Démystifier le syndrome de tachycardie orthostatique posturale (STOP)

Personne ne croyait Huguette Nadeau. Jusqu’au jour où le diagnostic tombe enfin: elle souffre du syndrome de tachycardie orthostatique posturale (STOP).

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Démystifier le syndrome de tachycardie orthostatique posturale (STOP).
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«Au secours! Il y a un cadavre dans l’ascenseur», hurle une femme. À l’intérieur de la cabine, allongée sur le sol, Huguette Nadeau soupire. Sujette à de brusques chutes de pression, il lui arrive de s’évanouir régulièrement. Comme elle paralyse également durant ces attaques, elle peut difficilement détromper ceux qui la voient déjà dans son cercueil.

Immanquablement, ses crises créent une commotion. Ce jour-là, l’agent de sécurité arrivé en renfort pense qu’elle a fait une tentative de suicide, par overdose. Les ambulanciers de leur côté la soupçonnent d’être psychotique.

Touchée par un mystérieux syndrome syncopal, Mme Nadeau s’est longtemps buté à l’ignorance et à l’incompréhension, particulièrement dans les cercles médicaux. Or si les gens atteints d’hypertension sont passablement nombreux dans nos sociétés (la moitié des plus de 60 ans en sont touchés), ceux qui souffrent d’hypotension se comptent sur les doigts de la main. «L’hypotension artérielle est le grand oublié de la médecine», confirme le Dr Pavel Hamet, spécialiste des maladies cardiovasculaires et chef du service de médecine génique au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM).  En Amérique du Nord, seulement une poignée de chercheurs s’y intéressent.»

Pour avoir accès à ce petit commando de savants, il faut pouvoir se faufiler dans les centres de recherche les plus sophistiqués, pénétrer dans les facultés de médecine les plus sélectes et retenir l’attention des sommités scientifiques les plus prestigieuses de la planète. Un exploit qu’Huguette Nadeau a accompli sans l’aide d’aucun organisme ni le soutien du gouvernement afin de prouver que, contrairement à ce que prétendaient ses médecins, elle n’était pas folle!

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Une histoire de famille

Son histoire commence à Amqui, en Gaspésie, où elle naît le 22 juin 1958 d’une mère à la santé précaire. Adoptée immédiatement par une tante, elle grandit à Ottawa dans une famille régie par ses propres règles et coutumes. Ainsi Huguette a-t-elle une cousine qu’elle appelle «maman» et des «géniteurs» qu’elle distingue de ses parents adoptifs. Elle a également un quart de sang micmac et, conformément à la tradition familiale, assure la garde d’un neveu. Bilingue, elle s’exprime facilement en anglais, ce qui lui sera fort utile quand viendra le temps de communiquer avec les scientifiques américains qui la prendront sous leur aile.

Ses premiers symptômes apparaissent vers l’âge de cinq ans. Dans son entourage, on ne s’inquiète pas puisque la majorité des membres de la famille perdent connaissance régulièrement. «Quand il y en avait un qui tombait, on allait le ramasser et on le mettait au lit avec des couvertures. On attendait que ça passe.»

À l’école, Huguette affiche de très bonnes notes. Elle représente même sa classe à l’émission Génies en herbe, un jeu télévisé de culture générale où son équipe se rend jusqu’en demi-finale. Elle a 17 ans à l’époque et ne s’évanouit guère plus d’une fois par mois, généralement durant ses règles. Après avoir complété un baccalauréat en gestion, elle entre à l’emploi de la Société d’énergie de la baie James.

Ses malaises augmentent graduellement. Elle perd connaissance principalement sous l’effet de la chaleur ou lorsqu’elle reste debout trop longtemps. Il lui arrive de s’étendre sous son bureau durant les heures de travail ou d’avoir à s’arrêter à chaque station de métro pour se coucher sur un banc lorsqu’elle se rend au boulot. Encore aujourd’hui, il lui faut parfois ramper pour se rendre aux toilettes au cours d’un voyage en avion. Bien qu’elle ait fait le deuil d’une vie «normale», ces épisodes n’en sont pas moins difficiles à vivre.

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La malade imaginaire

Fin 2000, sa condition se détériore considérablement lorsqu’un homéopathe formé en médecine lui recommande l’utilisation de la mandragore, une plante médicinale aux effets dévastateurs pour elle. «Du jour au lendemain, je suis devenue invalide. Ma vie était détruite.»

