Lecture: des retrouvailles mouvementées

Quatre amis artistes venant de différents horizons sont plus ou moins arrivés à rester en contact malgré le temps qui passe. Ils décident de se revoir pour célébrer les 20 ans de leur rencontre. Bilans et secrets dévoilés sont au programme.

Le livre: «Une forme claire dans le désordre» d’Éléonore Létourneau.VLB éditeur

De quoi ça parle

Ils sont quatre artistes. Ils viennent du Québec, de France, de Suisse, de Tunisie. Ils se sont connus en l’an 2000 lors d’une résidence à la Villa Médicis, à Rome. Ils étaient jeunes, le nouveau millénaire (leur) souriait. Il n’a pas tenu ses promesses. Les tours jumelles se sont effondrées. Les catastrophes naturelles se sont multipliées. Les migrants ont pris la mer. Les révolutions ont grondé, mais n’ont accouché de rien. La Terre est en colère. L’humanité aussi.

Pourtant, l’art demeure. Ici porté par Adèle, qui écrit. Par Peter, qui sculpte. Par Thomas, qui compose. Et par Yosr, qui photographie. Ils sont vaguement restés en contact. Et puis, l’idée a jailli: se revoir au printemps 2020 pour célébrer les 20 ans de leur rencontre, là où elle a eu lieu. Pendant quelques jours, ils vont marcher, ils vont parler, boire, manger. L’heure sera aux bilans, aux confidences, aux secrets partagés. Ils verront la ville à travers un regard moins neuf, moins pur. Ils poseront ce même regard sur les autres, sur leur art. Sur eux-mêmes.

Pourquoi vous aimerez ça

Éléonore Létourneau écrit des romans courts (celui-ci fait à peine 144 pages), mais lourds de sens et riches de beauté. Elle creuse, sans heurt, l’âme des personnages. Elle se penche, comme un souffle, sur leurs préoccupations. Elle tisse, avec délicatesse, des liens entre eux. Elle lève, pudiquement, le voile sur leur passé tout en préservant une part de mystère dans laquelle le lecteur, s’il le veut, peut voir ce qu’il désire. En quelques pages, on connaît les lieux. On connaît les gens. On est avec eux.

Ce voyage à Rome auquel elle nous convie cette fois est empreint de maturité (son écriture est ainsi depuis ses tout débuts alors qu’elle n’avait pas encore la mi-trentaine), de gravité et d’une émouvante nostalgie d’un temps pas si lointain qui résonne dans l’avertissement donné d’entrée de jeu: «L’histoire se passe à Rome, en mai 2020. J’ai choisi d’en maintenir les lieux et les dates, réunissant nos quatre personnages dans un repli du temps, à l’abri de tout ce qui nous a traversés.» Et elle a bien fait.

Qui l’a écrit

Éléonore Létourneau a évolué pendant une décennie dans le milieu du cinéma avant de se tourner vers la littérature. Tant pis pour le premier et tant mieux pour la seconde. Une forme claire dans le désordre est son quatrième roman après Notre duplex, Les choses immuables et Il n’y a pas d’erreur: je suis ici.

Extrait

D’une main, Adèle poussa le portail puis, empoignant de l’autre sa petite valise, gravit l’escalier jusqu’au troisième. Soulevant le paillasson, elletrouva une clé et déverrouilla la porte. Bonjour, y’a quelqu’un? Un craquement. Le silence. Personne. Elle retira ses chaussures et les rangea au pied du mur, sous l’étroite console.

L’appartement sur deux niveaux avait gardé son caractère, planchers de terracotta, solives, meubles anciens. Adèle choisit une chambre à l’étage, sous les plafonds bas, en retrait des pièces communes. (…) Sans défaire les couvertures, elle s’étendit, ferma les yeux, et s’assoupit presque aussitôt.

Des salutations lointaines vinrent la tirer d’un sommeil agité, déjà, de cauchemars cataclysmiques. Elle bondit hors du lit, étourdie, replaça ses cheveux devant la coiffeuse et descendit l’escalier conduisant au séjour. Affalé sur une chaise, dans un coin sombre de la salle à manger, Peter leva le menton, puis les yeux vers elle. (…)
Elle força sur ses lèvres un sourire timide. Deux décennies évaporées leur apparaissaient soudain. (p. 11 à 13)

Venez nous parler

Rendez-vous sur le groupe Facebook, Le club du livre Sélection, pour discuter d’Une forme claire dans le désordre avec les membres de notre club de lecture et Sonia Sarfati. En quoi les retrouvailles racontées ici vous ont-elles «parlé»? Rêvez-vous d’une telle réunion?

Une forme claire dans le désordre d’Éléonore Létourneau, 19,95$, VLB éditeur

Contenu original Selection du Reader’s Digest