer la quantité d’insuline à prendre: ce qu’il a mangé (et va manger) et les exercices pratiqués (et à venir). Du stress à l’activité sexuelle, tout est susceptible d’affecter la glycémie. Pour s’en sortir, il faut penser comme un pancréas – pas facile, puisque personne ne sait comment il fait.

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Et pourquoi pas un pancréas artificiel pour traiter le diabète?
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Et pourquoi pas un pancréas artificiel?

Et si un ordinateur pouvait faire ce travail à votre place, une sorte de pancréas artificiel? C’est l’eurêka de la gestion du diabète. Actuellement, le diabétique doit s’appuyer sur la pompe à insuline et la MGC pour maîtriser sa glycémie. Ces deux outils technologiques ne se parlent hélas pas. Au diabétique de décider, de surveiller et de tenir compte de tous les facteurs. Mais un pancréas artificiel dit en «boucle fermée» utilise un code pour relier ces facteurs, comme le ferait un véritable pancréas. Une fois connectée, la boucle fonctionne à l’arrière-plan, comme n’importe quel autre organe.

Science-fiction? Officiellement, il faudra attendre encore quelques années avant que les diabétiques puissent bénéficier d’un pancréas artificiel. Mais officieusement, c’est une autre histoire.

J’ai rencontré Kate Farnsworth et Pina Barbieri en novembre 2017. Les deux femmes vivent dans la grande région de Toronto et sont mères d’adolescentes atteintes d’un diabète de type 1, âgées à l’époque de 13 et 15 ans. Kate Farnsworth m’a raconté sa peur quand elle a su en 2012 que Sydney, sa fille de huit ans, souffrait de diabète. Elle s’était alors lancée dans une quête effrénée d’informations – et d’espoir.

En mai 2014, elle découvre le groupe Facebook CGM [MGC] in the Cloud, un réseau international de plus de 30 000 membres convaincus que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Kate Farnsworth décide alors de suivre le mode d’emploi proposé par le groupe et adapte l’appareil MGC de Sydney qu’elle couple ensuite à une montre intelligente, ce qui lui permet de vérifier à distance la glycémie de sa fille, où qu’elle se trouve. Elle réussit même à programmer une alarme pour être prévenue dès que les taux baissent trop.

Deux ans plus tard, elle apprend l’existence d’un groupe de codeurs amateurs aux États-Unis dont la plupart des membres, eux-mêmes diabétiques de type 1, cherchaient à améliorer l’efficacité de leurs appareils. En mettant leurs expériences en commun, ces codeurs amateurs avaient réussi à créer un programme pour iPhone appelé Loop (Android crée OpenAPS à la même époque). Loop n’est pas disponible sur l’App Store ou par les canaux officiels – aucun médecin ne le prescrira. Ses utilisateurs doivent trouver le mode d’emploi en ligne et fabriquer eux-mêmes leur appli Loop. Ce code libre jumelé à la pompe à insuline et à la MGC réunies forme un pancréas artificiel. Kate Farnsworth a su tout de suite qu’il en fallait un pour Sydney.

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Diabète: fini, la gestion de la glycémie grâce aux applications.
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Fini, la gestion de la glycémie

Confier ma vie à un logiciel maison bidouillé par quelques passionnés d’informatique n’a rien pour me rassurer. La technologie semble révolutionnaire – à condition que ça marche –, mais c’est un peu comme si on s’y fiait aveuglément. Je vis avec le diabète depuis 33 ans et j’ai du mal à croire que quelques lignes de code puissent mieux comprendre mon corps que moi.

