Jane Goodall: nourrir l’espoir environnemental

Jane Goodall poursuit inlassablement sa mission de sensibilisation sur la diminution de la biodiversité de la planète.

Portrait de Jane Goodall.Brit Kwasney

Lors de sa visite à Victoria, au Canada, en 2022, Jane Goodall affichait un air serein. La canne à la main, prenant appui sur l’épaule d’une assistante, la célèbre éthologue s’est avancée devant une foule nombreuse. Puis en quelques bonds, elle a traversé la scène, aussi agile que possible – sans s’aider de la canne. «C’était la pauvre Jane Goodall de 88 ans», a-t-elle lancé dans le micro d’un ton malicieux.

La plus célèbre primatologue du monde ne ralentit pour aucune cause ni pour personne. Quand je l’ai retrouvée sur Zoom, quelques mois après sa visite à Victoria, elle était à Los Angeles. Sa dernière étape dans un agenda bien rempli pour livrer le message appris lors de l’observation des chimpanzés dans leur habitat naturel il y a quelques décennies.

Même dans une métropole tentaculaire comme Los Angeles, elle cherche les oasis de nature. «Si je suis dans un hôtel et qu’il y a un arbre, il m’arrive de déplacer le lit pour pouvoir le voir, confie-t-elle. Un petit oiseau s’est posé sur le palmier devant la fenêtre. Ça me plaît.»

Le message qu’elle veut nous transmettre – nous faisons partie du règne animal et avons tous un rôle à jouer dans l’entreprise de sauvetage de la planète – n’a probablement jamais été aussi important.

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Vous dites que l’espoir est une technique de survie qui permet de continuer à faire face à l’adversité. Depuis quelque temps, le cynisme est presque à la mode, comme baisser les bras et affirmer que, de toute façon, c’est sans espoir. Comment expliquez-vous ce désespoir qui semble gagner un grand nombre de personnes?

Il suffit de jeter un regard sur le monde pour perdre espoir. Ce qui se passe sur la scène politique, sociale et environnementale ne peut que susciter un sentiment d’impuissance et de désespoir. Il y a la guerre en Ukraine, le net recul de la biodiversité, les forêts que nous continuons à perdre, l’agriculture industrielle qui empoisonne le sol… Le tableau est sombre. Impossible de ne pas se sentir attristé.

Alors quand les gens me disent qu’ils ont perdu tout espoir, je leur réponds: «Cessez de regarder ce qui se passe dans le monde. Pensez à ce qui se déroule autour de vous, à un projet qui vous tient à cœur et retroussez les manches, faites quelque chose.»

Avec tout ce que vous avez vécu, vous n’avez jamais perdu espoir?

Il m’est arrivé d’éprouver du désespoir dans les moments où ça allait mal. Quand quatre de mes étudiants ont été kidnappés, par exemple [du centre de recherche de la réserve de Gombe Stream, en Tanzanie, en 1975], et que le financement du projet Gombe a fondu. Je craignais que tout ne s’arrête. Je savais que c’était impossible, alors en toute humilité, j’ai fait le tour des organismes de financement. Au même moment, je cherchais un nouveau directeur général pour l’institut Jane Goodall, aux États-Unis. La situation paraissait désespérée.

C’était une époque difficile, mais nous avons réussi à nous en sortir. Je ne pense pas avoir jamais perdu espoir. J’étais dos au mur, mais plus déterminée que jamais à me battre. [Note de l’éditeur : Les étudiants ont fini par être libérés et le centre de recherche Gombe est toujours en activité.]

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Jane Goodall, jeune, au centre de recherche de Gombe en Tanzanie.JGI/Hugo Van Lawick
Jane Goodall, jeune, au centre de recherche de Gombe en Tanzanie.

Est-il encore possible de renverser ce sentiment de colère et de désespoir?

Oui, par l’action. Car la colère et le désespoir n’aident pas. Bien sûr qu’on éprouve de la colère, mais il faut pouvoir la canaliser pour faire la différence.

À l’heure des bilans, avez-vous des regrets?

Pas vraiment. J’ai commis des erreurs, mais qui n’en fait pas? J’ai essayé d’apprendre de ces erreurs. J’aurais peut-être aimé que mon premier mariage dure, mais ça n’a pas été possible. Dommage, surtout pour mon fils. Mais c’est la vie. Ça ne marchait pas, alors il fallait y mettre un terme.

Sinon, je n’ai pas de grands regrets. Enfin, j’ai fait des choses stupides et j’ai dû m’amender et recommencer.

Vous avez pu observer les changements dans la biodiversité au cours de votre existence?

Ils sont colossaux. Prenez la maison dans laquelle j’ai grandi [à Bournemouth, en Angleterre]. J’en suis propriétaire avec ma sœur – elle vit là avec sa famille et j’y retourne entre mes déplacements. Je dirais que 50% des oiseaux que je voyais dans mon enfance ont disparu, essentiellement à cause des herbicides et des pesticides, de la prolifération des routes et de la circulation. D’ailleurs, il n’y a plus de hérissons dans cette région.