À tel point que, en 2002, elle se déplace uniquement en fauteuil roulant et tombe dans les pommes 10 fois par jour. Dans les cliniques et les salles d’urgence, son mal suscite scepticisme et sarcasmes. «Personne ne me croyait. On me qualifiait de menteuse, d’hystérique, de malade imaginaire ou de cas limite.»

«Des gens comme elle n’existent pas en médecine, confirme le Dr Hamet. Leur maladie n’est pas connue alors ils sont envoyés en psychiatrie.» Ancien président de la Société québécoise de l’hypertension artérielle, Pavel Hamet figure parmi les chercheurs les plus respectés et les plus réputés en Amérique du Nord. Il admet ne pas tout comprendre au cas de Mme Nadeau, qu’il a examinée à quelques reprises. «Mais elle possède un syndrome très définissable. Nier cela, c’est ridicule.»

La patiente peut-être la plus célèbre du Dr Hamet, la journaliste Claire Lamarche, s’est évanouie en direct à la télévision en plein débat des chefs le 13 mai 1997. «Elle ne m’a pas écouté! explique le médecin en riant à demi. J’avais prescrit un pantalon, des bas de contention, et de l’eau. Or, à ma souvenance, elle était en jupe, sous les projecteurs et n’a pas eu droit à un seul verre d’eau.»

Claire Lamarche est sujette à des crises d’hypotension comme Huguette. «Il s’agit de deux cas semblables, dit le Dr Hamet. Concernant Mme Lamarche, les symptômes sont beaucoup moins sévères et la maladie moins complexe, de sorte qu’elle a pu  poursuivre sa carrière normalement.»

Si elle avait été diagnostiquée plus tôt, Huguette Nadeau aurait pu éviter bien des soucis. Mais elle a été très vite classée comme un cas désespéré. D’autant qu’en 2001 un neurologue montréalais la déclare atteinte du syndrome de Munchausen, une pathologie psychologique caractérisée par un besoin de simuler une maladie pour attirer l’attention. Huguette Nadeau est ébranlée. Et si elle était aussi dérangée qu’ils le prétendent…

Méfiez-vous de ces symptômes qui pourraient signaler une maladie grave.

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Huguette est une battante

Jusque-là, elle s’était montrée passablement résignée à son sort. «L’impuissance apprise, explique-t-elle. J’ai été élevée comme ça. Peu importe ce que tu fais, tu es toujours perdant.» Mais l’arrogance du neurologue la galvanise. Pour «lutter contre l’injustice», elle s’inscrit à Concordia en psychologie. Aidée d’un accompagnateur (fourni par le service des handicapés de l’université), elle assistera à ses cours couchée, posture qu’elle adopte pour ses examens qu’elle passera dans une salle à part pour finalement obtenir son diplôme en 2004.

Plus important encore, au cours de son passage à l’université, elle entre en contact avec un groupe de soutien en ligne dont les membres souffrent, comme elle, de dysautonomie ou syndrome syncopal. Ces orphelins du système médical connaissent très bien les rares ressources susceptibles de l’aider. «Ils m’ont recommandé le Dr Blair P. Grubb, de l’hôpital de Toledo en Ohio.» Ce spécialiste mondial du syndrome syncopal et des maladies cardiovasculaires est aussi directeur du service d’électrophysiologie. Cependant il y avait un an d’attente pour le voir. S’armant de patience, Huguette téléphone à son bureau tous les matins. «Y aurait-il par hasard une annulation?» Au bout de deux mois, la réponse espérée se fait entendre: Rendez-vous dans deux jours.

À l’époque Huguette a de la difficulté à bouger. On se demande comment elle parviendra à voyager. Heureusement, elle peut compter sur sa grande amie des 25 dernières années, Lise Daguerre, qui sera à ses côtés en tout temps durant cette longue croisade pour sauver sa dignité. Avec à peine 48 heures d’avis, Lise, alors retraitée, accepte de prendre le volant et de franchir les 14 heures de route pour se rendre en Ohio. «C’était un défi, rappelle Huguette, surtout que je n’étais pas assurable. Je pouvais perdre ma maison s’il m’arrivait un pépin.»

