Piégés dans une grotte pendant 2 semaines

Pour l’équipe de foot piégée dans une grotte en Thaïlande, les secours semblent impossibles.

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Les joueurs de l'équipe de foot des Moo Pa.
Avec la permission de Facebook
De gauche à droite: Tee, 15 ans; Nick, 15 ans; Bew, 14 ans; Pong, 13 ans; Tern, 14 ans; Night, 17 ans; Adul, 14 ans; Mix, 13 ans; Titan, 11 ans; Mark, 13 ans; Note, 15 ans et Dom, 13 ans.

Excursion dans la grotte de Tham Luang

Samedi 23 juin 2018. Il fait 32°C à Mae Sai, la ville la plus septentrionale de Thaïlande. Les joueurs de l’équipe de foot des Moo Pa («sangliers sauvages») ont l’impression d’être enveloppés dans une serviette humide chaude, ce qui ne les empêche pas de pédaler jusqu’au terrain – comme d’habitude.

Si l’entraîneur chef Nopparat Khanthavong est le général de l’équipe, l’entraîneur adjoint Ekapol Chantawong – «Ek» – est le lieutenant sympathique. À 25 ans, avec ses yeux rieurs et sa voix enjouée, il est un peu le grand frère des garçons. Comme beaucoup d’enfants pauvres en Asie du Sud-Est, Ek a passé une bonne partie de son enfance dans un monastère où il s’est imprégné de discipline, de méditation et de générosité bouddhistes.

Après l’entraînement, Ek emmène souvent ses joueurs dans la grotte de Tham Luang, au pied de la montagne Doi Nang Non. Il suffit d’une demi-heure à vélo pour être à l’abri de la chaleur et du signal réseau auquel les enfants sont accros, ce qui plaît particulièrement à Ek. À midi, la troupe se déplace. C’est une première pour Peerapat Sompiangjai, ou «Night», un sobriquet plus court, pratique courante en Thaïlande. Il doit être rentré avant 17h car sa famille veut fêter son dix-septième anniversaire.

Un panneau rédigé en thaï et en anglais est affiché devant l’entrée de la grotte: «DANGER! RISQUE D’INONDATION DE JUILLET À NOVEMBRE». L’entraîneur Ek, qui ouvre la voie, n’est pas inquiet; on est en juin et les pluies de la mousson qui finiront par inonder les boyaux et les passages n’ont pas commencé. Night suit derrière; puis viennent Note, Nick et Tee, tous trois âgés de 15 ans; Bew, Adul et Tern, 14 ans; et enfin Dom, Pong, Mark et Mix, 13 ans. Au milieu de la bande, il y a le plus petit, celui qu’on appelle Titan, qui a 11 ans. Avec Ek, cela fait 13 personnes.

La grande salle d’entrée pourrait accueillir le Taj Mahal. Sur les parois, des traces de boue à six mètres indiquent le niveau que l’eau a atteint lors des dernières inondations. À environ 1,6 km, ils prennent à gauche à un carrefour en T. Ils veulent rejoindre Pattaya Beach – un banc de sable qui porte le nom d’une ville de villégiature – à environ 500m. Les garçons marchent vite; il faut parfois se pencher et se glisser dans des passages étroits. Titan, pour qui c’est aussi une première, a peur des ombres que font naître les lampes torches, mais n’ose le dire à personne.

Pattaya Beach est sans grand intérêt, mais les Moo Pa sont ravis de s’offrir cette petite aventure pour fêter l’anniversaire de Night. Ek surveille sa montre; ils sont dans la grotte depuis une heure. Il est temps de rebrousser chemin.

Avant le carrefour en T, au lieu de l’eau stagnante dans laquelle ils ont marché à l’aller, ils sont devant une eau plus profonde à fort courant. Ek sort une corde de son sac, l’attache autour de sa taille et donne des instructions aux trois aînés: «Si je tire deux coups secs, vous me ramenez. Sinon, vous suivez.»

Ek plonge, mais la noirceur, la profondeur et le courant ont raison de sa volonté. Il tire deux coups secs. Night est pris d’un accès de panique en ramenant son entraîneur.

