Des oeuvres d’art issues du recyclage de métaux

Réaliser des oeuvres d’art à partir du recyclage de métaux permet de transformer les rebuts de notre civilisation en beauté et espoir.

Une sculpture de bison fabriquée à partir de pièces de vieux tracteurs.avec l'aimable autorisation de john lopez
Dans le Dakota du Sud, une sculpture de bison fabriquée à partir de pièces de vieux tracteurs.

Étrange est notre relation avec ce que nous jetons. Un documentaire sorti en 2022 expose cet étonnant lien. Interpellée par l’ambiance fantomatique, figée, qui émanait de la photo d’un cimetière d’avions à la périphérie de Moscou, la réalisatrice de Scrap Stacey Tenenbaum s’est demandé ce qu’il arrivait à ce genre d’objets lorsqu’ils cessaient d’être utiles.

Le film est tout d’abord un ravissement visuel. L’œil longe ainsi des tramways mis hors service, scrute des carcasses pourries de voitures puissantes piquées de mousse et de lichen. Mais une réflexion plus grave accompagne ces images harmonieuses: ramener à la vie ce qu’on a jugé inutile et désuet exige du travail – souvent difficile, sale et dangereux.

Nous utilisons et jetons une quantité inimaginable d’objets. Mais quelle est notre relation à ce que nous mettons au rebut? Le documentaire expose une façon d’échapper au mouvement qui consiste à se débarrasser des choses quand elles atteignent la limite de leur usage immédiat. Car il y a de la valeur dans épaves, avions accidentés, trains fatigués, vieilles cabines téléphoniques, qui peuvent en effet se transfigurer et devenir non seulement encore utiles, mais également magnifiques.

D'anciennes cabines téléphoniques connaissent une nouvelle vie à Londres.Peter Dazeley/Getty Images
À Londres, d’anciennes cabines téléphoniques connaissent une nouvelle vie avec cette installation artistique.

Soit l’emblématique cabine téléphonique rouge familière à tout anglophile qui se respecte. Tony Inglis dirigeait une entreprise de camionnage en Angleterre dans les années 1980 quand on lui a confié la tâche de retirer du paysage toutes les cabines téléphoniques vétustes. «On ne va tout de même pas les jeter», s’est-il dit.

Il a commencé à les réparer. Au fil des ans, il en a racheté plus de 2000 pour les faire revivre: il a gratté des décennies de couches de peinture, remplacé le verre brisé et restauré peu à peu leur dignité et leur beauté. Ces cabines retapées remplissent aujourd’hui une multitude de nouvelles fonctions. Elles sont ici une petite bibliothèque, là un stand à café, là encore un poste de défibrillateur.

Observer une personne se consacrer avec minutie et précision à une action restauratrice a quelque chose d’apaisant et même de salutaire. Si un vieil objet délabré peut ainsi retrouver un peu de son éclat, il n’est pas exclu que les humains eux-mêmes puissent recouvrer une manière d’intégrité.

Scrap est consacré aux objets, mais aussi à ceux qui les aiment. Prenez Ed Metka, de Kenosha, dans le Wisconsin, aux États-Unis. En 1980, cet ingénieur civil à la retraite s’est mis à acheter des tramways retirés de la circulation dans plusieurs villes nord-américaines, notamment à Toronto, au Canada, pour les retaper et les revendre.

Enfant, il observait attentivement les conducteurs si bien que, à cinq ans, il était persuadé de pouvoir faire tout ce qu’ils faisaient. «J’étais fasciné par les tramways, par leur apparence et ces bruits de cliquetis qu’ils produisaient.» Aujourd’hui, certains de ceux qu’il a retapés ont repris du service. «C’est une joie de voir ces voitures de nouveau sur les rails.»

La durée de vie du métal, bien plus longue que celle du corps fragile des êtres humains, est le sujet des sculptures de l’artiste John Lopez, du Dakota du Sud. L’homme assemble et soude des pièces de vieux tracteurs, des parties de machineries et des longues chaînes rouillées pour en faire des statues géantes de bisons, de tigres et de chevaux de trait. Dans un hommage éblouissant à son défunt père, il a créé un vieil arbre noueux couvert de délicats pétales de métal rose.

John Lopez est également inspiré par une ancienne tradition chez les fermiers du Dakota du Sud, explique-t-il, qui transportaient au sommet des collines les outils et instruments abîmés. «Ça me permet de raviver le souvenir d’un autre temps. Cela a un sens, beaucoup de sens.» Insérées dans le paysage, ses sculptures se dressent tels des dinosaures marqueurs d’une époque – et d’une vie de travail. Qu’elles fassent en outre l’objet de discussions et de commentaires leur assure par ailleurs une nouvelle existence et une autre utilité.

