Fait vécu: sauvé sur le mont Washington grâce à une randonneuse

Pam Bales marchait sur le mont Washington quand la tempête de neige a commencé, l’empêchant de poursuivre sa route. C’est alors qu’elle a remarqué des empreintes de pas dans la neige. Elle ne s’attendait pas à sauver la vie d’un inconnu.

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Cette randonneuse lui a sauvé la vie.
Jon Bilous/Shutterstock

Laissant la chaussée de Base Road, Pam Bales s’engage sur le sentier enneigé du Jewell Trail, première étape d’une randonnée de six heures dans le parc d’État du mont Washington, dans le New Hampshire. À 70 ans, équipée pour parer à presque toute éventualité, elle compte marcher seule.

Une feuille posée sur le tableau de bord de son VUS détaille l’itinéraire: le Jewell Trail, l’arête sud le long du Gulfside Trail, le sommet du mont Washington, Crawford Path jusqu’au Lakes of the Clouds Hut, descendre le Ammonoosuc Ravine Trail, retour à la voiture avant le mauvais temps. Pam laisse toujours une copie de son parcours dans le véhicule et une autre aux membres de l’équipe de recherche et de secours de Pemigewasset Valley dont elle est l’une des bénévoles.

Il sera bientôt 8h, ce matin du 17 octobre 2010. Les dernières prévisions de l’observatoire du mont Washington font état d’un risque d’averse au sommet avec un refroidissement éolien de -12°C à -17°C. Les vents souffleront bien au-delà des 100 km/h.

Pam est confiante. Et puis elle a prévu deux autres trajets et quelques couches supplémentaires de vêtements au cas où les conditions météorologiques se dégraderaient.

Lors d’un prochain séjour, n’hésitez pas à tester l’une de ces randonnées spectaculaires à faire aux États-Unis.

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Une randonnée plutôt agréable... au départ
Avec la permission de Pam Bales
À 8h30, Pam prend un égoportrait pour attester de sa montée du Jewell Trail sur le mont Washington, connu pour ses conditions météorologiques extrêmement changeantes.

Une randonnée plutôt agréable… au départ

La marche est agréable dans le Jewell Trail. Les sentiers enneigés ont quelque chose d’exaltant. À 8h30, toujours sous la limite forestière, Pam s’arrête un instant pour une première série d’égoportraits en débardeur polaire et pantalon de randonnée. Le ciel brille à travers les arbres et projette une ombre sur son visage radieux.

Moins d’une heure plus tard, elle sourit pour une nouvelle photo, mais l’air s’est nettement rafraîchi. Elle a enfilé un chandail en polaire et des gants. Le soleil s’efface derrière le léger brouillard opaque et un voile blanc couvre les bouleaux et les conifères.

Les nuages épais descendent maintenant du sommet du mont Washington où le thermomètre indique -4°C avec des rafales à 80 km/h dans le brouillard et la neige lourde.

À 10h30, le froid est plus mordant. Pour se protéger des bourrasques et d’un brouillard épais, Pam rajoute d’autres couches – veste molletonnée, lunettes de protection, moufles d’alpinisme. Elle a réussi à franchir l’arête qui va vers le mont Washington, mais envisage de rebrousser chemin.

Plus loin sur le sentier, elle remarque alors des empreintes de pas dans la neige, vraisemblablement une personne seule. Elle avait bien vu quelques traces légères plus tôt, sans y prêter attention, le Jewell Trail étant assez fréquenté. Sauf que le marcheur est en espadrilles, ce qu’elle n’avait pas alors noté. Elle gronde intérieurement l’imprudent qui a dérogé aux règles élémentaires de sécurité et poursuit son chemin.

Pam marche d’un bon pas, mais à 11h elle commence à souffrir du froid. Elle enfile un autre pull sous sa veste et referme bien le masque et les lunettes. J’ai bien fait de prendre tous ces vêtements, songe-t-elle. Elle se résout à abandonner son projet. Faire le sommet n’était qu’une possibilité. Avec la météo qui se dégrade, il vaut mieux retourner à sa voiture.