Il est environ 17h. Les garçons apeurés n’ont pas mangé depuis des heures. Pour les rassurer, Ek dit une chose qu’il ne croit pas lui-même – que l’eau va certainement se retirer avant le matin. «Vous verrez, affirme-t-il. Et si on trouvait un endroit où dormir?»

Ils regagnent le banc de sable de Pattaya Beach, qui reste habituellement sec lors des crues. Ek rassemble les garçons pour la prière bouddhiste traditionnelle, des chants qui, espère-t-il, les soulageront avant qu’ils ne se serrent les uns contre les autres pour dormir. Mais les sanglots des garçons résonnent sur les parois.

En Thaïlande se trouve l’une de ces grottes époustouflantes du monde.

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Les pluies arrivent plus tôt que prévu.
Thierry Falise/LightRocket via Getty Images

Les pluies arrivent plus tôt

Les Moo Pa l’ignorent, mais les pluies de mousson sont arrivées plus tôt cette année. Les parents sont inquiets de ne pas voir rentrer les enfants. À 22h, ils sollicitent une équipe locale de secouristes et quelques parents se retrouvent les pieds dans la boue à l’entrée de la grotte, près de l’endroit où les garçons ont rangé leur vélo. Le gardien ne les autorise pas à pénétrer à l’intérieur, alors ils crient: «Night!», «Bew!», «Titan!», mais seul l’écho leur répond.

À 7h, le dimanche 24 juin, des secouristes entrent enfin dans la grotte. Vern Unsworth, un Britannique de 63 ans qui vit en Thaïlande et connaît la grotte mieux que quiconque, a reçu quelques coups de fils pendant la nuit et rejoint le lieu du drame. Il y a fait de nombreuses expéditions avec son ami Rob Harper pour élaborer la nouvelle carte des galeries et boyaux remplaçant celle qui datait des années 1980.

Au carrefour en T, Vern s’arrête net. La cuve qu’il connaît bien est sous l’eau. On l’avait prévenu, mais il ne s’attendait pas à en voir autant. Impuissant, il rebrousse chemin.

La deuxième nuit, poussés par l’eau qui monte, les garçons s’enfoncent plus profondément dans les galeries. Dans ce qui sera appelé plus tard la «chambre 9», à environ 2,3km de l’entrée, la pente boueuse contre la paroi est raide. Le plateau servira pour le couchage. Quand un garçon commence à pleurer, les autres l’entourent et tentent de le réconforter. Les enfants ont froid, ils ont peur et sont affamés. Par la prière et la méditation, Ek les aide à rester calmes. Ils n’ont pas de nourriture, mais plus bas, ils peuvent boire l’eau. Tee garde la bouche ouverte sous une stalactite et avale les gouttes une à une pour étancher sa soif.

Ils ne sont qu’au début d’une épreuve qui va durer deux semaines.

La plage de Patong à Phuket en Thaïlande fait partie des plages où l’eau est la plus chaude au monde!

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13 personnes sont restées coincées dans la grotte de Tham Luang.
Pongmanat Tasiri/EPA-EFE/Shutterstock

Où sont les garçons?

Les jours passent et on ne sait toujours pas où sont les garçons. Ont-ils survécu à la faim, à l’hypothermie ou à la noyade? Les SEAL de la force d’élite de la Marine en Thaïlande ne les ont pas retrouvés. Des milliers de soldats et de bénévoles sont rassemblés devant la grotte et le monde entier est suspendu aux infos, espérant un miracle. Mais l’eau monte et les militaires interrompent les tentatives de sauvetage. Le 28 juin, cinq jours après la disparition des enfants, Thanet Natisri, 32 ans, spécialiste en gestion de l’eau, débute à l’aide de tuyaux et de pompes une opération de diversion de celle qui ruisselle de la montagne pour empêcher qu’elle ne s’infiltre dans la grotte. Cela fait toute la différence; le tunnel devient navigable.

