Sécateur en série: je suis le voleur de fleurs de Vancouver

Se sachant condamné, Brian Brett s’est entouré de beautés volées. Le voleur de fleurs, autrement appelé le sécateur en série, a continué de sévir.

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Je suis le voleur de fleurs de Vancouver.
Max Lindenthaler/Shutterstock

Traqueur de beauté

Je suis le voleur de fleurs de Vancouver. Je traque la beauté depuis toujours, et celle-ci a pris bien des visages.

Pour l’enfant que j’étais dans les années 1950, la beauté est apparue sous la forme d’un prunier d’un pourpre luisant, dégoulinant de sève et de fruits mûrs, des guêpes vrombissant autour de mon petit corps de singe à demi nu, tandis que je me hissais d’une branche à l’autre pour remplir mon tee-shirt de cette récolte sucrée et collante.

Au début, mes proies étaient principalement des jardins, à l’exception d’une incartade du côté des bandes dessinées et barres chocolatées qui a pris fin lorsque ma mère, droite et impitoyable, m’a pris la main dans le sac. Quelle humiliation que d’être raccompagné jusqu’à l’épicerie du coin et de devoir m’excuser platement tout en remboursant la totalité de mon butin.

Mes vilains penchants ont tôt fait de ressurgir. J’étais un enfant incorrigible. Nous avons découvert le parterre de carottes de la vieille dame du bout de la rue. Nous nous tapissions dans son jardin, arrachions les carottes, les frottions pour les nettoyer et les mâchonnions comme Bugs Bunny avant de repartir en courant, poussant des cris aigus à l’apparition de la vieille dame.

Puis est venue la découverte de la ferme de pastèques. Comme ces fruits incroyablement sucrés me manquent. Éclater les melons volés à coups de poing pour creuser de mes mains leur chair rouge me manque. Les concours de crachats de pépins me manquent. Puis, dans la chaleur de l’été, bondir dans l’eau vive et claire, tout habillé. Aujourd’hui, le ruisseau comme le champ sont peut-être toxiques, et les nouvelles variétés de pastèques hybrides ont perdu de leur intensité.

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Mes années universitaires en tant que voleur de fleurs.
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Mes années universitaires

Mes instincts malfaisants se sont à nouveau manifestés quand j’étudiais à l’université Simon Fraser. Une femme charmante m’avait rejoint dans ma maison de White Rock et, alors que nous nous promenions sur la route qui longe la plage, j’ai aperçu une rangée d’énormes tournesols qui poussaient contre un cabanon.

Cette nuit-là, je suis revenu avec un couteau, j’ai détaché la plus grosse fleur et je l’ai conservée dans un vase sur la table de cuisine. Le tournesol a impressionné ma compagne. Mais quelques jours plus tard, un sentiment de culpabilité m’a assailli et ne m’a plus quitté depuis, pendant près de 50 ans. Plus je progressais dans ma propre pratique du jardinage, plus je me sentais vil, surtout que je n’ai jamais été capable de faire pousser un tournesol aussi grand que ce majestueux géant dérobé.

Dans les années 1980, je suis devenu presque trop obsédé par l’horticulture. Cultiver mon jardin me rendait jalousement protecteur envers mes plantes ainsi que celles de mes voisins et des jardins publics.

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Le voleur de fleurs avait des soucis de santé.
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Infection inhospitalières

Puis est arrivé le terrible mois de juillet 2015. De féroces bactéries nosocomiales m’ont coûté la santé. J’ai également perdu l’amour de ma vie, qui a changé d’avis à mon sujet après 38 ans de vie commune. Nous avons dû abandonner notre paradis fermier dans l’île Saltspring, avec son verger et son grand jardin, que j’avais conçu en rêve ou en fantasme à 17 ans.

Début 2019, redevenu modeste locataire à Vancouver, on m’a découvert un cancer du foie trop avancé pour être opéré. J’avais moins de 50% de chances de finir l’année. Je ne l’ai pas cru, mais l’idée de disparaître de manière aussi soudaine m’a forcé à songer à la possibilité qu’il s’agisse de mon dernier printemps.

Je suis sorti du cabinet de ce médecin irrité par la grossièreté avec laquelle il me congédiait, puis j’ai remarqué le bleu intense du ciel. Il n’avait pas été aussi bleu depuis mes 12 ans, l’année où j’avais gravé «Il existe 287 nuances de bleu» dans le fond de ma commode, ainsi que le nom d’une jolie jeune fille que je connaissais en sixième année, pour n’oublier ni l’un ni l’autre. Et aucun d’eux n’a quitté ma mémoire, bien que la commode ait disparu depuis bien longtemps.

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L’infâme voleur de fleurs en moi s’est déchaîné.
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Que vienne le printemps!

Quel étrange printemps nous avons eu en 2019, quelle folle profusion de fleurs! Je me suis rendu compte que je devais accorder de l’attention à chacune d’elles. Puis ma cardiologue a décidé de rivaliser avec mon oncologue en perversité. Elle m’a révélé que mes chances de survie à un autre printemps étaient encore plus minces que prévu.

Ma dernière floraison! L’infâme prédateur des fleurs en moi s’est déchaîné. Je les ai d’abord cueillies dans les jardins des autres, avec leur permission la plupart du temps, ou en bordure de rues. Ma chambre s’est remplie de magnolias et de camélias, de fleurs de cognassiers et de pommiers. Le printemps le plus lumineux de ma vie.

