Des cours de ballet pour adulte

Entre la douleur et les humiliations, mon cours de ballet pour adulte s’est révélé une source de joie inattendue.

La danseuse étoileIllustration d’Aliya Ghare

«Mesdames, soyez les bienvenues en enfer», annonce-t-il avec un accent d’Europe de l’Est. Je grimace tandis qu’il presse sur le sommet trop raide de mon dos, tentant d’en tirer un millimètre de souplesse supplémentaire. J’ai toujours rêvé de faire de la danse classique, mais je me demande maintenant ce qui m’a pris…

Quand j’étais une petite fille, dans les années 1960, j’ai supplié ma mère de m’inscrire à des cours de ballet. J’adorais les tutus roses, les jolis chignons, l’idée de danser gracieusement comme la princesse du Lac des cygnes. Elle m’a inscrite au patinage artistique et chez les jeannettes mais, pour une raison qui m’échappe, n’a jamais cédé sur les cours de ballet.

Avec les distractions de l’adolescence puis les exigences de la vie adulte, mes espoirs ont faibli. Mais de temps en temps, généralement en admirant une interprétation inspirée du chef-d’œuvre de Tchaïkovski, ces petits pincements au cœur de désir inassouvi se réveillaient et me soufflaient de me lancer avant qu’il ne soit trop tard.

Le grant saut ou le grand écart?

Et me voici donc, plus de 50 ans après avoir imploré ma mère, faisant finalement le grand saut.

Mon cours, à Vancouver, est intitulé «Ballet pour adultes débutants», et j’ai bien 30 ans de plus que le reste des participantes. Notre professeur, Monsieur C., possède une formation en ballet russe classique et a connu une illustre carrière de danseur. Il en impose avec ses yeux noirs perçants.

Mes cheveux sont remontés en arrière en un chignon serré et je porte des chaussons de danse roses d’occasion. La fenêtre durant laquelle il était acceptable pour moi de revêtir un tutu s’est déjà refermée.

Nous débutons par des exercices d’échauffement. Les mouvements précis et maîtrisés sont très différents de ce à quoi je suis habituée dans mes cours habituels d’aérobique et de renforcement musculaire. Je suis en forme, mais cet échauffement me tue. À en juger par les grognements, mes jeunes camarades de classe ne sont pas mieux loties. «Vous ai-je demandé d’arrêter? Continuez, mesdames», ordonne Monsieur C. Il affiche un rictus diabolique, savourant notre torture. J’ai une vision de mes cours de sport à l’école primaire, en banlieue de Montréal.

Pendant des années, j’avais un professeur de sport démoniaque originaire d’un pays de l’ancien bloc soviétique. Il se moquait de nos pathétiques tentatives pour hisser nos corps maigrichons sur des barres de traction. Mais j’ai désormais l’assurance de l’adulte qui ne se laisse pas intimider. Je suis même capable de faire une traction (plus ou moins). La danse classique et Monsieur C. ne m’impressionnent pas.

Mon cygne intérieur

«Bon, mesdames, les mains sur la barre. Tenez-vous droites», commande-t-il. Ça ne doit pas être bien difficile. Il remonte la file d’élèves en critiquant notre posture et en livrant des commentaires d’une voix sévère: «Tête haute, cou étiré, poitrine en avant, ventre rentré, dos droit, fesses contractées.» Je suis la dernière de la file et j’ai pris note de chacun des précédents ajustements. «Respirez! dicte-t-il. Tout doit avoir l’air naturel. Personne n’a envie de voir un visage crispé. C’est hideux.»

Monsieur C. nous fait exécuter une petite routine à la barre. «Pointe, demi-pointe, plié», indique-t-il. Je me concentre très fort pour tenter de maîtriser le jargon tout en effectuant les mouvements correspondants. Je suis sûre que ce n’est pas joli, mais il ne le remarque pas, occupé à sermonner une autre élève pour ne pas avoir gardé la tête haute. «Vous devez avoir l’air fier, comme un coq.» Heureusement, il distribue ses remarques à parts égales.

Nous pratiquons notre «port de bras», un terme de ballet pour parler du mouvement des bras. Monsieur C. nous annonce que nos épaules doivent être fortes et nos avant-bras doux et gracieux. Je bats des bras en faisant appel à mon cygne intérieur. «Vos mains, on dirait des serres, intervient-il. Personne ne veut regarder cela.»

La nervosité s’empare de moi quand la musique de Tchaïkovski commence à jouer. Non seulement je dois me rappeler les termes, les pas, les bras gracieux et la respiration, mais je dois maintenant aussi garder le rythme. «Écoutez simplement. Ressentez la musique», nous implore-t-il.

Trop dramatique

Monsieur C. aperçoit nos expressions troublées. «Je ne suis pas ici pour vous dire à quel point vous êtes toutes merveilleuses. Je suis là pour vous enseigner le ballet classique russe», proclame-t-il. Il se lance dans un monologue sur notre trop grande sensibilité dans ce pays, sur notre permanent besoin d’éloges. Je suis assez d’accord avec lui sur ce point.

Au bout de quelques séances, je me surprends à attendre mes cours de danse classique avec la même impatience qu’un tour dans les montagnes russes quand j’étais enfant: un mélange d’appréhension et d’excitation. Entre les cours, je vérifie ma posture dans chaque vitre que je croise et cède à mes fantasmes de grands jetés entre la cuisine et le salon. Je progresse, quoique lentement. Mes mains ressemblent légèrement moins à des serres et ma posture est un peu plus droite.

Monsieur C. est toujours un peu intimidant. Néanmoins, j’en suis venue à apprécier son exigence de perfection, sa discipline, sa passion, son franc-parler et son sens de l’humour.

Nous nous regroupons au centre de la pièce et Monsieur C. se lance dans une magnifique série de pas d’un bout à l’autre de la salle. J’invoque une nouvelle fois mon cygne intérieur et imagine me trouver sur scène, éblouissant le public de ma grâce.

«Trop dramatique», crie-t-il.

Je souris. Ce n’est pas tout à fait un compliment, mais c’est certainement beaucoup mieux que «hideux».

Le grand jeté

Apprendre la danse classique à l’âge adulte est un bien plus grand défi que ce que je pensais. Je sais que je ne maîtriserai jamais le grand jeté (ni même le petit, en fait), mais je suis heureuse de voir que le ballet conserve pour moi le même attrait que lorsque j’étais une petite fille.

Malheureusement, après seulement quelques mois de cours, les restrictions de la COVID-19 ont brutalement interrompu l’épanouissement de mes talents de ballerine. Mais je sais que je finirai par y revenir – c’est mon nouveau frisson des montagnes russes, et je ne peux tout simplement pas y résister.

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© 2020, Caroline Helbig. Tiré de «Adult Ballet Classes Are Not for the Faint of Heart», The Globe and Mail (19 août 2020), theglobeandmail.com

Contenu original Selection du Reader’s Digest