Camion suspendu: un sauvetage incroyable sur le pont

Son camion se balance à plus de 20 mètres au-dessus d’une masse d’eau impétueuse, sous des vents atteignant 80km/h. Le seul espoir de ce chauffeur piégé réside dans une équipe de sauveteurs d’urgence bien entraînés – eux-mêmes bloqués dans la circulation. Un sauvetage périlleux.

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Témoignage: sauvetage sur le pont High Rise.
Steven P. Hughes

En ce matin d’avril, le vent fouettait l’énorme semi-remorque Freightliner 2007 de Wayne Boone. Chauffeur pour le compte de l’entreprise Butler Paper Recycling à Suffolk, en Virginie, aux États-Unis, Wayne conduisait le camion vide sur un tronçon de la route 64 à Chesapeake, en direction de Virginia Beach, à environ 40 km de là, où il prendrait sa première cargaison de la journée.

Le chauffeur de 53 ans s’est engagé dans la voie de gauche menant vers l’est du pont G.A. Treakle Memorial, mieux connu des habitants de la région sous le nom de I-64 High Rise, un pont à bascule de quatre voies qui traverse le bras sud de l’estuaire Elizabeth River. Sur sa travée, l’orage déchaînait toute sa furie, ne trouvant rien d’autre sur son passage que des véhicules. La pluie battait le pare-brise de Wayne. Le vent a pris encore plus de puissance. Le chauffeur a ralenti pour laisser des voitures passer. Il avait hâte d’arriver de l’autre côté.

Sur la crête du pont, à 21m au-dessus de l’estuaire tourbillonnant, la route goudronnée laisse place à un revêtement d’acier. Même par beau temps, on perd de l’adhérence sur les grilles. Les roues avant du camion de Wayne ont abordé l’acier glissant juste au moment où une puissante rafale frappait le côté conducteur.

Wayne Boone a eu l’impression que le vent soulevait tout bonnement le camion au-dessus de la route. Il jurerait avoir flotté un instant avant d’être projeté sur la voie de droite. Il n’a pas eu le temps de se demander comment cela pouvait être possible. La cabine a heurté de plein fouet la glissière à l’extrême droite du pont, froissant la barrière de métal qui a empêché son camion de plonger dans l’eau en contrebas. Il a tenté de reprendre la maîtrise du véhicule. Pendant ce temps, sa remorque vide s’est déportée vers la gauche formant un angle avec la cabine.

Engagé dans une lutte contre son camion et le mauvais temps, le volant ne répondant pas, Wayne a été chassé sur environ 60m, incapable d’adhérer à la route. Puis une seconde bourrasque, encore plus violente que la première, s’est engouffrée au travers de la grille d’acier du pont. Elle s’est fracassée contre le côté conducteur du camion et, d’un même élan, l’a poussé par en-dessous, soulevant la cabine et son chauffeur au-dessus du pont avant de les lâcher.

S’il avait eu le moindre espoir de survie jusqu’à présent, il s’était envolé. Le camion pointait droit vers les eaux noires.

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Témoignage: le camion suspendu au pont.
Steven P. Hughes

Camion suspendu au pont

Le lieutenant Chad Little, 49 ans, de la caserne de pompiers de Chesapeake, était en route pour donner un cours de réanimation cardiopulmonaire lorsqu’un message étrange est apparu sur l’écran tactile de son 4×4: camion suspendu au pont». Il ne se trouvait qu’à une minute ou deux des lieux. Il a allumé les gyrophares et la sirène d’urgence avant de foncer vers le pont High Rise.

La circulation sur la passerelle était trop dense. Chad Little n’a pas pu aller plus loin que la grille du pont à bascule. Lorsqu’il est sorti de son véhicule, le vent l’a assailli. Il a rentré la tête, avancé devant lui sur quelque 70 m, puis a communiqué son évaluation de la situation par radio. L’avant d’un camion gros porteur était passé par-dessus le High Rise, sa remorque toujours sur le pont. Le lourd cadre d’acier situé entre le camion et la cinquième roue, où la cabine s’accroche à la remorque, était plié en deux et la cabine, tordue selon un angle de 90°, ballottait au-dessus de l’estuaire. Le moteur, le capot et les réservoirs d’essence étaient déjà tombés, formant une traînée huileuse sur l’eau. Le chauffeur était piégé dans la cabine, suspendu à trois mètres sous la plateforme.