Quand j’étais enfant, si on ouvrait les fenêtres le soir et que la lumière était allumée, la pièce se remplissait d’une multitude d’insectes. Aujourd’hui, je suis contente quand je vois entrer un papillon de nuit. C’est une autre raison qui explique la disparition des oiseaux. La perte de la biodiversité, je l’ai vécue dans ce lieu.

Quel genre d’engagements attendez-vous des leaders du monde pour résoudre ces problèmes?

J’aimerais qu’ils ne se contentent pas de promesses. Et qu’on trouve un moyen de les obliger à respecter leurs engagements. De nombreuses COP [les conférences internationales tenues par les Nations unies] ont fait de très belles promesses. Mais si je pense à l’accord de Paris [en 2015, sur le changement climatique], aucun pays n’a respecté ses engagements en matière d’émissions. Alors je ne sais pas. On espère toujours.

La mise en réseau est au cœur de ces COP. Ces conférences réunissent des groupes passionnés par la conservation. Il faut de la collaboration pour inverser le changement climatique et la perte de la biodiversité. Les deux sont liés, car le changement climatique affecte nécessairement la biodiversité.

Au parc national de Gombe en 2010; (à droite) Jane Goodall étudie les chimpanzés depuis plus de 60 ans.(À gauche) Chase Pickering; (À droite) Apic/Getty Images
Au parc national de Gombe en 2010; (à droite) Jane Goodall étudie les chimpanzés depuis plus de 60 ans.

Vous arrive-t-il d’avoir envie de ralentir et d’en faire moins? Qu’est-ce qui vous motive encore?

Pas mal de gens m’ont dit qu’au plus fort de la crise de la COVID-19 j’avais sans doute apprécié de ne plus voyager et de rester à la maison. Mais je n’ai jamais été aussi épuisée que durant cette période, parce que j’assurais jusqu’à quatre appels Zoom par jour, avec le monde entier. J’ai d’ailleurs usé ma voix et je ne l’ai jamais vraiment récupérée. J’ai assuré en virtuel des conférences, des séminaires, des tables rondes, puis des messages. Tout ça pour les instituts Jane Goodall – il y en a 27.

C’était continuel, je n’ai pas eu un jour de congé. Le nombre de visites sur les réseaux sociaux a bondi, passant de millions au début de la pandémie, à environ un milliard aujourd’hui.

Il a donc été décidé que Jane travaillerait moins, qu’elle ferait plus de Zoom et de réseaux sociaux, ce genre de chose. Vous devinez le résultat. Aujourd’hui, je voyage et je participe à des réunions sur Zoom.

Vous pourriez ralentir. Pourquoi continuer à faire tout ça?

Je suis venue au monde pour une raison. J’ai une mission: entretenir l’espoir et encourager les gens à agir maintenant. On ne peut pas se contenter de gémir et de se plaindre, ou de parler de ce qu’il faudrait faire. Il faut se retrousser les manches et se mettre au travail.

Il est possible tous les jours de faire la différence et nous pouvons choisir quel genre de différence nous voulons faire. Si choisir un mode de vie éthique mobilise suffisamment, nous avancerons vers un monde meilleur.

Par où commencer ?

Par rapport au changement climatique et à la perte de la biodiversité, l’agriculture industrielle, particulièrement l’élevage des animaux, est l’un des problèmes majeurs auxquels nous sommes confrontés.

Il y a des milliards d’animaux dans les fermes industrielles et il faut tous les nourrir. On déboise de vastes étendues pour faire pousser les aliments dont on nourrit ces animaux et on utilise beaucoup de carburant fossile pour déplacer la nourriture, pour apporter les céréales aux bêtes et pour envoyer la viande sur notre table. Ces animaux produisent du méthane, un gaz à effet de serre très virulent. Tout cela contribue au changement climatique.

[Je recommande] d’opter si possible pour une alimentation végétalienne. Sinon, soyez végétarien. Quand vous découvrez comment sont traitées les poules pondeuses et les vaches laitières, vous ne voulez plus manger ces œufs et boire ce lait. Alors j’ai arrêté.

Depuis quand êtes-vous végétalienne?

Je ne suis pas une végétalienne stricte. Je l’ai été pendant la pandémie parce que j’étais à la maison et que je pouvais choisir ce que je mangeais. Mais quand on voyage tout le temps, sauf à transporter les aliments avec soi, il est difficile d’être totalement végétalienne.

Je suis devenue végétarienne après avoir lu La libération animale, le livre de Peter Singer [paru en 1975], et j’essaie autant que possible aujourd’hui d’être végétalienne.

À quoi ressemble une journée idéale pour vous ?

Une journée idéale, c’est être quelque part dans la nature.

© 2022, The Narwhal. Tiré de «Jane Goodall on hope, fatigue and finding pockets of nature wherever you are», par Emma Gilchrist, The Narwhal (10 décembre 2022), thenarwhal.ca

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