Un après-midi de fin novembre 2019, j’ai quitté Canberra dans un brouillard de fumée de feux de brousse pour rentrer chez moi, sur la côte sud de la Nouvelle-Galles du Sud. Je traversais un paysage de campagne desséché et de fragiles bosquets d’eucalyptus en direction de l’est, et un vent puissant soufflait un épais brouillard de poussière et de fumée. La fumée pouvait venir de n’importe où – plus de 60 feux se consumaient cette semaine-là en Nouvelle-Galles du Sud.
À environ mi-chemin de la capitale et de la côte, je me suis garée sur le bas-côté afin de mener un entretien téléphonique pour un article sur lequel je travaillais au sujet de l’incroyable saison des feux de brousse déjà entamée. Elle avait démarré très tôt dans le Queensland à la fin de l’hiver, avant de se déplacer en Nouvelle-Galles du Sud au printemps. Dès le début du mois de novembre, plus de 1,6 million d’hectares avaient été dévastés, six personnes étaient mortes et près de 500 résidences avaient été détruites dans le nord de la région. Des lieux que l’on pensait inaccessibles aux flammes, comme les forêts tropicales humides ou les marais côtiers, étaient en train de brûler. À un moment, le front de feu avait atteint 6000 km de long.
Tout cela avant le premier jour de l’été. Les chefs des pompiers et les scientifiques nous mettaient en garde: le pire restait encore à venir. Je commençais à structurer mon article autour d’un propos du professeur David Bowman, un écologiste chevronné de l’université de Tasmanie spécialisé dans les feux. Dans un texte que j’avais lu, il prédisait que cette saison «redéfinirait notre conception des feux de brousse en Australie» et «nous enseignerait ce qui pourrait se produire dans un monde post-changement climatique». À quoi ce nouveau monde ressemblerait-il, me questionnais-je, et à quel point y étions-nous préparés?
Avant de passer mon appel, j’ai consulté l’application Fires Near Me sur mon téléphone. C’est la plateforme des services d’incendie ruraux de la Nouvelle-Galles du Sud dédiée aux dernières informations sur les feux de brousse en cours. Toute personne vivant dans une propriété dans le bush, près de forêts domaniales ou d’un parc national se fie à cette application.
Sur mon téléphone, je pouvais voir qu’un nouveau feu était apparu. Il n’était pas proche de chez moi, mais de l’autoroute. J’ai annulé l’entretien et suis vite repartie au cas où la route serait fermée.
Le feu se trouvait dans une zone de broussailles denses à quelques kilomètres de Nelligen, un village à environ une demi-heure dans l’arrière-pays de la ville touristique côtière de Batemans Bay. En arrivant à Nelligen, j’ai vu des panaches de fumée qui s’élevaient à des centaines de mètres d’altitude. De petits feux disséminés s’embrasaient plus près de la ville. On entendait des portières de voiture claquer et des crissements de pneus dans les allées des habitants qui se hâtaient dans leurs derniers préparatifs. Certains demeuraient pétrifiés, parlant d’une voix forte dans leur téléphone, les yeux rivés sur l’incendie. J’ai été frappée par un climat de peur collective.
Exactement une semaine plus tard, ce feu chargerait ma propre résidence avec une férocité que je n’aurais jamais pu imaginer, et je serais en train d’attendre dans une autre ville de voir si mon mari et ma maison avaient survécu.
Au cours de l’été, le feu de Currowan – qui tient son nom de la forêt domaniale où la foudre l’a allumé – continuerait de menacer ma famille étendue, mes amis et mes voisins. Il emporterait des vies et plus de 300 maisons. Il nous donnerait à voir ce jour où il ne resterait plus un seul refuge sûr.
La lutte contre le réchauffement climatique passe aussi par notre assiette. Voici comment bien manger pour sauver la planète.