Le dixième jour, le lundi 2 juillet, deux des meilleurs spécialistes en plongée souterraine font le voyage de Grande-Bretagne en Thaïlande pour prêter main-forte à l’opération de sauvetage. Vern Unsworth a dessiné la carte de l’endroit où pourraient se trouver les enfants et les deux plongeurs – Rick Stanton, 57 ans, et John Volanthen, 48 ans – la mémorisent. Pendant trois heures, ils vont lutter contre le courant, respirer péniblement dans leurs régulateurs tout en débobinant soigneusement le fil d’Ariane, ce mince filin qui constitue leur lien avec le monde extérieur, une mesure de sécurité élémentaire en plongée. Ils s’enfoncent plus loin dans la grotte que les autres sauveteurs.

Rick vérifie sa jauge; il a consommé environ le tiers de sa réserve d’oxygène, ce qui sonne l’approche du retour. En plongée souterraine, on calcule en général un tiers de la bouteille pour l’exploration, puis un tiers pour le retour. Le troisième tiers est réservé aux difficultés, notamment si le plongeur se perd ou reste coincé. La mort survient quand l’équipement flanche, s’il y a une crue soudaine ou encore si la tête heurte violemment une paroi rocheuse – avec la panique qui en découle.

L’eau a avalé le banc de sable de Pattaya Beach. Vern pense que les garçons se sont réfugiés plus loin, à quelques centaines de mètres, dans une salle qui offre un terrain surélevé.

Rick et John ont participé à de nombreuses opérations de secours dans des grottes; certaines couronnées de succès, mais le plus souvent pour découvrir des corps sans vie. Personne ne s’en est encore tiré après s’être enfoncé aussi profondément et aussi longtemps dans une grotte sans vivres. Malheureusement, pensent les deux plongeurs, où qu’ils se trouvent, les enfants ne peuvent pas avoir survécu.

Rick se prépare à prévenir John qu’il faut bientôt faire demi-tour. Il sort la tête de l’eau et retire son masque pour respirer l’air ambiant. En présence d’une poche d’air, les plongeurs remontent à la surface et inspirent pour que le nez envoie l’information que les yeux ne peuvent pas fournir. Cette fois, ils notent l’odeur distincte d’excréments humains – ou de cadavres en décomposition. «John! s’exclame Rick dans le noir. On a quelque chose.»

Puis des voix. En s’approchant en direction du son, ils voient apparaître un rayon de lumière qui balaie la surface de l’eau.

Les grottes, entre autres, sont des lieux qui permettent de faire des découvertes archéologiques vraiment bizarres!

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Témoignage: les plongeurs découvrent que le groupe a survécu.
AP/Shutterstock
Cette photo saisit l’instant où les plongeurs découvrent que le groupe a survécu.

«Quand reviendrez-vous?»

L’entraîneur a entendu du bruit: des voix d’hommes. Les enfants restent figés car Ek leur a demandé de se taire. Silence. Puis les voix se font de nouveau entendre.

Les garçons ne savent pas si c’est bien réel. Ayant jalousement préservé les piles des lampes torches, ils sont restés presque tout le temps dans l’obscurité totale. Ils savent par les montres numériques que 10 jours se sont écoulés. L’oxygène diminue et leur sommeil est intermittent; ils rêvent de nourriture, de retrouver leurs parents et leur lit.

Trop épuisé pour se lever, Ek chuchote au jeune Mix d’aller voir au bord de l’eau avec sa lampe torche. «Fais vite. Si ce sont des secouristes, ils risquent de ne pas nous voir.» Les garçons voient alors deux créatures qui ressemblent à des astronautes avec des tuyaux sortant de la bouche et des casques hérissés de lumières. Les deux personnages à moitié immergés se parlent. Mix est terrorisé.

Adul lui prend la lampe des mains et s’adresse en thaï aux hommes. «Messieurs les agents! Messieurs les agents! Bonjour! Par ici!» Les voix ne répondent pas.

Surpris qu’on les ait retrouvés, Adul est encore plus troublé quand il comprend que ces hommes parlent anglais. Il avance prudemment au bord de l’eau. Il connaît un peu l’anglais, mais ne trouve rien d’autre à dire que «Bonjour!».

Les plongeurs étaient remontés à la surface à environ 45m du bord. Ils sont à une vingtaine de mètres quand leurs lampes frontales illuminent quelques garçons. «Combien êtes-vous?», crie John. «Treize!», répond un enfant. «Formidable, ils sont tous vivants!», s’exclame John. «Les sauveteurs sont en route et ils sont nombreux», ajoute-t-il, une affirmation que Rick et John regretteront et qui leur laissera un sentiment désagréable de culpabilité. Leur optimisme du départ est en train de céder devant la réalité des difficultés qui attendent les garçons.