«Cet incident va nécessiter un sauvetage technique complexe», a déclaré le lieutenant Little. Cela voulait dire qu’il faudrait appeler Rescue 15, une équipe de pompiers hautement qualifiés – des techniciens en soins médicaux d’urgence qui répondent lorsque l’impensable se produit: un séisme, l’effondrement d’un bâtiment, un bombardement, ou toute autre catastrophe. Il a ensuite changé de fréquence pour demander le plus gros bateau-pompe de la région. Pour travailler au-dessus de l’eau avec ce temps, il lui faudrait du soutien au cas où quelque chose – ou quelqu’un – tomberait.

Pendant ce temps, un témoin de la scène avait lancé par-dessus le pont, à l’intention du chauffeur, une sangle d’attache et le genre de baudrier porté par les couvreurs. Des agents de police et des civils se tenaient en ligne et retenaient la sangle comme dans un jeu de souque à la corde.

Chad Little était reconnaissant de leur volonté d’aider, mais il leur a expliqué que s’ils hissaient le chauffeur hors du camion sans équipement adapté, il risquait fort de plonger vers sa mort. Lorsque Rescue 15 arriverait, les membres de l’équipe assureraient l’ancrage de leur matériel spécialisé pour un sauvetage par câble complexe avant de tenter de le déplacer.

Le premier camion-échelle est arrivé de la sortie ouest du pont, où la circulation était encore en mouvement. Faisant passer des chaînes par-dessus le parapet de ciment séparant les voies est et ouest, les pompiers ont ancré leur camion aux roues arrière de la cabine.

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Témoignage: la cabine du camion menaçait de lâcher avant le sauvetage.
Steven P. Hughes

«Ça va lâcher!»

Wayne Boone, le chauffeur, était étonné d’être encore en vie. Il avait défoncé la glissière puis effectué un vol plané avant de plonger vers la rivière – tout s’était passé si vite. Le fait est que l’arrière de son camion s’était coincé sur le rebord du pont interrompant la chute. Toujours attaché à son siège, il pendait à un angle de 90° au-dessus de l’impétueux cours d’eau, se balançant à chaque nouvelle bourrasque de vent. Quelle qu’ait été la force qui maintenait la cabine sur le bord du pont, Wayne ne doutait pas qu’elle finirait par lâcher. La gravité et le vent allaient faire leur travail.

Un filet de sang rouge et poisseux coulait devant ses yeux. Il était blessé, mais son corps n’avait pas encore totalement pris conscience de la douleur. Il s’est forcé à rester concentré. S’il avait la moindre chance de s’extraire de la cabine et de survivre, il fallait qu’il se dégage de sa ceinture de sécurité. La position de la cabine lui laissait peu de latitude. Le pare-brise fracturé sous lui s’ouvrait sur les eaux sombres et menaçantes en contrebas. S’il mettait la moindre charge sur le verre, il risquait de le traverser et de poursuivre sa chute. Dans les hurlements du vent, il a entendu des voix venues d’en haut. «Ça va lâcher!»
Je dois me détacher.

Décrochant sa ceinture, Wayne a voulu s’agripper au siège mais a aussitôt glissé sur le pare-brise dont le verre a oscillé dans son cadre. Il a tenté frénétiquement de remonter, s’efforçant de s’accrocher au tableau de bord brisé, conscient des coupures qu’il s’infligeait au passage. Il a glissé une deuxième fois. Puis une troisième. Chaque fois que ses pieds rencontraient le pare-brise, le verre cédait un peu plus. La prochaine fois serait peut-être la dernière. Rassemblant toutes ses forces, à califourchon sur des pièces cassées du camion, il s’est hissé entre les sièges et s’est faufilé aussi loin à l’arrière du siège du conducteur que possible. Il ne disposait que de quelques centimètres d’espace, mais cela devrait suffire.

Les minutes ont passé – pour Wayne, elles ont semblé des heures – avant qu’il n’entende les sirènes approcher. Leur plainte discordante était pour lui le chœur des anges.