État d’urgence
Pour de nombreux Australiens, le premier véritable indice qu’un événement que nous n’étions pas équipés pour affronter se produisait est apparu dans la première semaine de novembre. Près de 100 feux non maîtrisés brûlaient dans toute la Nouvelle-Galles du Sud, et 17 d’entre eux étaient considérés comme des menaces mortelles immédiates. Le chef du service d’incendie de l’État prédisait que, dans les jours à venir, on assisterait à «la semaine de feux de brousse la plus dangereuse jamais vécue par le pays», et le 11 novembre, la première ministre de la Nouvelle-Galles du Sud, Gladys Berejiklian, a déclaré un état d’urgence de sept jours, fermant 600 écoles.
Une alerte d’incendie catastrophique a été déclenchée dans les régions les plus peuplées de l’État, de Newcastle jusqu’à Sydney, Wollongong et la Côte Sud. Dans un communiqué, les services d’incendie ruraux (SIR) ont averti la population que le niveau de danger était tel que tout le monde ne serait pas secouru: «Il n’y a tout simplement pas assez de camions d’incendie pour chaque maison. Si vous appelez à l’aide, il est possible que personne ne vienne.»
Tous les services de lutte contre le feu étaient débordés, pas seulement les SIR. Le pays était à court de sapeurs-pompiers du Service des parcs nationaux et de la faune de Nouvelle-Galles du Sud ou de directeurs des feux expérimentés. Et bien que l’Australie fût plongée depuis deux mois et demi dans la plus terrible saison des feux de son histoire, seule la moitié des grands avions bombardiers d’eau de grande capacité que l’Australie loue à l’hémisphère Nord était arrivée.
Dans les cinq premiers jours de son existence, le feu de Currowan s’est consumé dans les forêts peu peuplées qui s’étendent à l’intérieur des terres non loin d’une ribambelle de petits villages de la Côte Sud, comme Bawley Point. Ma propriété se trouve sur le flanc d’une colline qui marque l’une des frontières où ce vaste arrière-pays laisse place au terrain littoral. La menace n’était pas imminente, mais certains jours j’apercevais de la fumée s’élever derrière la colline, et j’ai commencé à trouver parfois une feuille brûlée sur ma pelouse.
Nous sommes toujours plus ou moins prêts pour un incendie. Lorsque nous avons fait construire, il y a une dizaine d’années, nous avons employé des matériaux non combustibles et installé d’énormes citernes d’eau. Des lances à eaux sont fixées en permanence à la maison et nous entretenons une grande zone dégagée autour du bâtiment. Mais cette semaine-là j’ai sorti les sacs de vêtements ignifugés et acheté des gicleurs supplémentaires.
Les équipes locales des SIR et les pompiers des parcs nationaux et forêts domaniales battaient le bush toute la journée pour renforcer les lignes de confinement ou localiser les limites du feu. Des bénévoles avec un emploi de jour ou des responsabilités familiales prenaient le quart de nuit.
Au terme de ces cinq premiers jours, un samedi soir, le feu de Currowan mesurait près de 8000 ha, dont seuls 30% étaient maîtrisés. Notre meilleur espoir était d’attendre une pluie qui ne viendrait pas, comme nous le savions tous.
Un autre événement troublant s’est produit cette semaine-là: l’application Fires Near Me a cessé de fonctionner. Sur le terrain, nous avions le sentiment d’avancer à tâtons.
Assurez-vous de suivre ces conseils pour survivre à un incendie domestique.
Le feu nous rattrape
Six jours après s’être embrasé, le feu de Currowan a quitté l’arrière-pays pour commencer à gronder en direction des petits villages et villes le long de la côte, ainsi que de centaines de propriétés plus isolées, dont la mienne. Une épaisse fumée orange tournoyait dans le ciel. J’ai reçu un texto des services d’urgence demandant aux habitants de notre zone de chercher un refuge. J’ai entassé albums photo et enfants dans la voiture et les ai conduits jusqu’à la maison de mes parents, dans une région agricole semi-rurale à environ 40 km plus au nord, bien loin du feu, puis je suis retournée à la maison pour m’affairer avec mon mari, Chris, aux derniers préparatifs.
