Un combat médical contre les changements climatiques

Dans son cabinet, devant les micros des médias ou au milieu d’une manifestation, la Dre Claudel Pétrin-Desrosiers a fait des changements climatiques son grand combat médical.

Portrait de la Dre Claudel Pétrin-Desrosiers, qui souhaite prendre soin de la planètePhoto de Cindy Boyce

Canicules, inondations, sécheresses, érosions des berges: autant d’événements exceptionnels qui bouleversent notre société, brisent des vies, et rendent parfois nos gouvernements impuissants.

Ces phénomènes liés aux changements climatiques ne font pas que les manchettes; ils affectent directement le mieux-être des citoyens. Chaque jour, au CLSC Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal, la Dre Claudel Pétrin-Desrosiers constate l’étendue des dégâts, mais sa prise de conscience des liens (dangereux) entre la dégradation de l’environnement et l’état de santé de ses concitoyens n’est pas nouvelle. Pendant ses études collégiales à Gatineau d’où elle est native, on pouvait déjà la croiser dans des manifestations, réclamant plus de justice sociale. Elle voulait activement participer à ces transformations, et sa ferveur n’a jamais fléchi depuis. Entre lettres ouvertes, conférences et débats publics, cette trentenaire n’a pas l’intention de rester les bras croisés ni de ranger son stéthoscope. Notre planète est malade, et elle tient à être à son chevet.

Adolescente, rêviez-vous d’une carrière en médecine?
Rien ne m’y destinait! Au secondaire, un professeur de français m’avait dit que c’était une avenue possible, et qu’au cégep, avec une excellente cote R, je pourrais postuler en médecine. Mes parents m’encourageaient à faire ce que je voulais, mais c’était la première fois que cette option était sur ma trajectoire. La question des droits de la personne me tenait déjà à cœur, j’idéalisais Médecins sans frontières, et j’ai choisi d’étudier à l’Université de Montréal parce qu’il y avait un groupe très actif au sein de la Fédération internationale des associations d’étudiants en médecine. Dès ma première année, par le biais d’un ami de la Fédération, j’ai découvert peu à peu les impacts des changements climatiques sur la santé. Ce n’était pas très connu à l’époque.

Ce que vous avez trouvé a visiblement transformé votre pratique, et votre vie. De quoi devrions-nous nous inquiéter?
Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat souligne à quel point le consensus scientifique est clair: l’humanité va dépasser le fameux 1,5 degré Celsius aussi rapidement qu’en 2030. Concrètement, cela signifie que les vagues de chaleur vont amplifier en intensité, en durée et en fréquence. Celles-ci provoquent des feux de forêt, en plus de causer une détérioration importante de la qualité de l’air, et vont accroître les maladies pulmonaires, dont l’asthme. On sait également que les inondations entraînent des impacts psychologiques importants, comme l’anxiété et la dépression. Tous ces effets négatifs sont décuplés chez des groupes plus vulnérables… et ce sont souvent ceux qui ont le moins contribué aux changements climatiques.

On parle beaucoup en ce moment de l’importance de protéger la biodiversité. En quoi celle-ci nous aide-t-elle à préserver et à améliorer, notre santé?
Les menaces à la biodiversité sont nombreuses, de la destruction des milieux naturels à la pollution des sols et de l’eau. Plus elle est mise à mal, et plus les risques pour la santé humaine augmentent, car cela favorise l’émergence et la propagation de maladies infectieuses, dont la maladie de Lyme, et certaines encore inconnues de la science. En résumé, notre santé est foncièrement dépendante des écosystèmes et des différentes formes de vie qu’ils hébergent. Les détruire et perturber le fonctionnement du vivant nous met tous en danger.

Au fond, la nature n’est-elle pas notre meilleur remède?
Les médecins auraient tout intérêt à prescrire des bains de nature à leurs patients: des recherches en Angleterre auprès de 20 000 personnes démontrent que deux heures par semaine améliorent la santé psychologique. Nous savons déjà qu’après un contact de 15 à 20 minutes, la fréquence cardiaque, la tension artérielle et le taux de cortisol sanguin diminuent de manière importante.

Votre position tranche avec celle de beaucoup de gens pour qui la santé se résume à l’efficacité des hôpitaux et l’accessibilité des médicaments.
En 2015, on a coupé 30% des ressources dont dispose un organisme de prévention comme la Direction de la santé publique; on récolte donc ce que l’on a semé… Cela montre à quel point les politiciens ont une vision étroite de la santé. Heureusement, dans le milieu médical, j’ai vu un changement énorme ces dernières années sur la question des impacts des changements climatiques. Les facultés de médecine, les institutions médicales et même le Collège des médecins s’y intéressent de plus en plus.

Il faut tout de même souligner que le réseau québécois de la santé émet à lui seul de 4,6% à 5,1% des émissions nationales de GES. Ne devrait-il pas donner l’exemple en les réduisant? Et doit-il le faire dans un contexte pandémique?
La question n’est pas de savoir s’il doit le faire, mais quand ? En Angleterre, le National Health System (NHS) a déjà commencé [entre 2007 et 2017, il a réduit ses émissions de 18,5%] et ici, le Centre hospitalier de l’Université de Montréal aspire à devenir carboneutre d’ici 2040. Ce sont souvent des initiatives menées par des médecins, et appuyées par d’autres professionnels. Mais ce n’est pas une priorité du ministère de la Santé; nous avons très peu d’écoute sur cet enjeu. Quand on affirme que ça pourrait nuire à la qualité des soins, le NHS a déjà sa réponse: le réseau de la santé a la responsabilité de ne pas contribuer aux fardeaux des maladies. C’est affirmé avec tant de conviction que personne ne remet ça en question. Ce que je déplore, c’est l’absence d’une stratégie à plus grande échelle alors qu’une pratique médicale plus écoresponsable est possible.

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Contenu original Selection du Reader’s Digest