La danse de l’insecte

Ma routine sportive quotidienne comprend désormais une séance de danse endiablée de 40 min dans la cuisine avant d’aller au lit. Je m’élance tel un jeune Noureev pour réaliser un grand jeté vers la gauche suivi d’un autre vers la droite. J’enchaîne avec de vigoureux claquements de pied au sol sur le mode Fred Astaire déchaîné.

Illustration de l'article "La danse de l' insecte " pour le magazine.Sam Island

Tout cela à cause d’une double infestation d’insectes. Chez moi, l’air est saturé de mites alimentaires et les cafards foncent sur toutes les surfaces. Ces bestioles sont courantes en Australie, surtout l’été quand il fait chaud. Mais je suis résolu à remporter la guerre que je leur ai déclarée.

J’ai dit qu’ils «foncent», mais ce n’est pas tout à fait juste. Disons que les cafards marchent d’un pas vif et résolu. Ils ne craignent rien; ils sont chez eux. À voir leur déambulation fière et digne, j’imagine qu’ils ont déjà communiqué avec ma banque et mis la main sur mon hypothèque.

J’ai essayé les pièges, bien sûr, mais les cafards ont tendance à les considérer comme des mobile homes disposés çà et là à leur intention. Quant aux insecticides, je suis le seul à en avoir souffert. À cet égard, et avant d’arroser, je devrais plutôt demander à toutes ces bestioles d’aller me chercher l’inhalateur pour asthme rangé dans une commode de ma chambre.

Plus récemment, mon imagination a caressé l’idée d’une petite attaque nucléaire soutenue par Kim Jong Un, mais il paraît hélas que les cafards survivent même à cela.

Les mites alimentaires sont tout aussi indifférentes aux produits présumés les éradiquer. Les pièges à mites par exemple – essentiellement une feuille de papier collant imprégné de phéromones femelles. C’est la version du night-club chez les insectes.

Mais le problème est que, s’ils sont efficaces sur 95% des envahisseurs, les mâles plus forts survivent et ce sont eux qui s’accouplent avec les femelles. Si bien que mon garde-manger est désormais le siège d’une évolution accélérée. Encore trois semaines et les mites auront la taille de chauves-souris. Dans trois mois, celle des dragons de Game of Thrones.

Au final, il ne me reste donc plus que la danse et les claquettes: j’attrape les mites à la main, j’exécute les cafards avec les pieds.

Pour une raison qui m’échappe, c’est à moi que revient la responsabilité d’affronter cette infestation. «C’est dégoûtant, dit Jocasta, mon épouse. Quand donc vas-tu t’en occuper?» Sous-entendu: «Quand engageras-tu un homme (un vrai) pour résoudre ce problème?»

En réalité, j’ai appelé un authentique pro de la désinsectisation, pour me faire dire que son seul déplacement coûterait 365$. Voilà qui n’a fait que stimuler ma chorégraphie. Mikhaïl Baryshnikov mâtiné de Jackie Chan, je bondis d’un côté et de l’autre de la cuisine, telle une redoutable machine de mort volante. Je m’endors tous les soirs à bout de souffle, épuisé, comparant les pertes nocturnes dans le camp des insectes et les troupes fraîches du lendemain.

La femelle cafard produit huit oothèques au cours de son existence, chacune pouvant contenir jusqu’à 40 œufs. Combien au total? Multipliez 8 par 40 et vous aurez la réponse: dégoûtant!

Ce n’est rien comparé à la mite alimentaire qui pond 400 œufs d’un coup, qui mettent aussi peu que sept jours à éclore. C’est trop, même pour Baryshnikov. Il me faudrait un corps entier de ballet.

Les mites alimentaires viennent vraisemblablement des courses; par conséquent, il suffit de congeler les produits non périssables pour tuer tous les œufs. Pas très pratique. Pis, qui eût cru que la farine, le riz, la poudre d’amande et le reste pouvaient se remplir d’œufs de mites? C’est fini, je ne mangerai plus rien de ma vie.

Il ne me reste qu’à patienter. Kim Jong Un finira peut-être par détruire toute vie sur Terre, y compris les cafards, prouvant que la science s’est trompée. À moins que, de guerre lasse, je ne surmonte ma réticence à dépenser 365$.

C’est peu probable. Dans tous les cas, souhaitez-moi bonne chance.

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Contenu original Selection du Reader’s Digest