Un groupe WhatsApp était apparu, sur lequel les habitants de notre région échangeaient des informations concernant la course du feu. Nous savions qu’il arrivait, mais nous ignorions exactement où, et quand. Notre talon d’Achille était un endroit dans les montagnes que l’on surnommait la «selle»: s’il passait par la selle, le terrain agirait comme un entonnoir et n’importe quel feu deviendrait catastrophique.
La première nuit, j’étais seule chez moi. Chris, qui est volontaire aux SIR, était donc parti avec la camionnette. Toutes les quelques heures je sortais pour observer et humer l’air. À 3h du matin, j’ai été réveillée en sursaut par les phares d’un long camion roulant à travers la forêt en dessous de chez nous. C’était un apiculteur venu emporter ses ruches. Je me suis souvenue d’une histoire que j’avais lue à propos des incendies sur la Côte Nord, au sujet d’apiculteurs venus voir leurs ruches détruites par le feu, traumatisés d’entendre les animaux crier de douleur, et j’ai été frappée avec une clarté terrible par la situation dans laquelle nous nous trouvions.
Le lendemain après-midi je suis partie rejoindre les enfants chez mes parents. Chris est resté pour défendre notre maison. Des barrages de police fermaient 50 km d’autoroute; on était soit dans la zone du feu, soit en dehors. Nous avions découvert un moyen d’écouter la fréquence radio d’urgence des SIR – des renseignements en temps réel sur le trajet du feu – et je la gardais allumée en permanence.
Le mardi après-midi, exactement une semaine après le départ du Currowan, dans un étrange dernier moment de normalité, je me suis retrouvée assise dans ma voiture à l’entraînement de cricket de mon fils, en train d’écouter le scanner radio en griffonnant frénétiquement des notes. Les notifications du groupe WhatsApp ne cessaient de sonner. Sur une carte, je reportais les appels d’urgence et rapports de feu, et à 18h je savais avec certitude qu’il traversait la selle. J’ai appelé Chris, mais il était déjà au courant – parce que le feu était sur lui et qu’il l’affrontait.
Le front de l’incendie avançait depuis l’ouest, pourtant les premières flammes sont venues de l’est. Le vent avait transporté des braises incandescentes des kilomètres en avant, enflammant la forêt en contrebas de chez nous et lançant un feu de canopée à l’assaut de la colline vers notre demeure. Il s’est enroulé autour de la maison et a alors été rejoint par le front de feu, qui dévalait la colline depuis l’ouest.
Avec la canopée embrasée, le feu s’est propagé dans l’herbe rase, courant sous la maison et léchant son pourtour. L’auvent de la voiture et le cabanon ont explosé. En quelques minutes, les trois voies d’évacuation possibles à travers la forêt vers l’autoroute étaient en feu.
Lorsque Chris m’a appelée 20 min plus tard, je l’entendais à peine entre le rugissement du feu et sa voix sifflante, mais j’ai compris qu’il appelait à l’aide. J’ai crié «rentre dans la maison» et la ligne a été coupée.
J’ai appelé le téléphone portable de David Sharpe, le capitaine adjoint de Chris aux SIR locaux. «On va le chercher», a-t-il décidé.
J’ai attendu près d’une heure – un terrifiant moment d’incertitude durant lequel je me suis enfermée dans une pièce de la maison de mes parents tandis que les enfants jouaient à l’extérieur – jusqu’à l’appel m’annonçant que Chris était en vie.
Il était devenu trop dangereux de rester chez nous pour protéger notre maison. Quand j’ai appris, le lendemain, que notre résidence était toujours debout, la vague de soulagement n’a été que partielle: trois de nos voisins avaient perdu la leur.
Notre tour était passé, mais le feu de Currowan s’élançait toujours vers plusieurs petites agglomérations côtières, et des dizaines de propriétés autour de chez nous. Chaque jour, l’une ou l’autre de mes connaissances était en danger.