Lisez le témoignage bouleversant de Monique Richard, une factrice québécoise qui a continué l’alpinisme même après un drame.

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Cette randonneuse a suivi ses empreintes et lui a sauvé la vie.
Irma Kniivila

Suivre les traces ou rentrer?

Des rafales mugissantes l’attaquent dans le dos et sur le côté gauche. Dans le Gulfside Trail, Pam se laisse guider par les traces d’espadrilles. Luttant contre le vent et la neige fondante, elle cherche un abri. Soudain, les empreintes quittent le sentier et bifurquent à gauche.

Cette fois, elle est inquiète. Avec une visibilité quasi nulle, le randonneur ne pourra jamais retrouver sa route. Pam reste figée. Le mercure est en train de plonger et, dans quelques heures, il fera nuit. Si elle suit les traces, l’itinéraire déjà modifié sera plus risqué et le retour plus long. Mais impossible d’abandonner. Elle s’engage à gauche et crie dans le brouillard givré.

Rien. Elle répète: «Il y a quelqu’un? Avez-vous besoin d’aide?»

Une rafale emporte sa voix. Pam souffle dans le sifflet de survie. Elle a l’impression d’entendre quelque chose, mais c’est le vent. Elle suit avec prudence les traces solitaires. Le retour devra attendre.

Pam lutte pour ne pas tomber. Après une dizaine de mètres, elle arrive à un tournant. C’est là qu’elle le voit: l’homme est assis, immobile, encadré par des boulders. Elle s’approche.

N’hésitez pas à suivre les conseils d’une pro de la randonnée pédestre avant de vous lancer.

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À 11 h, le temps se gâte et Pam décide de rebrousser chemin. Heureusement pour le randonneur désespéré, elle ne lâchera pas.
Avec la permission de Pam Bales
À 11h, le temps se gâte et Pam décide de rebrousser chemin. Heureusement pour le randonneur désespéré, elle ne lâchera pas.

La découverte de John

«Bonjour», articule-t-elle. L’homme ne réagit pas. Il porte des espadrilles, un short, un coupe-vent et des gants sans doigts. Il n’a rien sur la tête. Sa veste légère est couverte d’un givre épais. Bougeant à peine la tête, son regard se tourne lentement vers Pam. Il y a un déclic. La recherche curieuse se transforme soudain en mission de sauvetage. Forte de sa formation médicale en milieu sauvage, Pam tente d’évaluer le niveau de conscience de l’égaré. «Comment vous appe­lez-vous?» lui deman­de-t-elle.
Pas de réponse.

«Savez-vous où vous êtes?» Rien. Il a le teint pâle et cireux, le regard vitreux. À l’évidence, il ne comprend pas ses propos. Il est en hypothermie.

L’idée de l’abandonner pour assurer sa propre survie lui est insupportable, mais elle sait aussi qu’elle ne doit pas se mettre en danger. Et que le temps est compté. Alors qu’il reste assis contre le rocher, elle le déshabille en ne laissant que le tee-shirt et le slip.

Parce qu’il ne parle pas et que le contact est si intime, elle lui donne un prénom: John. Elle colle un chauffe-orteils directement sur ses pieds nus. Elle vérifie qu’il n’y a ni blessure ni traumatisme. Tout va bien. Elle sort de son sac un pantalon de ski, des chaussettes, un bonnet et une veste. Il faut qu’elle arrive à lui mettre des vêtements secs. Il est paralysé par le froid et ne peut pas s’aider.

Quand elle a fini, Pam sort un sac de couchage d’urgence qu’elle tient fermement pour que le vent ne l’emporte pas. Elle le glisse sous le corps immobile et l’en enveloppe.