«Je suis si heureux», leur lance Adul. «Nous aussi, nous sommes heureux», reprend John. Ils restent une vingtaine de minutes sur la berge boueuse pentue. Rick Stanton inspecte leur lieu de vie, le tunnel d’évacuation de trois mètres qu’ils ont creusé et l’endroit qu’ils ont nivelé pour pouvoir dormir. Quand un garçon demande avec une pointe de désespoir quand ils reviendront, un des hommes répond: «Demain, j’espère.»

«Nous avons faim», disent les garçons, en soulevant le maillot de l’équipe sur leurs côtes saillantes. Les plongeurs ne s’attendaient pas à les trouver vivants et n’ont pas apporté de nourriture. Rick examine le groupe. Les petits et l’entraîneur paraissent léthargiques et frêles, mais certains grands semblent étonnamment énergiques.

Au moment du départ, les enfants viennent les uns après les autres les enlacer de leurs bras squelettiques. Dans un pays où le contact physique avec des étrangers est inhabituel, où les mains jointes devant le visage d’un interlocuteur tient lieu de poignée de main, cette étreinte témoigne de la profondeur du soulagement et de la reconnaissance des jeunes.

La nouvelle se répand qu’on a retrouvé l’équipe de foot et les applaudissements fusent dans les camps de soldats et de bénévoles qui se sont multipliés autour de Mae Sai. Dans la maison du gardien du parc, les parents ne peuvent réprimer leur joie et s’embrassent.

Le jour suivant, sept SEAL thaïs font le voyage périlleux dans la grotte pour apporter des couvertures métallisées, du matériel médical et des gels énergétiques; quatre d’entre eux restent avec les enfants. Le lendemain, John Volanthen et Rick Stanton livrent des rations militaires. Les enfants n’ont pas mangé depuis 12 jours.

Avec de la nourriture dans l’estomac, ils reprennent des forces. Pour passer le temps, ils jouent aux dames avec les SEAL, les mottes de terre et les pierres faisant office de pions.

Une équipe de parasauveteurs de l’armée américaine basée à Okinawa, au Japon, est appelée en renfort et chargée de la logistique du plan de sauvetage. L’idée de laisser les garçons dans la grotte jusqu’à la fin de la saison de la mousson, dans quelques mois, est écartée quand on découvre que la mesure d’oxygène dans la chambre n’est qu’à 15,5%. Les enfants ne tiendraient pas aussi longtemps.

John et Rick savent que seule une poignée de plongeurs souterrains dans le monde peut survivre à l’exploit qu’ils viennent d’accomplir eux-mêmes; il est peut-être impossible de ramener les enfants. On élabore un nouveau plan: les Moo Pa seront mis sous sédatif. En effet, il suffit qu’un des garçons panique pour que la vie de tout le monde, secouristes inclus, soit en danger. Par conséquent, deux plongeurs australiens qui sont aussi médecins, le vétérinaire Craig Challen et l’anesthésiste Richard Harris seront la cheville ouvrière de l’opération. Il faudra en tout une dizaine de plongeurs travaillant par postes durant trois jours, pour ramener les 13 prisonniers de la grotte: quatre par jour les deux premiers jours, et cinq le troisième.

Deux autres plongeurs, Jason Mallinson et Chris Jewell, arrivent d’Angleterre. Le vendredi 6 juillet, ils livrent de la nourriture et des combinaisons de plongée aux garçons et reviennent quelques heures plus tard au camp avec des petits mots pour les familles, peut-être la dernière communication. Titan, le plus jeune, a écrit: «Maman, papa, ne vous inquiétez pas, je vais bien. Dites à Yod de se préparer à m’amener manger du poulet frit. Je vous aime.»

