Valérie Simard: du placard au dépotoir

Une penderie écologique, c’est possible? Selon la journaliste Valérie Simard, l’encombrement de nos tiroirs et l’omniprésence de la fast-fashion freinent cette révolution.

Portrait de Valérie Simard.Photo de Cindy Boyce

En 2019, les Québécois ont mis à la poubelle 292 000 tonnes de textiles, soit l’équivalent de 24 kilos de tissus par personne. Savent-ils que la fabrication d’une paire de jeans nécessite 3700 litres d’eau, et celle d’un simple t-shirt en coton près de 2700 litres?

Guidée par sa curiosité et sa conscience environnementale, la journaliste Valérie Simard voulait en savoir plus sur l’univers du vêtement. Après l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh le 24 avril 2013, causant la mort de 1100 personnes dont de nombreux travailleurs du textile, son regard sur notre façon de garnir nos placards s’est peu à peu transformé. Au point de cesser, pendant un an, ses achats vestimentaires tout en allant à la rencontre des acteurs de cette industrie, et de gens qui réfléchissent à nos habitudes de consommation.

Le fruit de son enquête et de son expérience se retrouve dans Une année de détox vestimentaire : réflexions sur le prêt-à-jeter (Éditions La Presse, 2024), épinglant bien des absurdités, comme ces sites naturels de certains pays, dont le Chili, devenus d’immenses cimetières de vêtements.

Voici ce qu’il faut savoir sur la mode rapide (et pourquoi elle détruit l’environnement).

Dans le milieu du traitement des dépendances, on évoque les possibilités de rechutes, qui font d’ailleurs partie intégrante du processus de guérison. Alors, après votre détoxication vestimentaire, en avez-vous vécu?

De celles qui frappent l’imaginaire? Où je me précipite dans de grandes bannières pour acheter des dizaines de vêtements sur un coup de tête? Non! Par contre, je me laisse facilement tenter en regardant mon téléphone, surtout dans le secteur du seconde main. Mon appétit pour la consommation de vêtements s’est transféré de ce côté-là parce que l’impact environnemental est moins grand. Mais je me suis rendue compte que parce qu’ils étaient moins chers, mes barrières tombaient, et j’achetais des choses qui ne me correspondaient pas nécessairement.

On dit des vêtements qu’ils sont le reflet de notre personnalité. Au fond, n’est-ce pas surtout un puissant argument de vente?

Quand j’affirme qu’environ 75% de ma garde-robe contient des vêtements que je ne porte pas, ça signifie que je me suis laissé prendre à ce jeu-là. En plus, je possède quelques morceaux flamboyants, alors que je suis plutôt discrète et introvertie. J’aurais peut-être besoin d’une psychanalyse! (rires) Disons-le: si nos vêtements sont le reflet de notre personnalité, ils montrent aussi à quel point nous sommes perméables aux influences. D’ailleurs, face à la consommation, je ne crois pas que nous sommes pleinement autonomes tant que nous n’avons pas pris conscience des mécanismes qui sont derrière. Et même là, ça reste difficile.

Vous citez Orsola de Castro, cofondatrice du mouvement Fashion Revolution: «Le vêtement le plus écoresponsable est celui qui se trouve déjà dans votre garde-robe.» Pourtant, selon plusieurs recherches scientifiques, ce que l’on porte peut être nocif à notre santé, et le lavage n’est pas sans impact environnemental. Comment s’en sortir?

D’abord, les coûts environnementaux et sociaux des vêtements sont externalisés, ce qui fait que l’on ne paie pas leur coût véritable. La destruction des écosystèmes pour assurer leur fabrication n’est jamais prise en compte, et les entreprises s’en tirent sans aucune sanction. Le polyester est un dérivé du pétrole, et on en porte sur une base quasi quotidienne. Quant au lavage, chaque brassée libère des microplastiques dans l’environnement, et donc dans le corps humain. Le réflexe «une portée, un lavage» est très bien ancré alors que la durée de vie d’un vêtement pourrait être deux fois plus longue en le lavant deux fois moins souvent. Si on en a les moyens, acheter des vêtements de qualité fabriqués localement, et réduire la fréquence de nos achats, voilà des choses qui ont un impact, dont sur notre porte-monnaie.

Vos vêtements sont-ils toxiques?

La récente pandémie a accentué bien des travers en ligne, donc à l’abri des regards, comme les jeux de hasard… et le magasinage. Un phénomène inquiétant, selon vous?

Beaucoup de gens se sont tournés vers l’achat en ligne pour combler des besoins fondamentaux, car nous avions perdu notre autonomie et le sens de la communauté, incapables de côtoyer nos amis et nos familles. Cela fait en sorte qu’on retourne ou on jette un vêtement jamais touché ni essayé, mais les sites possèdent plusieurs mécanismes pour nous convaincre d’acheter. Suffit de déposer quelque chose dans le panier virtuel pour recevoir un courriel le lendemain nous demandant si tel article nous intéresse toujours, ou on nous informe que 50 personnes regardent le même chandail que nous.

Vous évoquez les séances de magasinage de votre adolescence à Saguenay [autrefois Chicoutimi] dans les années 1990, et le conformisme qui s’y rattachait. Quel regard portez-vous sur les habitudes de consommation des jeunes de notre époque?

Mon univers de magasinage se limitait à un centre commercial et à 6 magasins où les adolescentes comme moi pouvaient trouver quelque chose à acheter. Les collections se renouvelaient chaque saison, pas chaque semaine! Les jeunes ont maintenant tout au bout des doigts, et ce qu’ils portent, grâce aux réseaux sociaux, peut être vu dans le monde entier. Ils consomment énormément de fast-fashion, et on a beau leur expliquer que plutôt d’acheter cinq tee-shirts cheap à bas prix, ils pourraient s’en procurer un seul, avec le même budget, et de grande qualité, le message ne passe pas. Or, ils ont besoin de s’identifier, le sentiment d’appartenance à un groupe est très grand. C’est normal à l’adolescence de vouloir s’affranchir des parents, mais j’espère que les valeurs écologiques que nous tentons de leur inculquer vont revenir une fois passée cette période de transition.

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Contenu original Selection du Reader’s Digest