Des ouvriers récupèrent les pièces de vieux téléphones portables.Saumya Khandelwal
À Delhi, en Inde, les ouvriers récupèrent des pièces de vieux téléphones portables.

Dans une autre partie du monde, les machines et appareils abandonnés se transforment en habitat et en source de revenus pour de nombreuses familles. Juste à l’est de Bangkok, en Thaïlande, Fah Boonsoong vit avec ses enfants et ses petits-enfants dans un gros porteur éventré. Ce n’est pas le seul appareil échoué sur le terrain. Les touristes payent pour se faire photographier avec les avions abandonnés.

Pendant que les enfants bondissent sur les ailes, leur grand-mère raconte être la gardienne de ce qu’on appelle souvent un «cimetière» d’avions. Ce n’est pourtant pas le mot qui convient pour décrire cette communauté dynamique qui vibre au son des rires enjoués des enfants. «Les cimetières, c’est pour les morts. Nous sommes des êtres vivants, pas des esprits.»

Ressusciter les choses, voilà qui occupe également l’architecte Tchely Hyung-Chul Shin, qui travaille en France et en Corée du Sud. Son cabinet recycle des pétroliers et des cargos à bout de souffle et les transforme en églises et autres structures. Libérées de leur rouille et réaménagées en vertigineux espaces voûtés, les coques de navires, nervurées comme l’intérieur d’une baleine, se transforment en objets d’une beauté aérienne.

Ces métamorphoses saisissantes, on s’en doute, ne vont pas de soi. C’est un travail rude et ingrat que de tailler dans ces navires imposants pour en tirer les éléments constitutifs. Des vaisseaux sont mis au rancart partout dans le monde, mais la reconstruction se fait surtout en Espagne où une équipe internationale de charpentiers de marine démonte les bateaux. Il y a des scènes extraordinaires dans Scrap où l’on voit ces monstres tirés hors de l’eau avant d’être retournés et mis en pièces.

Lorsque des décennies de rouille accumulée sont nettoyées sur une section de coque de navire, explique M. Shin, il se sent proche de ces anciens guerriers aquatiques comme des membres de sa propre famille. «J’éprouve une forte émotion quand je vois ces pièces et ce navire. C’est comme prendre soin d’un ami ou d’un parent.»

Pendant ce temps, aux États-Unis, des épaves de voitures de désintègrent lentement et émergent tel un nouveau genre de végétation dans le paysage de White, en Géorgie. Sur les 14 hectares du site – surnommé Old Car City – plus de 4000 véhicules ont trouvé leur place de stationnement définitive, ce qui donne lieu à d’étranges spectacles au milieu de cette morosité. Sur un cabriolet des années 1950 couvert d’aiguilles de pin, une poupée abandonnée lève la tête. Certaines voitures occupent les lieux depuis si longtemps que des arbres traversent leur carcasse. C’est magnifique et légèrement angoissant.

Pour son propriétaire, le cimetière de voitures de White est une sorte de musée. «C’est l’art, la nature et l’histoire», résume Dean Lewis. Il en a hérité de ses parents, qui, en 1931, avaient fait du terrain un immense stationnement de voitures d’occasion. Il est devenu peu à peu un royaume de la décomposition.

Entre les panneaux rédigés à la main («Le sens de la vie, c’est de donner un sens à la vie», y lit-on) et les vieux chemins de terre taillés dans les bois, le lieu a acquis sa personnalité propre. Avec leurs formes et leurs couleurs qui font des mouchetures sur la carcasse métallique, les constellations de rouille sont d’une grande beauté, véritable tableau moderne. C’est à la fois triste et ravissant : les espoirs et les ambitions d’une autre époque qui se couvrent lentement de rouille et de terre.

À travers le monde, la culture du jetable a parfois pris des proportions effarantes. À Delhi, de vieux téléphones portables et des appareils télévisés sont démontés par des hommes et des femmes qui gagnent leur vie en en récupérant des pièces. Poussée par le besoin d’agir devant la monstruosité de tout ce gaspillage, la photographe Saumya Khandelwal documente en images la vie de ces travailleurs: «Quand quelque chose me dérange, je n’ai qu’une idée en tête: la photographier.»

Dans Scrap, ce mélange de décomposition et de renaissance illustre la conjonction de forces contraires. La beauté brute que retrouvent des déchets transformés en magnifiques objets fonctionnels rappelle qu’avec un peu de soin et d’amour il est possible de ramener à la vie à peu près n’importe quoi.

© 2022, Dorothy Woodend. Extrait de «Human History in Rust» de Dorothy Woodend, publié dans The Tyee (21 octobre 2022), thetyee.ca

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Contenu original Selection du Reader’s Digest