Elle active d’autres feuilles chauffantes qu’elle colle sur les aisselles, le torse et dans le cou. Elle emporte toujours avec elle un thermos de chocolat chaud et des cubes d’électrolytes à mastiquer. Elle jette quelques cubes dans le chocolat puis, retenant la tête de John d’une main, le thermos de l’autre, elle verse un peu de liquide chaud dans sa bouche.

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D'un coup, la tempête de neige arrive et surprend Westcott.
Andreiuc88/Shutterstock

L’espoir

Au cours de l’heure suivante, John commence à bouger les membres et à parler. Il peine à articuler et raconte être parti du Maine, le matin, alors qu’il faisait 15°C. Il prévoyait suivre la même boucle que Pam – un itinéraire qu’il connaît bien. Mais avec une visibilité dégradée, il s’est perdu et a décidé de s’asseoir à cet endroit. Même en se réchauffant, John reste léthargique.

Pam n’ignore pas qu’il mourra rapidement s’il ne reçoit pas d’aide. Elle regarde l’homme droit dans les yeux: «John, il faut partir, maintenant.» C’est sans appel. Elle va descendre et il va la suivre. Le vent tourbillonne autour des boulders qui les ont protégés jusque-là. Elle l’aide à se redresser avant d’ordonner: «Vous me collerez aux fesses, John.»

Elle doit se montrer énergique – John semble à un cheveu de tout lâcher et de s’endormir. Elle refuse d’être le témoin de cela.

Rebrousser chemin paraît la seule solution viable. Sur l’arête traversée plus tôt, la visibilité est si mauvaise qu’ils avancent à petits pas. Pam suit les trous laissés le matin dans la neige par ses bâtons.

Quand John tombe, elle ne laisse rien transparaître de son inquiétude grandissante. Elle le sent près d’abandonner. Assis, les épaules affaissées, les mains sur les genoux, il dit être épuisé et qu’il en a assez. «Hors de question, John. Le plus dur reste à venir, alors debout, secouez-vous et avancez!» Il se relève péniblement et elle éprouve un immense soulagement.

Souvenez-vous de ces tempêtes de neige mémorables au Québec et au Canada.

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À l'aube, la tempête de neige s'est calmée.
Zastolskiy Victor/Shutterstock

John va-t-il résister?

Ils ont parcouru un peu plus de 500 mètres quand ils arrivent à l’embranchement du Gulfside Trail et du Jewell Trail. Ils ont amorcé la descente vers 14h et il s’est déjà écoulé près d’une heure. Le soleil va se coucher dans trois heures. Les arbres les protègent du vent, mais il fait plus sombre sous la canopée. Pam allume sa lampe frontale, mais elle n’en a qu’une pour deux. Elle doit ralentir quand la pente se raidit et se retourner afin d’éclairer le sentier pour John.

«Continuez, John; tout va très bien», répète-t-elle.

La descente est ardue et Pam craint que John ne résiste à ses efforts pour le sauver. Un peu avant 18h, ils arrivent enfin au départ du sentier, épuisés. Il leur aura fallu quatre heures. John peut marcher seul, mais il est vidé – il n’a qu’une envie, retrouver sa voiture.

Pam démarre le moteur de son véhicule et pose les vêtements gelés de John près du chauffage pour en chasser l’humidité.

«En partant si légèrement vêtu, pourquoi n’avez-vous pas vérifié les conditions météorologiques?» lui demande-t-elle.

John ne répond pas. Il se contente de la remercier, puis il monte dans sa voiture et roule dans le stationnement vide vers la sortie. À 18h07, l’observatoire du mont Washington enregistre la plus forte rafale de la journée à 141 km/h.

Debout, seule dans la pénombre, Pam s’adresse à la nature sauvage: «Mais que s’est-il passé?»