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Le voleur de fleurs étaient comme la milice de l'élagage.
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La milice de l’élagage

J’étais toujours convaincu d’être invulnérable, comme tous ceux sans doute qui se savent condamnés. J’ai poursuivi mes rafles. Le vol de fleurs est un acte cruel, j’en ai conscience, mais je m’y connais et mon élagage était donc très habile. En outre, et pour ma défense, je m’en tenais généralement aux voies publiques. Si la ville possède quelques brillants arboriculteurs, elle manque manifestement d’employés pour tailler correctement tout ce qui le nécessite; j’ai donc offert une petite coupe aux arbres tout en prélevant leurs fleurs. On pourrait appeler cela milice de l’élagage.

Ce n’est pas ce que le premier imbécile venu armé d’une scie peut mener à bien. L’élagage est un art complexe. Par exemple, je stérilisais mes sécateurs entre deux arbres pour ne rien transmettre d’une plante à l’autre.

Tout en menant mes razzias, je songeais à une citation attribuée à Bouddha: «La vigilance est le chemin du royaume immortel. La négligence celui qui conduit à la mort. Les vigilants ne meurent pas, les inattentifs sont comme déjà morts.»

C’est pourquoi je me suis entiché des deux splendides camélias qui poussent dans mon jardin. Des siècles plus tôt, un intrépide jardinier japonais a remarqué que certains camélias ternissaient, même en pleine floraison. Plutôt que de réaliser des croisements pour corriger ce défaut, il les a cultivés pour l’accentuer, afin que ses compatriotes éprouvent le caractère éphémère de la vie et la présence de la mort jusque dans ces corolles élégantes et presque parfaites.

Je n’avais jamais imaginé que tant de fleurs encombreraient bientôt mon logis. Comme il y avait déjà des orchidées à mon chevet, la pièce a bien vite été envahie. (J’ai gardé les orchidées, car si d’aventure je mourais dans mon sommeil, elles seraient la dernière chose que je verrais en éteignant la lumière.) Ce magnifique dilemme s’est corsé à cause de mon chaton, qui a découvert que les vases débordant de fleurs de cognassiers, cerisiers et pruniers ainsi que de camélias, roses et pivoines faisaient d’excellentes cibles pour son vandalisme.

Et pourtant, j’en redemandais. Si une fleur particulièrement spectaculaire s’épanouissait dans un jardin, je frappais à la porte de son propriétaire pour demander à la cueillir. Même ceux qui ne parlaient pas anglais me comprenaient rapidement, avec mes sécateurs et mes grands gestes en direction d’une branche. Ils ont toujours hoché la tête en signe d’acquiescement.

Sauf une fois. En gagnant la porte pour frapper, j’ai aperçu à travers les rideaux un homme de grande stature et une femme blottis sur le canapé, en train de regarder la télévision. Ils n’ont pas bougé. J’ai donc toqué une deuxième fois. La femme s’est levée, s’est avancée jusqu’à la fenêtre, a écarté le rideau et m’a regardé fixement avant de retourner sur le canapé.

J’en ai été tellement offensé que j’ai coupé une branche pendante de son superbe magnolia en rejoignant le trottoir. Maintenant je me sens coupable de cela aussi. Peut-être qu’un gang local la harcelait ou qu’il s’agissait d’une réfugiée apeurée; toutes sortes de raisons pouvaient expliquer son impolitesse.

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Le voleur de fleurs était un sécateur en série.
Photo de Barry Peterson et Blaise Enright
Brian Brett, à l’île Saltspring, en 2005.

Sécateur en série

J’ai commencé à me promener en début de soirée pour cartographier la position des plus belles fleurs. Lorsque la lumière déclinait, je fonçais et m’affairais tel Edward aux mains d’argent, refaisant une beauté à une aubépine ou à un Magnolia liliflora nigra ébouriffés, avant de fuir les lieux du crime avec mes biens mal acquis.

Je devrais recevoir une médaille de citoyenneté pour avoir ainsi fait don à la ville de mes décennies d’expérience en élagage, mais je serai probablement arrêté pour la rédaction de cet article.

Vancouver est mondialement reconnue pour ses superbes arbres publics. Certains possèdent une histoire complexe. Par exemple, ses 500 premiers sakura, ou cerisiers du Japon, étaient un cadeau des maires de Kobe et de Yokohama pour exprimer leur gratitude envers les Nippo-Canadiens partis au front lors de la Première Guerre mondiale.

Malheureusement, nous les avons remerciés 10 ans plus tard en internant tous les résidents japonais dans des camps de prisonniers.

Aujourd’hui, on compte environ 20000 cerisiers de diverses variétés poussant au milieu des magnolias, des pruniers et de centaines d’autres arbres.

Découvrir l’histoire des arbres de ma ville m’a rappelé à la dure réalité, et j’ai pris conscience avec horreur de ce que je faisais. J’ai donc rangé une nouvelle fois mes sécateurs. O mother tell your children not to do what I have done! (Oh, mère, dis à tes enfants de ne jamais faire ce que j’ai fait, tiré de la chanson «House of the rising sun», des The Animals). Traitez nos jardins publics avec respect. Préservez les fleurs pour vos enfants. Soyez vigilants.

Quant à moi, j’ai été récompensé par un nouveau diagnostic de survie d’un an.

Un nouveau printemps a éclos mais je ne rôderai plus le soir, sécateurs en main, quand bien même mon cœur abîmé explose telle une rose d’un rouge profond.

La beauté volée possède une qualité singulière et dangereuse. C’est aussi une qualité destructrice, jamais aussi belle que la beauté au naturel. Notre réel devoir est de nous épanouir et de pousser avec fulgurance, puis de faner et de mourir.

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© 2019, BRIAN BRETT. EXTRAIT DE «IF DOCTORS SAID THIS WAS YOUR LAST SPRING, WHAT WOULD YOU DO?» THETYEE.CA (20 JUIN 2019)

Contenu original Selection du Reader’s Digest

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