La vérité sur la conservation des produits de beauté

Vous demandez-vous si vos produits de beauté contiennent des agents de conservation? Rhonda Rovan a voulu vérifier jusqu’à quel point ces produits étaient sans danger.

La vérité sur la conservation des produits de beauté

Q. J’ai remarqué que plusieurs produits de beauté sont identifiés «sans parabènes». Quels agents de conservation les fabricants utilisent-ils pour le remplacer et sont-ils sans danger?

R. Au cours des dernières années, l’un des plus importants dilemmes auquel ont fait face les fabricants de produits de beauté étaient de savoir si leurs produits devaient ou non contenir des agents de conservation synthétiques. Largement utilisés dans la fabrication de ce type de produits depuis des dizaines d’années, les parabènes prolongent leur durée de vie, et empêchent la formation de champignons, de bactéries et de microbes dans les crèmes et produits de maquillage, en particulier dans un environnement chaud et humide comme une salle de bain.

Cependant, les parabènes ont été utilisés sous haute surveillance et l’alarme a été donnée en 2004 au Royaume-Uni, après qu’une brève recherche ait permis de découvrir des traces de parabènes chez une patiente atteinte de tumeurs au sein. La recherche n’a pas démontré que les parabènes étaient la cause des tumeurs et n’a pas établi de comparaison avec le niveau de parabènes dans les tissus sains. On croit également que les parabènes simulent le comportement de l’œstrogène. Certains chercheurs croient qu’ils pourraient être des perturbateurs endocriniens, contribuant à la diminution des spermatozoïdes et à l’augmentation du taux de cancer du sein et des testicules chez les hommes. Les organismes gouvernementaux de régulations et les groupes d’experts croient qu’il n’y a pas encore assez d’études pour permettre de se prononcer, cependant, on assiste déjà à une modification de la composition de plusieurs produits de beauté.

En 2010, la société Dermtek de Dorval au Québec annonçait que la gamme de produits Reversa ne contiendrait dorénavant plus de parabènes. Principessa Beauty suivait le même chemin. Cette société vancouvéroise, spécialisée dans les produits de maquillage et de soin corporel, utilisait les parabènes depuis sa fondation, il y a huit ans. «Mais depuis quelques temps, nous commencions à recevoir des commentaires de nos clientes et de nos boutiques qui se disaient préoccupées à propos des parabènes, explique Trish Lucarino, l’une des co-fondatrices de l’entreprise.» Après avoir consulté les chimistes avec lesquels la société avait élaboré ses produits, on a décidé d’utiliser le phénoxyéthanol, un autre agent de conservation synthétique.

«Comme les parabènes, le phénoxyéthanol est un composé synthétique qui retarde la croissance des bactéries, explique Ben Kaminsky, chimiste pharmaceutique de Montréal.»

Il sert aussi de fixatif dans la fabrication des parfums. «Il s’agit d’un solvant, explique David Palmer, directeur du département de chimie à l’Université de Saskatchewan. Il empêche l’évaporation des composants volatiles.»

Pour certains acteurs de cette industrie, l’élimination des parabènes n’était pas nécessaire, parce qu’il s’agit d’un agent de conservation génial et très peu couteux pour la production de masse. Ben Kaminsky, qui est à la tête d’une entreprise de produits pharmaceutiques et co-fondateur de la gamme des produits B. Kamins, manufacturés dans son laboratoire de Pointe-Claire au Québec, affirme sans détour que ce changement a été provoqué par la pression des consommateurs. «Les plus importants et les plus prestigieux organismes de surveillance de la santé dans le monde, notamment Santé Canada, Food and Drug Administration et l’Agence japonaise de normalisation des cosmétiques n’ont jamais interdit l’utilisation des parabènes. Et pour les médicaments, rien n’a changé concernant l’utilisation des parabènes.»