Les renforts aériens étaient arrivés: des bombardiers d’eau vrombissaient dans le ciel. Mais il n’y avait toujours pas assez de ressources pour venir en aide à tout le monde.
L’autoroute est restée fermée huit jours. Comme les habitants de la zone de feu arrivaient à court de nourriture, de glace et de médicaments, j’ai réuni les provisions dont ils avaient besoin et j’ai rejoint Chris au barrage routier. J’ai échangé ce ravitaillement contre un manuel scolaire oublié et deux cochons d’Inde.
Ce week-end, le dimanche 8 décembre, plus de la moitié des 100 incendies qui avaient lieu en Nouvelle-Galles du Sud restaient non maîtrisés, et nous n’étions qu’une petite population touchée parmi tant d’autres.
L’incendie de Gospers Mountain, qui avait démarré dans le parc national Wollemi en octobre à cause de la foudre, dévorait maintenant une vaste région au nord-ouest de Sydney, dont les montagnes Bleues, et il était décrit comme un «méga-feu». Sur les réseaux sociaux, le service météorologique a déclaré que «les énormes incendies en Nouvelle-Galles du Sud [étaient] dans certains cas tout simplement trop grands pour être alors éteints».
Durant la deuxième semaine de décembre, l’indice de qualité de l’air à Sydney dépassait 11 fois le seuil jugé «dangereux», et des bâtiments étaient évacués car la fumée déclenchait les alarmes incendie.
À la fin du mois de décembre, l’incendie de Gospers Mountain était devenu si vorace qu’il a été filmé en train d’escalader les 200 m des falaises abruptes de la Grose Valley dans les montagnes Bleues. Il avait alors déjà ravagé 468 000 ha, ce qui lui a valu le triste statut de plus grand feu de forêt issu d’un unique point d’allumage de l’histoire de l’Australie.
Malheureusement, les chiens qui pistent et sauvent des koalas font partie de ces bonnes nouvelles qui sont passées inaperçues en 2020!
Horreur sur la côte
À la fin du mois de décembre, le feu de Currowan continuait de se propager dans toutes les directions. Il a fusionné avec un autre incendie sur son flanc nord. Certains jours il flambait fort, des alertes d’urgence et des avertissements de pluies de braises étaient lancés, puis il se calmait avant de repartir de plus belle quelques jours plus tard.
Le paysage calciné autour de notre propriété était d’un silence de mort. J’ai placé de l’eau et des mangeoires pour les échidnés, wombats et wallabies que j’observais autrefois tous les jours, mais tout est resté quasiment intact. Le panorama jadis boisé était désormais si dépouillé que je découvrais des aspérités du terrain dont j’ignorais l’existence.
Bien que notre maison ait tenu bon, elle était devenue inhabitable car le feu avait consumé tous nos réservoirs d’eau, le système septique souterrain et nos panneaux solaires. J’avais trouvé un hébergement temporaire à Bawley Point. C’était proche de notre résidence, mais comme le feu avait déjà tout dévoré jusqu’aux limites du village, il semblait peu probable que cet endroit brûlât à nouveau.
J’en ai appris plus au sujet de la nuit où l’incendie a atteint notre maison. La forêt sur notre propriété était déjà largement embrasée lorsque l’équipe des SIR de Bawley Point est arrivée pour secourir Chris. Le capitaine, Charlie Magnuson, a ordonné à son équipe composée d’un autre homme et de trois femmes d’activer les gicleurs à l’extérieur du camion et de préparer des couvertures ignifugées avant de poursuivre leur route, bordée des deux côtés de flammes plus hautes que leur véhicule. Ils ont risqué leur vie. J’y ai beaucoup repensé, souvent mal à l’aise en mesurant l’ampleur de ce que j’avais demandé à ces personnes.
Le matin du 31 décembre – la veille du nouvel an – je me suis réveillée à trois heures du matin. Toujours sur mes gardes, j’ai commencé par consulter l’application Fires Near Me qui fonctionnait à nouveau. Je ne parvenais pas à croire ce que j’étais en train de voir.