Quelque part dans la cabine, son téléphone s’est mis à sonner. Il aurait donné n’importe quoi pour le réconfort d’une autre voix humaine, mais en dépit de ses tâtonnements, cherchant comme il le pouvait depuis sa position inconfortable, la source de la sonnerie lui échappait.

Depuis le pont au-dessus de lui, un témoin lui a lancé un baudrier. Wayne a tendu le bras par la fenêtre ouverte du côté conducteur et l’a ramené dans l’habitacle. Cet effort était tout ce dont il était capable. Faible et désorienté, il ne parvenait pas à comprendre comment l’enfiler.

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Témoignage: Rescue 15 est venue à la rescousse pendant le sauvetage.
Caserne de pompiers de Chesapeake

Rescue 15 à la rescousse

Rescue 15 a reçu l’appel à 8h43 du matin. Le trio de garde à cette heure-là – Brad Gregory, 57 ans; Justin Beazley, 25 ans; et Mark Poag, 43 ans – s’est entassé dans le camion de secours qui transportait tout le matériel d’extraction et s’est mis en route vers le lieu de l’incident, passant en revue divers scénarios de sauvetage pour déterminer les câbles requis et la position de l’équipement.

Mais leur premier défi était plus trivial: franchir l’océan rouge de feux arrière qui les attendait à l’entrée du pont. S’il s’agissait d’une route ordinaire, les véhicules auraient pu manœuvrer pour laisser passer un camion de pompiers. Mais comme le pont ne disposait, au maximum, que d’un accotement de 60cm, les voitures n’avaient nulle part où se replier. Justin a sauté hors du camion et frappé aux vitres, parvenant à faire bouger quelques véhicules afin de laisser passer les secours. Ils approchaient lentement, mais l’heure tournait pour le camionneur suspendu. La circulation s’était accumulée derrière eux, coupant toute possibilité de retraite pour tenter d’aborder le pont par les voies menant vers l’ouest, dégagées par la police. À quelques centaines de mètres de l’accident, il est devenu évident qu’ils ne pourraient aller plus loin. Justin s’est emparé des harnais, d’une corde et d’autres pièces d’équipement au sommet du camion de secours, puis a embarqué sur Ladder 12, un camion de pompiers qui se rendait sur les lieux par la voie ouest dégagée.

Mark et Brad ont rassemblé le reste de l’équipement qu’ils s’attendaient à utiliser: plus de câble, un système de poulie appelé kit de mouflage et un système d’assurage pour ancrer le matériel sur les lieux. Alors qu’ils approchaient du gros porteur paralysé, le vent a forci. La pluie et le grésil les fouettaient de côté, pénétrant jusqu’aux os. Une dizaine de badauds avaient quitté leurs véhicules et bravaient la fureur de l’orage pour monter la garde au bord du pont.

Brad, Mark et les autres membres de l’équipe du camion-échelle ont rapidement établi un plan: Justin descendrait en rappel jusqu’au chauffeur depuis l’échelle déployée de l’un des camions, ouvrirait la portière et l’attacherait sur son système d’assurage pour être ensuite tous deux hissés en sûreté. Les vents soutenus approchaient alors les 80km/h, avec des bourrasques plus puissantes. Au coude à coude, les secouristes devaient pourtant crier pour s’entendre au-dessus du hurlement du vent.

Justin s’est avancé jusqu’au bord du pont et a tenté d’assimiler la scène. Ça ne ressemblait à aucune des interventions qu’il avait effectuées jusqu’ici. Du diesel répandu détrempait tout ce qui se trouvait au sol, y compris leur matériel. La cabine ne semblait tenir que par un fil.

Après avoir enfilé son baudrier, Justin a vérifié la corde et le système d’attache. Il serait assuré par un système d’ancrage aérien pour éviter qu’il aille s’écraser dans l’eau si un problème survenait.

L’opérateur a placé l’échelle déployée du camion au-dessus du gros porteur immobilisé et l’a fixée là. D’ordinaire, les pompiers n’élèvent pas une échelle par grand vent. Cela pourrait secouer le camion et éroder le métal. En théorie, une rafale pourrait même retourner le camion. Mais la situation était loin d’être ordinaire.