Le phénoxyéthanol n’est pas le seul substitut possible, cependant, une inspection rapide du placard du magazine Plaisirs Santé nous a démontré qu’il est omniprésent. Jennifer Kruidbos, porte-parole à Montréal pour les marques de produits de soins de la peau La Roche-Posay et Vichy indique que la liste des agents de conservation de remplacement peut comprendre le benzoate de sodium, le déhydroacétate de sodium, le sulfate de sodium, la vitamine E et le o-Cymen-5-ol.

«Dans cette industrie, vous devez choisir parmi une gamme ou un ensemble de produits, celui qui convient le mieux à chaque type d’émulsion, explique Ben Kaminsky. Les émulsions à base d’eau sont différentes de celles à base d’huile. Ce n’est pas un jeu, mais plutôt un art que de faire le bon choix. Et malheureusement, les agents de conservation naturels ne sont pas aussi efficaces que les agents synthétiques. Ils nous causent bien des problèmes, poursuit-il.»

Mais pourquoi donc faut-il des agents de conservation? «S’il n’y en avait pas, il y aurait un risque pour la santé, explique Darren Praznik, président et chef de direction de l’Association canadienne des cosmétiques, produits de toilette et parfums. Ces produits sont souvent rangés à température de la pièce, ils contiennent beaucoup d’humidité et attirent les microbes. Si vous avez une coupure sur la peau, les microbes pourraient causer une infection.»

Ben Kaminsky décrit l’apparence d’un produit de maquillage qui se dégrade: «L’émulsion se déstabilise, le produit se décolore et dégage une mauvaise odeur. Les germes peuvent envahir le corps par les lésions ouvertes et provoquer un empoisonnement sanguin.»

Comment éliminer ou diminuer ce risque, qui peut survenir malgré les emballages sécuritaires? «On peut sceller hermétiquement un flacon de lotion pour en protéger le contenu, explique Jennifer Kruidbos, donnant l’exemple du Toleriane Ultra de La Roche-Posay, qui se présente dans un sac à l’intérieur d’un flacon à bouchon gicleur. La crème Avène pour peau sensible vient dans le même type de contenant sécuritaire. La société REN, qui fabrique des produits pour les soins du visage et du corps au Royaume-Uni utilise des procédés semblables. Mais il s’agit de produits peu répandus pour des marchés bien spécifiques; et ils sont quand même assez chers.

Éliminer complètement les agents de conservation? C’est réaliste pour les compagnies qui produisent en petites quantités. Sarah Crawley de Soap Girl, une compagnie d’Halifax, explique qu’il n’y a aucun agent de conservation dans leurs produits parce qu’ils ne contiennent pas d’eau. Dans un produit à base d’eau, il faut ajouter des agents de conservation pour assurer l’intégrité du produit. Nous offrons également un masque facial en poudre; on humidifie le mélange juste avant de l’utiliser. Comme il s’agit d’un composé sec, les agents de conservation ne sont pas nécessaires.

Notons également que l’élimination des préservatifs est possible dans les produits qui contiennent un pourcentage de huit à dix pour cent d’acide glycolique et qui ont un pH de 3,8, explique Robert Lavoie, président de Dermteck. «Dans les produits contenant ce pourcentage d’acide glycolique, nous n’avons jamais ajouté d’agents de conservation. Et des études récentes ont démontré que si le pH est de 3,8, il n’y a pas besoin d’agents de conservation même si le taux d’acide glycolique est plus bas.» La gamme de produits Soin multi-fonctions, qui ne contiennent pas d’acide glycolique, utilise le sorbate de potassium comme agent de conservation et le phénoxyéthanol. 