La veille, un nouveau feu avait démarré dans une région isolée de l’arrière-pays, un endroit appelé forêt domaniale de Badja, à environ 200 km au sud-ouest de Bawley Point, aux confins de la Côte Sud. L’application le montrait maintenant se ruer vers les villes, dont Cobargo, une agglomération semi-rurale non loin de la ferme de mon frère. Je lui ai envoyé un texto; il était déjà en voiture avec sa famille pour se dépêcher de rejoindre la côte.
L’incendie de la forêt de Badja a progressé si rapidement et avec une telle voracité dans les heures précédant l’aube que de nombreuses personnes ne se sont réveillées qu’une fois le feu à leur porte.
J’ai allumé le scanner radio des SIR pour entendre l’horreur et le chaos absolu. Une équipe des SIR annonçait être en train d’extraire des enfants d’une maison en feu. («Ils n’ont pas de chaussures aux pieds – pouvez-vous faire venir une ambulance?») Des maisons brûlaient dans le village de Quaama. Un camion a tenté de les sauver, mais soudain le chauffeur lançait: «Rouge, rouge, rouge – on bat en retraite dans le hangar d’incendie, on intervient uniquement pour sauver des vies.» Un appel aux habitants de Cobargo pour qu’ils cessent de fuir droit dans la trajectoire du feu. Des informations annonçant que des boutiques du centre-ville historique étaient en feu. Et une voix désespérée: «Il n’y a pas de foutus camions, alors on est dans la mouise.»
Au matin, environ 5000 personnes avaient trouvé refuge dans la petite ville côtière de Barmagui, dont mon frère et sa famille. Assise dans la cuisine à Bawley Point, vers l’heure du petit-déjeuner, j’ai entendu un rapport: «Je pense que le feu est peut-être à une heure de Bermagui et nous n’avons pas de camion là-bas.» J’ai cru que j’allais vomir. J’ai cherché sur Google le moyen le plus sûr de s’abriter d’un incendie dans une voiture, j’ai envoyé des instructions à mon frère par texto, puis je suis sortie respirer.
J’ai appris que le feu de Currowan était aussi en train de progresser ce matin-là, lorsque j’ai croisé une voisine qui venait de rentrer chez elle après avoir été évacuée de son lieu de travail dans la ville de Batemans Bay, à environ 40 km au sud de Bawley Point. Elle avait une petite brûlure au bras, causée par une braise. J’étais tellement sous le choc que je lui ai fait répéter l’histoire plusieurs fois: une pluie de braises en ville?
Le feu de Currowan était effectivement en train de traverser certains quartiers de Batemans Bay, le village de Mogo, et deux hameaux côtiers grouillant de touristes. Des milliers de personnes ont été chassées vers les plages, à regarder les maisons partir en fumée. Des centaines de propriétés ont brûlé.
Les communications par téléphone et internet étaient irrégulières, mais à mesure que la journée avançait, j’ai commencé à entendre que de terribles événements avaient également lieu plus au nord. Le feu de Currowan s’était engouffré dans le petit hameau de bord de lac de Conjola Park – à environ 40 km de Bawley Point – juste avant l’heure du déjeuner. Certains affirmaient n’avoir appris l’arrivée de l’incendie qu’en découvrant leur jardin en feu.
Des habitants cherchant à défendre leur maison ont déclaré que l’approvisionnement en eau de la ville avait cessé de fonctionner. Des camions du service d’incendie et secourisme de Nouvelle-Galles du Sud sont arrivés, mais sans l’eau de la ville leur capacité d’action était limitée. La seule route permettant de quitter le village était bloquée par le feu, à peine praticable même pour les services d’urgence, les habitants et les milliers de touristes séjournant dans un camping étaient donc coincés là, certains se sont réfugiés sur le lac – où ils ont ensuite accueilli la nouvelle année. Au matin, 89 maisons étaient détruites et trois personnes dans les environs immédiats de Conjola étaient mortes.