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Il fallait sauver ces 13 personnes coincées dans la grotte, mais ce n'était pas sans risque.
Avec la permission de Matt Gutman/Harper Collins

Une mission à haut risque

Avant que ne commence l’opération, il faut semer des centaines de bouteilles d’oxygène à divers points du parcours d’évacuation. Des Sked, ces brancards souples en plastique qui enveloppent les victimes comme un taco, sont disposés dans la chambre 3; on y installera les garçons pour le dernier passage dangereux avant la sortie de la grotte.

Le 6 juillet, Saman Gunan, un ancien SEAL thaï à la mâchoire carrée, transporte des bouteilles à oxygène dans l’espace d’évacuation entre les chambres 3 et 4, sa dernière plongée de la journée. En se retournant, son compagnon de plongée le retrouve inconscient. Il ne peut être ranimé. Personne ne comprend comment, mais il a épuisé sa réserve d’oxygène. La mort de Saman Gunan ébranle tout le monde.

Le samedi 7 juillet, veille du début de l’évacuation – deux semaines après que les garçons sont entrés dans la grotte –, Richard Harris et Craig Challen rejoignent les enfants dans la chambre 9 pour les examiner et calculer la dose de sédatif qu’il faudra administrer à chacun. Certains présentent des symptômes d’infection pulmonaire, mais dans l’ensemble, l’équipe et son entraîneur sont plutôt en bonne santé, dans les circonstances. Les médecins ont avec eux des lettres des familles. «Papa et maman t’attendent pour organiser ta fête d’anniversaire, écrivent les parents de Night. Reviens vite et reste en bonne santé.»

Richard va devoir administrer un sédatif à chaque enfant pour les calmer avant le départ. Au moment de plonger, on leur injectera de la kétamine pour les assommer et de l’atropine pour assécher les voies pulmonaires et éviter qu’ils ne s’étouffent dans leur salive. Il est prévu que l’effet des sédatifs s’estompe et que les garçons se réveillent à quelques reprises durant l’extraction de trois heures. Les plongeurs qui devront leur donner un sédatif sous l’eau suivent une formation d’urgence sur l’administration de ces nouvelles doses. Tant de choses peuvent mal tourner.

Sans fanfare, le dimanche 8 juillet à 10h, les plongeurs principaux – Craig Challen, Richard Harris, Rick Stanton, John Volanthen, Jason Mallinson et Chris Jewell – se glissent dans l’eau depuis la chambre 3, à quelques minutes de distance. Richard doit passer la journée dans la chambre 9. Jason se porte volontaire pour évacuer le premier garçon.

Dès qu’ils rejoignent la chambre 9, Note est préparé pour l’évacuation. Richard administre les sédatifs et quand l’enfant perd conscience, Richard et Jason lui attachent les membres pour empêcher qu’ils ne se blessent ou ne ce coincent, puis fixent sur son visage un masque à pression positive. Avec l’arrivée d’air en continu, Note respire malgré son état comateux. Richard vérifie l’étanchéité du masque en plongeant la tête de l’enfant sous l’eau. Note cesse de respirer. Après 30 secondes interminables, des bulles s’échappent enfin sur le côté, preuve qu’il exhale de l’air.

Une fois la bouteille d’oxygène fixée à la taille de l’enfant, Jason se saisit des deux sangles de son gilet de sauvetage gonflable et s’élance, suivant le protocole. Le premier passage est le plus long – c’est un parcours de 20 minutes sur 320 mètres. Il y a un goulet d’étranglement vers la fin; Jason a du mal à faire passer Note.

La tête du garçon est tournée vers le fond et effleure inévitablement les pierres invisibles. Ses pieds raclent le fond et se blessent sur les cailloux acérés. La mission de Jason ne consiste pas à ramener l’enfant sans blessure; la priorité, c’est de le garder en vie, et pour s’en assurer, il concentre son attention sur l’étanchéité du masque. Si le joint se relâche, Note mourra noyé.

Peu de temps après que Jason et Note ont émergé dans la chambre huit, John arrive à son tour avec Tern. Ils sont suivis 20 minutes plus tard par Chris Jewell qui transporte Nick. Puis, un à un, les plongeurs et les garçons pénètrent dans la cuvette de la chambre 7 et poursuivent leur route.

Amateur de mission périlleuse, vous allez aimer l’histoire incroyable du sauvetage de ce camion suspendu sur un pont.