Au centre médical de l’Université de Toledo, elle est soumise à une batterie de tests. Entre deux rendez-vous, elle se rend à la librairie. Comme les allées sont trop étroites pour son fauteuil roulant, elle s’aventure debout, confiante que ses nouveaux médicaments vont la protéger – mais les effets du midodrine ont une durée particulièrement courte chez elle, ce qu’elle ignore à ce moment-là. Devant la caissière, elle s’effondre. Bilan: une facture de 3 000$ de services ambulanciers, plus 500$ d’urgentologue, sans compter les frais du voyage.

Mais qu’importe puisque Huguette Nadeau a enfin obtenu un diagnostic indiscutable. Pour peu, elle se mettrait à danser. Car le Dr Grubb est formel: la Québécoise souffre du syndrome de tachycardie orthostatique posturale (STOP), une condition caractérisée par une augmentation particulièrement élevée de la fréquence cardiaque lors du passage à la position debout. La maladie est incommodante mais non mortelle.

Alors elle ne fabule pas? «Mme Nadeau n’a rien inventé du tout», soutient Pavel Hamet, qui l’examinera quelques années plus tard lorsque la battante arrivera à son bureau munie de la recommandation d’un collègue… américain. «On ne peut étiqueter quelqu’un de Munchausen si on n’a pas pris soin de vérifier la véracité de son histoire.»

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Toute une famille testée

Fin 2002, le diagnostic du Dr Grubb a donc confirmé Huguette dans la justesse de ses intuitions. Mariée à 21 ans, elle ne peut avoir d’enfants. Mais afin de trouver une solution à long terme pour sa famille et protéger les générations futures, elle poursuit son pèlerinage scientifique au Vanderbilt Autonomic Dysfunction Center après s’être rendue au prestigieux National Institute of Health (NIH) du Maryland, où le Dr David S. Goldstein, un gourou de la neurocardiologie, a accepté de la recevoir dans le cadre de son protocole de recherche.

Au NIH, elle révèle au Dr Goldstein que pratiquement tous les membres de sa famille sont sujets aux syncopes. «Il était estomaqué parce qu’il cherchait une famille depuis 25 ans!» se souvient-elle. L’aubaine est de taille! En effet, certaines populations du Québec se sont développées dans un relatif isolement, ce qui fait de leur patrimoine génétique un élément d’étude particulièrement éclairant. «Il m’a demandé d’obtenir l’autorisation de mes proches pour une batterie de tests. J’ai passé un mois dans son bureau à préparer le terrain pour lui. Un rêve!»

Au final, une trentaine des membres du clan Nadeau ont accepté de se faire examiner par le Dr Goldstein. Devant l’impossibilité de faire venir tout ce monde à Washington, l’équipe médicale décide de se rendre au Canada. En 2004, les Américains débarquent à Ottawa puis à Montréal où ils ont loué des bureaux pour une semaine. Ils vont mener leur investigation sans aucune collaboration du système de santé local, une situation «absolument hors de l’ordinaire», selon le Dr Hamet. Le chercheur du CHUM aimerait bien joindre ses efforts à ceux de son collègue pour parvenir à identifier le gène responsable du syndrome gaspésien. Pour l’instant, cependant, l’opération est sur la glace, faute de fonds.

Quant à Huguette Nadeau, elle va beaucoup mieux. Elle ne porte qu’exceptionnellement son casque de vélo pour amortir ses chutes et tombe dans les pommes de plus en plus rarement. Il est désormais prouvé qu’elle ne simule pas la perte de conscience. Par prudence, elle traîne toujours dans son portemonnaie les attestations des Drs Goldstein et Hamet confirmant la particularité de son état.

Et aujourd’hui, dans les centres médicaux, plutôt que de la regarder comme une cinglée, les médecins l’appellent tantôt «ma princesse», tantôt «mon chouchou». Le respect. Voilà ce que lui a apporté son audace et sa détermination. Car même si la maladie demeure, elle peut marcher la tête haute. Face à elle-même et face à la médecine, elle n’est plus un paria. «Qu’on se le dise, conclut le Dr Hamet, l’époque du médecin Dieu est terminée!»

L’étude de la génétique peut mener à la découverte d’anomalie rare, comme dans le cas du petit Josh.

Contenu original Selection du Reader’s Digest

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