Visionnement en rafale: et si vos habitudes télé posaient un problème?

Le visionnement en rafale, appelé «binge watching» est associé à un comportement de dépendance.

Visionnement en rafale: comment savoir si vos habitudes télé posent problème.Said Marroun/Shutterstock
Le terme «binge-watch» (visionner compulsivement, ou en rafale) était en lice pour le mot de l’année du dictionnaire Oxford en 2013. Bien qu’il n’ait pas été retenu (c’est «selfie» qui a remporté la palme), cela a mis en évidence l’essor d’une activité populaire qui consiste à regarder d’un coup plusieurs épisodes d’une série télévisée.

De nos jours, des millions de personnes – dont moi –, consomment régulièrement leurs séries préférées de cette manière que la prolifération des services de lecture en continu a rendue facile. Comme on pouvait s’y attendre, les études démontrent que, pendant le confinement dû à la Covid, beaucoup de gens ont passé plus de temps à faire du visionnement en rafale que d’habitude.

Mais cela peut-il devenir un problème ou une dépendance? Et s’il vous est impossible d’arrêter, que pouvez-vous faire?

Pour savoir si la situation est problématique, ce n’est pas une question de nombre d’épisodes regardés (bien que la plupart des chercheurs s’accordent pour dire qu’il faille au moins deux épisodes consécutifs), ni de quantité d’heures passées devant la télévision ou l’écran d’ordinateur. Comme pour d’autres comportements qui entraînent une dépendance, il est plus important de savoir si la compulsion a un impact négatif sur d’autres aspects de la vie de la personne concernée.

Mes nombreuses années d’études sur les dépendances m’ont amené à constater six éléments essentiels des comportements de dépendance. En ce qui concerne le visionnement en rafale, cela signifie que:

  1. Le visionnement d’émissions est ce qui est devenu le plus important dans la vie de la personne (prépondérance).
  2. La personne fait du visionnement en rafale pour changer son humeur, c’est-à-dire pour se sentir mieux à court terme ou pour échapper temporairement à quelque chose de négatif dans sa vie (modification de l’humeur).
  3. Le visionnement excessif compromet des aspects importants de la vie de la personne, comme les relations, l’éducation ou le travail (conflit).
  4. Le nombre d’heures que la personne passe à regarder des émissions chaque jour a augmenté de manière significative au fil du temps (tolérance).
  5. La personne éprouve des symptômes de sevrage psychologique ou physiologique si elle ne peut pas faire du visionnement en rafale (manque).
  6. Si la personne parvient à arrêter temporairement sa compulsion, lorsqu’elle reprend l’activité, elle retombe directement dans le cycle dans lequel elle se trouvait auparavant (rechute).

À mon avis, toute personne qui répond à ces six critères est réellement dépendante du visionnement en rafale. Une personne pour qui certains de ces critères ne s’appliquent pas peut avoir un problème de visionnement compulsif, mais ne serait pas classée comme dépendante selon mes critères.

Comme bien d’autres dépendances comportementales, telles que celles au sexe, au travail et à l’exercice, la dépendance au visionnement n’est reconnue dans aucun manuel de psychiatrie. Nous ne disposons pas non plus d’estimations précises de sa prévalence. Mais la recherche sur ce phénomène progresse.

Coup d’œil aux données

Dans la dernière étude publiée sur le sujet, une équipe de scientifiques polonais a interrogé 645 jeunes adultes, qui ont tous déclaré avoir regardé au moins deux épisodes d’une émission en une seule fois. Les chercheurs ont voulu comprendre certains des facteurs sous-jacents du visionnement compulsif problématique.

Les auteurs (qui ont fondé leur définition du visionnement en rafale problématique en partie sur mon modèle des éléments de la dépendance) ont utilisé un questionnaire qu’ils avaient élaboré dans une étude antérieure pour évaluer le visionnement compulsif chez les participants. Parmi les questions posées, citons: «À quelle fréquence négligez-vous vos obligations pour regarder des séries?» «À quelle fréquence vous sentez-vous triste ou irrité lorsque vous ne pouvez pas regarder des séries télévisées?» et «À quelle fréquence négligez-vous votre sommeil pour regarder des séries en rafale?»

Les participants devaient donner des réponses sur une échelle de six points allant d’un (jamais) à six (toujours). Un résultat supérieur à un certain nombre de points était considéré comme une indication d’un problème de dépendance.

À l’aide d’une série d’autres barèmes, les chercheurs ont constaté que la difficulté à contrôler ses impulsions, le manque de préméditation (difficultés à planifier et à évaluer les conséquences d’un comportement donné), le fait de regarder des séries pour fuir et oublier ses problèmes ou pour éviter de se sentir seul figuraient parmi les prédicteurs les plus significatifs du visionnement en rafale à caractère problématique.

En utilisant les mêmes données, les scientifiques ont rapporté dans une étude précédente que le visionnement compulsif présentait une association significative avec le syndrome anxio-dépressif. Plus les symptômes d’anxiété et de dépression d’une personne étaient importants, plus le visionnement en rafale était problématique chez elle.

D’autres études ont fait état de résultats similaires. L’une d’elles, qui portaient sur des adultes à Taïwan, a révélé que le visionnement en rafale excessif était associé à la dépression, à l’anxiété sociale et à la solitude.

Une étude américaine a montré que ce comportement était associé à la dépression et à un attachement anxieux. La plupart des études connexes – comme celle-ci, réalisée au Portugal – ont également montré que le visionnement excessif était souvent causé par un désir de fuite.

Pour ce qui est des traits de personnalité, la recherche a montré que le visionnement compulsif problématique semble être lié à une faible conscienciosité (avec tendance à l’impulsivité, à la négligence et à la désorganisation) et à un important névrosisme (avec anxiété et tendance aux émotions négatives). Nous observons ce type d’associations dans les comportements de dépendance de manière plus générale.

Rompre la dépendance

Si vous souhaitez réduire le nombre d’épisodes que vous regardez d’un coup, je vous suggère d’arrêter au milieu d’un épisode. Il est très difficile d’arrêter à la fin, car cela se termine souvent avec un suspens.

Je conseille également de fixer des limites quotidiennes réalistes. Pour moi, c’est 2,5 heures si j’ai du travail le lendemain, ou jusqu’à 5 heures si je n’en ai pas. Et commencez à regarder pour vous récompenser seulement après avoir fait tout ce que vous deviez faire en termes de travail et d’obligations sociales.

N’oubliez pas que la différence entre un enthousiasme sain et une dépendance est que le premier ajoute à votre vie, alors que la seconde vous en détourne. Si vous avez l’impression que le visionnement en rafale est envahissant, vous devriez demander à votre médecin de vous orienter vers un psychologue clinicien. La plupart des dépendances sont des symptômes d’autres problèmes sous-jacents.La Conversation

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Mark Griffiths, Directeur de l’International Gaming Research Unit et professeur de Behavioral Addiction, Nottingham Trent University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.