Au total, les incendies du nouvel an ont emporté huit vies sur la côte sud de Nouvelle-Galles du Sud. Rien que dans le comté d’Eurobodalla, qui regroupe les villes de Batemans Bay et Mogo, plus de 450 maisons ont été détruites – la vaste majorité par le feu de Currowan.
«Il faut bien pleurer»
Le premier jour de l’année 2020, les habitants de la Côte Sud et des milliers de touristes se sont réveillés sans électricité et sans internet ou ligne téléphonique. Encore sous le choc du front de feu qui venait de traverser la région – et qui brûlait toujours –, on nous prévenait qu’une journée d’incendie encore plus dangereuse aurait lieu quatre jours plus tard. La première ministre Berejiklian a de nouveau annoncé un état d’urgence, le troisième de la saison, et déclaré une «zone d’évacuation des touristes» couvrant une surface de 14 000 km2 entre Nowra – à environ 90 km au nord de Bawley Point – et la frontière du Victoria au sud.
L’autoroute menant vers le sud était complètement impraticable. La seule voie d’évacuation hors de la zone était en direction du nord, et pendant deux jours cette route était rarement sûre ou ouverte. À certains moments, les embouteillages de véhicules attendant de pouvoir fuir s’étiraient sur près de 10 km; de petits convois parvenaient à passer jusqu’à ce que la route soit à nouveau coupée par le feu. Des touristes cherchant désespérément à s’échapper dormaient dans leur véhicule au bord de la route.
Les stations-services sont arrivées à court de carburant, et celles qui en avaient encore servaient d’interminables files de voitures. Des hordes de gens se rassemblaient à l’extérieur de l’épicerie de quartier, dans laquelle seul un petit nombre de personnes était autorisé à entrer à la fois. Les rayons se vidaient, et la maire de Shoalhaven a dû demander à la population de ne prendre que ce dont elle avait besoin.
L’approvisionnement en eau et les systèmes septiques étaient endommagés, des avertissements ont été lancés dans certaines agglomérations côtières de faire bouillir l’eau avant de la boire et d’éviter de nager dans l’océan. L’année 2020 démarrait sur une note surréaliste, je rationnais mon essence et faisais des réserves de nourriture avec des amis.
Le deuxième jour de l’année, en rentrant chez moi, j’ai découvert le capitaine des SIR de Bawley, Charlie Magnuson, en larmes à notre table de cuisine. La saison des feux avait été longue et éreintante, mais ces derniers jours s’étaient montrés particulièrement pénibles. Le matin où Conjola Park s’est embrasé, les SIR de Bawley ne disposaient pas de camions incendie – le premier était en panne, le second envoyé en renfort ailleurs.
Ils ont fini par en emprunter un et une partie de l’équipe a été déployée à Conjola Park – pour découvrir un lieu de vie détruit, des habitants errant dans les rues en état de choc, des milliers de touristes en détresse coincés sur le bord du lac – tandis que l’autre se hâtait vers un hameau plus au nord pour secourir deux personnes atteintes de graves brûlures. Les sauveteurs leur ont administré les premiers soins et apporté leur réconfort tandis qu’ils attendaient un hélicoptère. «Il faut bien pleurer, a déclaré Charlie Magnuson. Ce serait inquiétant si on ne pleurait pas.»
Une dernière rencontre avec le feu
Ma famille a eu un dernier accrochage avec le feu de Currowan. Le 4 janvier, les convois de touristes avaient finalement fui la région, et la Côte Sud était aussi calme qu’en hiver.
L’espace d’un bref instant, alors que je prenais mon premier bain de la saison dans l’océan, j’ai osé espérer que les prévisions d’une terrible journée d’incendies soient fausses. Puis j’ai marché jusqu’au cap de Bawley Point et j’ai aperçu un nouveau panache de fumée noire s’élever au nord, près du petit village de Lake Tabourie.