«Mon rôle de mère a complètement changé quand Sydney a été mise sur Loop. La microgestion de son diabète que j’avais jusqu’alors assurée a été prise en charge par le système qui fait à peu près tout», explique sa mère. Fini les réveils angoissés la nuit par crainte d’une baisse de glycémie; Loop est là pour ça. «Je dors toute la nuit et, le matin, Sydney se réveille le plus souvent avec la même glycémie que la veille au moment d’aller au lit, ajoute-t-elle. C’est merveilleux.»
«Oui, elle arrive vraiment à dormir», confirme Pina Barbieri.
Une alarme se déclenche. C’est la montre de Pina Barbieri. La glycémie de sa fille Laura est montée à 17,3; c’est très élevé. La mère envoie un texto: «Tout va bien?
— Oui, je prends plus d’insuline.
— Bien.»
Je suis troublé par cet échange mère-fille. Pour moi, la glycémie a toujours été une affaire intime: la honte quand elle était trop élevée, la fierté si j’atteignais la perfection avec 5 ou 6 et l’angoisse quand elle plongeait. Comme si un bulletin de notes quotidien évaluait mon mode de vie. J’étais responsable de la gestion de mon diabète et j’avais besoin que ça reste privé. Seul mon médecin connaissait mes taux de glycémie. En écoutant Kate et Pina, je me suis demandé si je n’avais pas tout faux.

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Jonathan hésitait avant de confier son diabète à une application.
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La peur me fait hésiter

Pendant quelques mois, je me limite à lire sur Facebook les messages du groupe Looped, auquel je me suis joint en janvier 2018 et qui compte quelque 6500 membres dans le monde. Un millier d’entre eux ont adopté la méthode. D’autres, comme moi, sont simplement curieux. Après avoir tant reçu de Loop, Kate Farnsworth a voulu faire sa part pour la communauté: elle est à l’origine de la page Facebook et c’est l’une des deux bénévoles qui passent quotidiennement des heures à mettre à jour les informations, à répondre aux questions et à offrir des conseils.

Ce que j’apprends me fait pourtant hésiter. D’une part, pour que Loop fonctionne, il faut une pompe à insuline qui puisse être piratée et reprogrammée, et elles sont rares: quand l’entreprise Medtronic a constaté une faille dans la sécurité de ses produits, elle en a modifié la conception. Depuis, impossible de mettre la pompe et la MGC en boucle. En d’autres termes, les utilisateurs de Loop doivent dénicher de vieux appareils qui ne sont plus garantis. De plus, ils doivent commander aux États-Unis un RileyLink – un dispositif Bluetooth qui permet à un iPhone de communiquer avec la pompe. Quand le matériel est réuni, ils doivent fabriquer eux-mêmes leur appli Loop.

Je ne sais que répondre à Pina quand elle m’appelle pour m’inviter à participer avec d’autres à une séance de fabrication de Loop qu’elle souhaite organiser avec Kate. Elle mettra à ma disposition une vieille pompe qui peut être piratée. Elle me laissera aussi l’un des RileyLink de sa fille à condition que je le remplace. Le coût total de ce pancréas artificiel qui va changer ma vie? Deux cent cinquante dollars. La générosité de cette femme que je ne connais pas me stupéfie et je la remercie. Mais quand elle me demande de fixer une date, je reste évasif.

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Jonathan a finalement de prendre soin de son diabète grâce à une application.
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Je décide de me lancer

Les jours passent et le rêve d’un Loop continue à chatouiller mon imagination. Je contacte Graham Ladner, évaluateur scientifique de la direction des instruments médicaux à Santé Canada. Je souhaite discuter avec lui de ce pancréas artificiel maison. La pompe à insuline est habituellement considérée comme un appareil médical de classe III, m’explique Graham Ladner, mais créer une «boucle fermée» en établissant une connexion automatique avec la MGC le fait passer en classe IV, avec plus de restrictions et une difficulté accrue pour l’obtention d’une approbation de mise en marché. Car, comme les humains, les machines font aussi des erreurs.

Avec un pancréas artificiel en boucle, la MGC pourrait par exemple surévaluer ma glycémie à 16,5, alors qu’elle s’établit en réalité à 7. La pompe enverrait alors automatiquement trop d’insuline, avec pour conséquences une chute importante de ma glycémie et le risque d’une perte de conscience.