Chez Green Beaver, un fabricant de produits de soins personnels naturels et biologiques de Hawkesbury en Ontario, Alain Ménard, microbiologiste et cofondateur de la société affirme que «près de la moitié de leurs produits ne contiennent pas d’agents de conservation parce qu’ils ne contiennent pas d’eau, mais sont à base d’huile et de cire comme la crème en bâtonnet pour les lèvres. Avec le dentifrice qui contient de l’eau, nous utilisons la glycérine qui prévient la formation de microbes. C’est plus difficile avec les crèmes et les lotions: nous utilisons une diversité de conservateurs naturels comme le curcuma, le clou de giroflier, l’origan, le thym, le romarin, la racine d’hydrasye, de l’extrait de pépin de raisin, de l’huile de lavande et de la citronnelle.»

Mais les conservateurs naturels ne conviennent pas à tous les types de cosmétique parce qu’il en faut une grande quantité pour qu’ils soient efficaces. «Le prix de revient est très important,» précise David Palmer. Et les consommateurs sont très sensibles à la texture et à l’odeur. «Imaginez un fard à lèvres qui s’étendrait mal et dégagerait une odeur de curcuma. Par rapport aux conservateurs naturels, il faut de bien moins grandes quantités de phénoxyéthanol.

Alain Ménard croit qu’après les parabènes, le phénoxyéthanol sera le prochain produit ciblé par les consommateurs. «Ce n’est qu’une question de temps avant qu’on ne cesse de l’utiliser. Pour les fabricants de produits biologiques, l’étiquette «sans parabènes» est devenue une sorte de paratonnerre écologique. Pourtant, ces mêmes fabricants utilisent le phénoxyéthanol. Ils ont simplement troqué un conservateur pour un autre

Alain Ménard croit que l’on devrait bannir l’utilisation du phénoxyéthanol. «Elle est déjà interdite au Japon, un pays qui devance les autres en matière de sécurité des produits cosmétiques. » Il considère également que le site du Groupe de travail sur l’environnement aux États-Unis est une très bonne source de références sur la toxicité de cette composante.

«De plus, note Alain Ménard, plusieurs fabricants ont remplacé les parabènes par un autre conservateur chimique: le formaldéhyde à libération retardée. Celui-ci se retrouve dans la liste des ingrédients sous les appellations quaternium-15, le DMDM hydantoïn, l’imidazolidinylurée et la diazolidinylurée. Santé Canada autorise l’utilisation du formaldéhyde dans les produits cosmétiques à in niveau inférieur à 2 pour cent, et cette limite pourrait s’élever, croit-il.».

En juin 2008, Santé Canada recommandait de ne pas utiliser la crème Mommy’s Bliss Nipple Cream, conçue pour apaiser les mamelons secs ou craquelés et vendue comme un produit entièrement naturel. Le phénoxyéthanol contenu dans cette crème était l’une des raisons pour lesquelles ce produit pouvait avoir des effets secondaires auprès des nourrissons. Santé Canada affirme que le phénoxyéthanol peut ralentir certaines fonctions du cerveau et provoquer chez les nourrissons des vomissements et la diarrhée, pouvant aller jusqu’à la déshydratation.

David Palmer explique que «l’interdiction de la crème pour les mamelons a frappé l’imaginaire collectif et que le phénoxyéthanol a été mis au banc des accusés par association. Il y a une énorme différence au plan toxicologique entre un jeune enfant qui ingère un produit et un adulte qui étend le même produit sur sa peau. Dans le cas des composés de formaldéhyde à libération lente, le danger vient d’une utilisation de doses élevées, de la chaleur qui accélère la libération du produit ou de l’entreposage pendant une période prolongée.»

«Je pense que les gens ne devraient pas s’inquiéter à propos du phénoxyéthanol, dit-il. Dans le dosage qui nous concerne, le plus grand risque peut se définir comme: peut causer une irritation.»

Pour sa part, Trish Lucarino de Principessa, pense qu’il y a beaucoup d’informations erronées qui circulent sur Internet, c’est pourquoi elle se fie à l’avis de ses chimistes qui prétendent qu’il n’y a pas de danger à utiliser le phénoxyéthanol dans les doses minimes que contiennent leurs produits.

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