Certains habitants avaient évacué Tabourie plus tôt dans la journée, par précaution, mais les voitures affluaient maintenant à Bawley avec tous ceux qui s’échappaient à la dernière minute. J’ai appelé deux connaissances restées là-bas mais qui ne comptaient pas défendre leur maison. Vous devez partir maintenant, leur ai-je dit.
J’ai reçu un appel téléphonique d’un voisin m’apprenant que de la fumée s’élevait derrière la colline de notre propriété déjà incendiée. J’ai enfilé des vêtements ignifugés et, accompagnée d’un ami, me suis dépêchée de rejoindre ma maison. Le vent rugissait et des feuilles fraîchement brûlées voletaient dans l’air depuis l’autre côté de la colline. Avec nos citernes cassées et nos tuyaux brûlés, j’ai à peine pu bricoler un approvisionnement en eau. J’ai rapidement perdu le courage de rester là.
Sur le trajet de retour vers Bawley Point, une alerte de feu de brousse des SIR a sonné sur mon téléphone – c’était un avertissement enjoignant de «trouver refuge à l’approche du feu» pour une zone s’étendant de Bawley jusqu’à Nowra, loin au nord.
De retour à la maison de Bawley – qui abritait désormais 12 adultes et enfants et beaucoup trop de chiens –, nous avons débattu afin de décider si nous devions nous rendre directement au cap ou attendre. Puis l’électricité a été coupée.
Un fort vent du sud s’est levé. Peu de temps après, j’ai reçu un appel d’une personne que je connaissais pour être imperturbable, mais qui commençait à m’expliquer d’une voix précipitée qu’il venait d’aider un ami à défendre une propriété plus au nord, lorsque le vent du sud avait attisé une tempête de feu dont il avait réchappé de justesse au volant de sa voiture.
Alors que je me demandais pourquoi il me racontait cela, il en est venu au but: «Où sont ton père et ta mère?»
La maison de mes parents – l’endroit où nous avions d’abord trouvé refuge lorsque le feu avait attaqué notre propriété un mois plus tôt – se trouvait maintenant sur le chemin de cette nouvelle langue de feu.
Je les ai aussitôt appelés. Mon père a répondu juste au moment où il se garait avec ma mère devant le champ de foire local pour s’y réfugier avec environ 100 personnes et d’innombrables animaux. Ils se trouvaient chez eux, sans signe avant-coureur de l’arrivée de l’incendie, lorsque tout est soudain devenu noir. Ils ont entendu des claquements sur le toit. C’était une pluie de braises et en quelques secondes le jardin était en feu. Ils ont eu tout juste le temps de monter dans leur voiture pour partir, laissant les lumières et le téléviseur allumés.
Nous avons découvert le lendemain que leur maison avait été sauvée par un groupe d’hommes du village intervenus à bord de leurs camionnettes. Ils ont protégé de nombreuses maisons ce jour-là – dans des endroits que les SIR ne pouvaient atteindre. C’est le bon côté du récit de cette saison des feux: les Australiens ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour s’aider les uns les autres.
La saison australienne des feux de brousse 2019-2020 a ravagé plus de 17 millions d’hectares de terre – l’équivalent de 70% de la surface de la Nouvelle-Zélande. Trente-trois personnes dont neuf pompiers sont mortes, et plus de 3000 résidences ont été détruites. On estime que plus de trois milliards d’animaux ont été tués, et il est possible que certaines espèces menacées soit désormais disparues. En Nouvelle-Galles du Sud, un tiers du domaine des parcs nationaux et plus de 80% de la région des montagnes Bleues classée au patrimoine mondial de l’UNESCO ont brûlé. Le coût estimé pour l’économie se compte en dizaines de milliards de dollars.
Retrouvez ces 7 espèces d’animaux qui ont failli disparaître à cause des incendies en Australie.
Copyright ©2020, par Bronwyn Adcock. Tiré de The Monthly (février 2020).