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Ils ont évacué les prisonniers de la grotte sur des brancards Sked.
Amnat Phuthamrong/Shutterstock.com
Ils ont évacué les prisonniers de la grotte sur des brancards Sked au musée de la grotte de Tham Luang au temple Wat Phra That Doi Wao dans la ville de Mae Sai.

«Il n’y a rien que l’on puisse faire!»

Dans la chambre 9, Richard Harris administre la kétamine au dernier garçon à entreprendre le périple ce jour-là. Night perd conscience et cesse de respirer, mais recommence doucement après quelques secondes. Rick Stanton plonge dans le canal avec lui et surveille attentivement les bulles qui l’assurent que l’enfant expire. Après une cinquantaine de mètres, il alerte le médecin: «Il ne respire pas beaucoup!» Night n’a pas plus de trois inspirations par minute. Richard répond: «Il n’y a rien que l’on puisse faire, continuez!»

Quatre garçons sont en route vers la sortie. Richard plonge à son tour. Il arrive dans la chambre 8 peu de temps après Rick et constate que Night respire à peine et que sa peau froide a pris une teinte violacée. La joue contre le sable, Richard tient la tête de l’enfant pour maintenir ses voies respiratoires dégagées. Ça ne va pas du tout, se dit-il. Mais Night commence à respirer sporadiquement et tout finit par se stabiliser – en réalité, il reprend conscience. Richard lui administre une autre dose de kétamine pour le replonger dans le sommeil, et Rick poursuit le périple.

Devant lui, Note tressaille au moment même où Jason Mallinson, le premier plongeur, va quitter la chambre 7. Avec de l’eau jusqu’au cou, il plaque Note contre une paroi et cherche la kétamine de son sac. Quand il la trouve, les seringues sont éjectées et dérivent lentement à la surface de l’eau. Jason arrive à en saisir une et injecte le produit.

Le boyau étroit entre la chambre 4 et la chambre 3 est le dernier passage difficile, mais non le moindre. On y voit à peine et s’aventurer à tâtons s’avère compliqué quand il faut s’accrocher au fil d’Ariane et tenir le garçon.

Jason a mémorisé le parcours. Il installe Note à la verticale et le glisse dans l’ouverture étroite en prenant soin de ne pas le lâcher. C’est un des moments les plus sombres de la plongée et Jason espère que son pupille amoché est toujours en vie.

Dans la chambre 3, l’avant-dernière avant l’entrée de la grotte, Note ne réagit plus. Un médecin thaïlandais posté là relève ses signes vitaux.
«Il est vivant!», annonce-t-il. Les membres de l’équipe de sauvetage présents applaudissent de joie.

Il reste encore au moins 1000 mètres avant de crier victoire. Note est sanglé sur un brancard Sked, lui-même harnaché à un système de poulie installé pour soulever les enfants au-dessus de plusieurs rochers. Une autre équipe prend le relais pour porter le Sked sur plus de 60 mètres autour de stalagmites et de rochers. Puis, des SEAL thaïs transportent le brancard dans une pente à 45º par un autre système de cordes, pour le confier à un parasauveteur qui amène le garçon dans la chambre 2.

Une dernière équipe de SEAL thaïs se charge de l’ultime portion du trajet et, avec de l’eau jusqu’à la poitrine, ils transportent Note sur les 365 mètres qui les séparent de l’entrée de la grotte. Note est exposé à ses premiers rayons de lumière naturelle depuis plus de deux semaines.

Au fur et à mesure de l’arrivée des garçons – d’abord Note, puis Tern, Nick et Night – les ambulances les transportent à l’écart de Tham Luang pour les envoyer à bord d’un hélicoptère vers un hôpital de Chiang Rai. Les parents ne savent pas encore que l’opération a réussi. Mais la nouvelle se répand rapidement: quatre garçons sont sortis et ils sont tous en vie.

Alors que le monde entier découvre l’incroyable exploit des plongeurs, Jason Mallinson et les membres épuisés de l’équipe préparent la journée du lendemain, quand il faudra ramener quatre autres garçons en lieu sûr. Impossible de s’arrêter maintenant – il y a des dizaines de bouteilles d’oxygène à remplir et à remplacer, des cordes à retendre et bien d’autres choses encore.