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Les lettres de Circleville
Shutterstock

Les réponses à toutes ces questions

Elle aura la réponse une semaine plus tard, quand le président de son équipe de secours recevra une lettre par la poste, avec un don glissé à l’intérieur. Voici ce qu’elle disait:

«J’espère que cette lettre trouvera les bonnes personnes. Cette démarche n’est pas facile, mais je vais la tenter, car elle fait partie de ma thérapie. Je souhaite rester anonyme, mais récemment, je me suis fait appeler John. Le dimanche 17 octobre, j’avais décidé de mettre fin à mes jours sur mon sentier préféré, le Jewell Trail. Les conditions météorologiques s’annonçaient exécrables. Je m’attendais à ne croiser personne. J’étais vêtu pour mourir rapidement. Sauf qu’une femme est apparue, elle m’a parlé, elle m’a déshabillé pour me mettre des vêtements chauds, elle m’a donné à manger, elle m’a réchauffé. Elle n’a jamais cessé de me parler, elle m’appelait John et je ne la contredisais pas. J’ai fini par savoir qu’elle s’appelait Pam.

«La météo était très mauvaise et je lui ai dit de me laisser, de poursuivre sa descente, mais elle a refusé. Elle m’a relevé et ordonné de la suivre, tout en continuant à me parler. Je l’ai suivie, mais j’ai songé à m’enfuir – elle ne m’aurait pas vu. Sauf que c’est moi qui voulais mourir et je ne voulais surtout pas que quelqu’un d’autre perde la vie, car je savais qu’elle partirait à ma recherche.

«Pendant tout ce temps, elle a fait preuve de compassion, de détermi­nation et de confiance. Je vivais des moments difficiles et j’avais le sentiment de n’être plus rien, mais pas pour Pam. Elle devait croire que j’étais le plus idiot des randonneurs, mais elle ne m’a jamais dénigré. Peut-être n’était-ce pas mon heure. J’avais encore une place dans l’existence.

«Par la suite, je m’en suis terriblement voulu de ne pas l’avoir remerciée dans les règles. Si elle est à l’image de l’organisation, vous êtes une équipe formidable. Acceptez cette modeste contribution qui témoigne de ma reconnaissance pour les efforts que cette femme a déployés, malgré le risque évident qu’elle courait. “Non” ne semble pas faire partie de son vocabulaire.

«Je reçois de l’aide pour mes difficultés mentales. Cela me permettra de trouver un travail et je bénéficie pour le moment d’un logement provisoire. J’ai maintenant un but dans la vie grâce à des gens merveilleux comme vous. J’ai lu le nom de votre organisation sur le sac de Pam et sur l’autocollant de sa voiture.
En vous remerciant de tout mon cœur, John.»

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Le bénévolat est un remède naturel contre la dépression.
Waraporn Wattanakul/Shutterstock

Tout le monde pourrait être John

Depuis qu’elle a secouru John il y a 10 ans, Pam est devenue une sorte de légende chez les randonneurs. Elle ne l’a jamais voulu, mais l’a certainement mérité. Elle a été profondément émue par le geste de John, et heureuse d’apprendre qu’elle a su lui faire sentir qu’il comptait pour elle.

Certains m’ont demandé si en racontant cette histoire je ne souhaitais pas au fond retrouver John. Mais l’idée de le chercher me paraissait mauvaise.

D’une certaine façon, j’ai trouvé John et il est tout près de moi. John est mon voisin, c’est un bon ami, un collègue, un membre de ma famille. Je pourrais être John.

Nous connaissons parfois des épisodes où un sentiment d’impuissance nous envahit. Seuls, persuadés d’être privés de soutien affectif et réconfortant, nous cherchons hors des sentiers battus ce qui pourrait nous libérer de l’épreuve. Plusieurs arrivent à s’en sortir sans aide. D’autres, tel John, sont sauvés par des gens comme Pam Bales.

Tout le monde ne s’en sort pas aussi bien malheureusement. Le témoignage de cet homme qui s’est perdu dans la tempête va vous toucher.

©2019, par Ty gagne. New Hampshire Union Leader (5  janvier 2019), unionleader.com.

Contenu original Selection du Reader’s Digest

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