Mais même pour une utilisation normale, la pompe à insuline n’est pas sans risque. Suivant une enquête menée par la CBC en novembre 2018, ces pompes ont tué plus de gens que n’importe quel autre instrument médical commercialisé. Selon Santé Canada, entre 2008 et 2018, elles auraient été un facteur déterminant dans 103 décès et plus de 1900 incidents graves. Ce risque ne fait qu’augmenter quand vous confiez le tout à un algorithme informatisé. «Refermer la boucle soumet le patient à de nouveaux risques », ajoute Graham Ladner.

Après cette conversation, je retrouve le groupe Looped sur Facebook. À vrai dire, je ne sais pas ce que je cherche. Une confirmation ? La solution idéale ? Je lis le commentaire d’une mère qui exprime sa frustration de devoir gérer le diabète de son enfant. Des Loopers lui offrent leur soutien et proposent une avalanche de conseils. J’ai la gorge nouée et je m’effondre en larmes. Est-ce la fatigue de vivre depuis plus de 30 ans avec le diabète? Je décide alors de me lancer. Le Loop sera-t-il plus efficace que ce que j’ai déjà ? Je l’ignore, mais pour la première fois, je ne serai pas seul dans cette aventure.

Nous voici donc un samedi matin pour fabriquer mon Loop. Kate Farnsworth me remet une vieille pompe Medtronic 554. Pina Barbieri me tend une boîte de la taille d’un briquet: le RileyLink. Une fois reliés, les deux appareils échangeront avec ma MGC et le code Loop pour mettre au point mon pancréas artificiel. Autour d’une table, Kate Farnsworth nous guide à travers les étapes du codage. Un message apparaît sur l’écran de mon ordinateur: «Ceci est un projet expérimental et il n’est pas approuvé comme protocole thérapeutique.»

À la fin de l’après-midi, je transfère sur mon téléphone l’appli que je me suis fabriquée. Après avoir relié quelques fils capricieux à de minuscules blocs-piles, j’active le RileyLink. Aussitôt, toutes les données de ma glycémie et de la MGC apparaissent. À droite, l’écran affiche la quantité d’insuline déterminée par l’algorithme. À gauche, un petit cercle s’illumine en vert. Cela veut dire que je suis en boucle fermée. Mon pancréas artificiel fonctionne.

Les jours suivants, les deux femmes continuent à guider notre groupe. Au début, je me sens un peu dépassé et j’ai peur d’oublier quelque chose. Quand le RileyLink fait des siennes ou que le Bluetooth s’éteint, j’ai un moment de panique avant que tout ne redémarre. Le système est loin d’être parfait, tout le monde en convient, mais après une première nuit de sommeil, ma glycémie atteint sa valeur idéale de 5,0 le matin. Le lendemain aussi. Et le surlendemain.

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L'application pour traiter le diabète a changé sa vie.
Dragon Images/Shutterstock

Une vie changée grâce à Loop

J’utilise l’appli Loop depuis deux ans. Tous les matins, ma glycémie est quasi parfaite. Le groupe Looped sur Facebook connaît une croissance exponentielle et compte maintenant plus de 23 000 membres. En avril 2019, la pompe à insuline Omnipod est devenue compatible. Et dans un geste qui en a surpris plusieurs, Medtronic a récemment annoncé son désir de faire dialoguer ses pompes à insuline et la MGC via Bluetooth et l’appli Tidepool – en clair, une forme officielle de Loop.

Avec les changements qui s’annoncent, je suis curieux de savoir comment Kate Farnsworth envisage la suite quand le gouvernement aura approuvé un pancréas artificiel aussi performant que Loop – voire meilleur. Aura-t-elle du mal à abandonner la communauté qu’elle a contribué à créer? «Honnêtement, confie-t-elle, je serai ravie de m’affranchir de ce travail de bénévole.»

Le moment venu, elle verra peut-être les choses autrement. Après tout, grâce à Loop, je ne perçois plus ma santé de la même façon – la vie est plus qu’un bulletin de notes.

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© 2020, PAR JONATHAN GARFINKEL. TIRÉ DE «HACKING DIABETES», THE WALRUS (7 JANVIER 2020), THEWALRUS.CA

Contenu original Selection du Reader’s Digest

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