Mark et un autre pompier se tenaient aux commandes du système de poulies accroché à l’échelle. Justin, dans son baudrier, était attaché à l’autre extrémité. À l’aide des poulies, ils ont hissé Justin par-dessus le rebord du pont, ont manœuvré pour le placer en surplomb de la cabine, puis l’ont lentement fait glisser. Alors qu’il descendait vers le chauffeur de camion, le vent ballottait Justin comme une bille de flipper. Il s’est agrippé à la cabine pour éviter de heurter le pont. Il avait prévu d’ouvrir la portière pour extraire Wayne de l’habitacle, mais découvrait maintenant que cette action risquait d’appliquer plus de pression sur le véhicule. Le sauvetage devait donc avoir lieu par la fenêtre. Le chauffeur, a compris le secouriste, était en état de choc. Après avoir passé une heure suspendu sous le vent à attendre la mort, il était à bout de force. Mais le soulagement qui se lisait dans ses yeux en apercevant Justin était manifeste. «Je m’appelle Justin, a crié le secouriste. Et vous?»

Wayne Boon a répondu, mais Justin l’entendait à peine. «On va vous sortir de là», a-t-il déclaré. Il lui a tendu le baudrier par la vitre ouverte et lui a donné des instructions précises pour l’enfiler, tout en continuant de se cramponner à la cabine.

Wayne se débattait avec le harnais. Il tentait de reproduire ce que Justin lui indiquait mais il était trop confus pour aider à sa propre extraction. Pendant ce temps, le vent, par bourrasques de 80 jusqu’à plus de 95km/h, s’abattait sur le secouriste et la cabine. Justin a compris qu’il n’avait plus de temps à perdre. Il lui fallait entrer dans l’habitacle.

Passant son torse par la fenêtre, il a œuvré avec méthode et rapidité pour passer les bras et les jambes de Wayne dans les boucles du harnais et l’amarrer ensuite au système d’encordage qui les rattachait solidement l’un à l’autre. Justin se faisait rassurant. «Allez, vous pouvez y arriver», a-t-il finalement déclaré en saisissant la poulie pour se hisser par la fenêtre en compagnie du chauffeur ensanglanté et s’élancer dans les vents violents. Mark et un second pompier manœuvraient les poulies afin de les hisser sur le pont. Et lorsque le chauffeur et son sauveteur ont atteint le bord, des acclamations ont fusé dans la foule amassée sur les lieux.

Trois premiers intervenants ont réceptionné les deux hommes en les saisissant à bras le corps pour les tirer par-dessus la glissière. C’était fini.

Des ambulanciers ont emmitouflé le blessé pour le transporter en ambulance, mais l’orage n’en avait pas tout dit. Une bourrasque s’est levée et, en dépit des chaînes de fixation, a soulevé la remorque vide de Wayne Boone dans les airs pour la projeter au-dessus de la route sur une autre voie, poussant les pompiers à évacuer la zone.

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Témoignage: Justin Beazley a participé au sauvetage.
Avec l'autorisation de WTKR - Norfolk
Au sujet de ce sauvetage, Justin Beazley a déclaré à la chaîne de télévision de Virginie WKTR: «Tout s’est passé si vite. On est formé pour cela, mais on ne s’y attend jamais.»

En vie grâce à un inconnu

Wayne Boone a été transporté à l’hôpital général Norfolk Sentara, souffrant de lacérations et autres contusions au visage, au cou, aux épaules et aux genoux. Sa plus grosse blessure touchait l’oreille droite, pratiquement arrachée de sa tête lors de l’accident, mais les médecins ont pu la sauver.

Au cours de cette épreuve, jamais Wayne n’a paniqué. Il avait accepté son sort. Il était prêt à mourir si c’était ce que le ciel avait en tête. Mais un inconnu avait risqué sa vie pour le sauver. Entendre les cris de joie résonner dans la foule lorsque le pompier l’a ramené en sécurité était exaltant. Dans un monde qui pouvait parfois sembler mauvais et solitaire, les gens se souciaient toujours du sort de leur prochain. Son cœur était submergé de gratitude.

Sur le pont, une fois Wayne Boone en sûreté sur la terre ferme, Justin Beazley lui avait tendu la main pour qu’il la serre. De nature réticente, lessivé tant physiquement qu’émotionnellement, Wayne avait saisi la main de son sauveteur et espéré que ce geste dirait pour lui tout ce qu’il ne pouvait exprimer.

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Contenu original Readers Digest International Edition

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