Béatrice Vaugrante: se battre contre les inégalités

Peu importe l’organisme ou la manière, Béatrice Vaugrante répond toujours présente lorsqu’il s’agit de contrer les inégalités et les injustices.

Portrait de Béatrice Vaugrante.Photo de Cindy Boyce

De 2006 à 2017, Béatrice Vaugrante a dirigé les destinées d’Amnistie internationale Canada francophone, pour ensuite s’impliquer au siège social, à Londres. Après toutes ces années auprès de cette grande organisation de défense des droits de la personne, cette femme d’action a décidé de renouveler son engagement en faveur des plus démunis, mais dans un autre cadre que celui d’Amnistie internationale.

En janvier 2023, Béatrice Vaugrante est devenue directrice générale d’Oxfam-Québec, au moment où cette institution fête 50 ans de dévouement dans les pays en voie de développement, et pas seulement lors de catastrophes naturelles ou de crises humanitaires. Grâce à l’enthousiasme de leurs membres – près de 16,000 – portés par un idéal, celui qu’un monde juste et durable est possible pour tous, Oxfam-Québec soutient ceux et celles que certains considèrent «sans voix». À ce sujet, Béatrice Vaugrante tient toujours à préciser «qu’une voix, ils en ont une, suffit de les écouter!»

C’est ce qu’elle fait, inlassablement, plus que jamais convaincue par les mots du célèbre dramaturge allemand Bertolt Brecht, et qui guide ses actions: «Ceux qui combattent peuvent perdre. Ceux qui ne combattent pas ont déjà perdu.»

En prenant la direction d’Oxfam-Québec après plusieurs années à Amnistie internationale, avez-vous l’impression de débarquer dans un environnement très différent?

Amnistie internationale s’occupe de droits de la personne à travers des plaidoyers et des campagnes de sensibilisation, et de sauver des personnes sur le point d’être mises à mort. À Oxfam-Québec, nous cherchons à réduire les inégalités et la pauvreté, aujourd’hui, et pour demain; nous sommes présents dans 26 pays pendant 7 ans. Par exemple, on travaille sur le renforcement des organisations des droits pour les femmes. Malheureusement, quand la démocratie s’étiole, les droits des femmes aussi, comme celui de l’avortement: regardez ce qui se passe aux États-Unis.

Saviez-vous que les femmes n’étaient pas autorisées à faire ces 13 choses il y a 100 ans?

Devant la multiplication des crises un peu partout à travers le monde, craignez-vous un grand repli social? Au «Pas dans ma cour» s’ajouterait «Avant d’aider les pauvres d’ailleurs, commençons par ceux d’ici»?

On dirait que tout éclate en même temps: environnement, économie, migration, technologies, attaques sur toutes les minorités, etc. Devant cela, bien des citoyens disent: je ne regarde plus les nouvelles! Plusieurs systèmes sont en panne, ce qui favorise la montée des mouvements populistes et met en danger les démocraties À Oxfam-Québec, notre défi, c’est de démontrer la valeur de la solidarité internationale, faire en sorte que nous avons tout à gagner que des gens ne prennent pas des bateaux gonflables pour traverser la Méditerranée.

Vous croyez aussi à l’importance de soutenir les femmes: d’abord pour développer leur plein potentiel, mais aussi celui de leur communauté. Un processus de transformation difficile à accomplir?

Les droits des femmes, les droits de la personne, c’est comme la vaisselle, c’est toujours à recommencer! D’ailleurs, Simone de Beauvoir nous avait prévenus: ce n’est pas parce que les systèmes juridiques changent que tout le reste va suivre. Être féministe, ce n’est pas un vilain mot. Dans les pays en voie de développement, ce sont les femmes qui font la majeure partie du travail domestique. Or, lorsque l’on propose des solutions d’autonomie économique ou de planification familiale, l’homme de la famille se rend compte que d’avoir une femme en santé, une femme qui ne meurt pas lors d’un accouchement, qui est capable d’avoir le nombre d’enfants qu’elle désire, peut bien s’en occuper et leur assurer un futur. Je reviens du Ghana où l’on soutient des femmes dans une ferme de beurre de karité. Avec leurs conjoints, on a évalué le travail gratuit effectué à la maison, et nous l’avons mieux réparti. Résultat: les femmes ont gagné deux heures et demie par jour! Elles ont maintenant une heure de plus pour dormir, 90 minutes de plus pour mieux s’occuper de leur entreprise, et ainsi gagner en autonomie financière. Sans compter que leurs enfants sont mieux nourris.

Testez vos connaissances générales sur l’émancipation des femmes en répondant correctement à ces questions!

Depuis le début de la pandémie, les banques, les pétrolières, les compagnies pharmaceutiques et de nombreux milliardaires n’ont jamais engrangé autant de profits. Qu’est-ce qu’Oxfam-Québec peut faire, et que pouvons-nous faire, pour que cesse cette injustice flagrante?

Au moment du Sommet de Davos en janvier [un rassemblement annuel organisé par le Forum économique mondial tenu dans une chic station de sports d’hiver en Suisse], on en profite pour sortir un rapport sur les inégalités, et remettre de l’avant l’idée qu’il faut taxer les très riches. La taxation représente un enjeu majeur, et on commence à voir apparaître des groupes comme Patriotic Millionaires qui se demandent… pourquoi on ne les taxe pas plus! Saviez-vous qu’aux États-Unis, le 1% des plus riches pollue autant que 50% de la population de ce pays? Dans ce contexte, ce n’est pas mauvais de contacter sa banque pour lui demander d’où viennent ses profits, et comment l’argent est redistribué. Car leurs employés sont formés par le système d’éducation publique, ils bénéficient de routes, d’un service de police qui assure leur sécurité. À ceux et celles qui font autant de sous, il faut leur dire: vous devez redonner à la société.

Certains diront que ça ressemble à un coup d’épée dans l’eau!

Les changements majeurs, dont ceux concernant l’évolution des droits, n’ont pas exigé l’adhésion de 75% de la population. Il suffit de groupes bien organisés. Pensez aux droits des Afro-Américains, des syndiqués, des femmes. Ils ont poussé le bouchon assez loin pour dire: politiciens, réveillez-vous, et changez les lois!

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