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L'entraîneur adjoint Ekapol Chantawong, appelé «Ek».
Avec la permission de Facebook
L’entraîneur adjoint Ekapol Chantawong, appelé «Ek».

Un exploit invraisemblable

Il reste 48 heures avant que la navette humaine n’ait remplie sa mission. Le deuxième jour, Nick, Adul, Bew et Dom sont transportés sans peur ni incident. «Ce que nous faisons est une première, dit Richard Harris à un planificateur de sauvetages. Au départ, c’était une mission impossible.»

Tous savent qu’il ne faut jamais crier victoire. Une nouvelle menace les attend. La météo prévoit de fortes pluies le troisième et dernier jour, jusqu’à 50mm. Si cela se confirme, l’opération de secours sera suspendue pour ne pas endommager les pompes qui évacuent l’eau en permanence. Dans ce cas, impossible de prédire combien de temps les garçons, Ek et les quatre SEAL thaïs toujours présents dans la chambre 9 resteront livrés à leur sort.

Le lendemain, mardi 10 juillet, la pluie cesse. C’est maintenant ou jamais. L’équipe démarre une heure plus tôt que prévu. Après le carrefour en T, les plongeurs sont soulagés de constater qu’il n’y a pas d’eau claire dans le courant – le système de diversion mis au point par Thanet fonctionne encore.

Plus tard, le même jour, Pong, le dernier des garçons à être évacué, est conduit à l’hôpital où, avec ses camarades et leur entraîneur, il restera une semaine en observation. Les quatre SEAL ont gagné la sortie.

L’équipe de sauvetage sort de la grotte devant une foule impressionnante qui applaudit et crie plus fort que la pluie: «Nos héros!» et «Merci!». Les parents pleurent de joie. C’est terminé.

Quelques heures plus tard, la mousson coupe la grotte Tham Luang du reste du monde.

Seuls les plongeurs et les médecins savent à quel point ce sauvetage relève du miracle. Ils ont mené une opération qui ne s’était jamais faite: évacuer 13 êtres humains inconscients sur deux kilomètres de boyaux inondés et accidentés sans déplorer un seul décès. D’origine militaire et civile, thaïlandaise et internationale, les équipes de secours ont réussi l’impossible. La mission a atteint ses objectifs: les Moo Pa sont rentrés chez eux.

Plusieurs semaines plus tard, les garçons enfourchent leurs vélos et grimpent vers le sommet de la colline où se trouve un petit temple bouddhiste. C’est là que réside l’entraîneur Ek et ils veulent célébrer avec lui le douzième anniversaire de Titan. Il est presque 21h quand ils quittent Ek, heureux, et s’engagent dans la descente vers chez eux. Ils n’ont pas peur. Après tout, ce sont les Moo Pa.

Tiré du livre The Boys in the Cave de Matt Gutman ©2018 Matt Gutman. Avec l’autorisation de HarperCollins Publishers.

En 2019, pour leur contribution à cet effort remarquable, le roi de Thaïlande a accordé des distinctions à 75 Thaïlandais et plus de 100 secouristes étrangers – originaires notamment de Belgique, du Royaume-Uni, du Laos, du Canada, du Danemark, de Finlande, de Chine, d’Allemagne, du Japon, de Singapour, d’Ukraine et des États-Unis. Le roi a accordé une promotion à titre posthume au SEAL Saman Gunam et financé ses obsèques.

Les plongeurs britanniques John Volanthen, Rick Stanton, Chris Jewell et Jason Mallinson ont reçu de la reine Elizabeth II une médaille pour des actes de bravoure. Vern Unsworth a été nommé MBE (membre de l’ordre de l’Empire britannique) pour son rôle dans le sauvetage. Craig Challen et Richard Harris ont été nommés conjointement Australiens de l’année 2019.

Thirteen Lives (un film de Ron Howard avec Colin Farrell dans le rôle de John Volanthen et Viggo Mortensen dans celui de Rick Staton) devrait prendre l’affiche au printemps 2022.

Extraits du livre The Boys in the Cave de Matt Gutman, ©2018 Matt Gutman.
Avec l’autorisation de HarperCollins Publishers.

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