L’imposture de la fausse infirmière

Brigitte Cleroux a été condamnée à payer des amendes, licenciée et même emprisonnée pour avoir traité des patients aux quatre coins du Canada sans diplôme professionnel. Comment a-t-elle donc pu sévir durant deux décennies?

Illustration pour l'article ImpostureIllustration de Robert Carter

En mai 2021, à l’hôpital pour femmes de la Colombie-Britannique, à Vancouver, après une vie de souffrances causées par l’endométriose, Kayla doit subir une opération chirurgicale afin de retirer du tissu endométrial. (Kayla n’est pas son vrai nom; nous userons également de pseudonymes pour désigner d’autres sources citées dans cet article.)

L’infirmière en poste est une femme du nom de Melanie. Dotée d’une voix forte, les yeux maquillés d’une épaisse couche de mascara et des cheveux noirs frisés, elle est âgée d’une cinquantaine d’années. Déjà anxieuse, la patiente s’inquiète lorsque Melanie ne parvient pas à insérer une intraveineuse. L’infirmière échoue plusieurs fois, piquant le bras de Kayla en divers endroits. Elle finit par demander l’aide d’une collègue.

Au cours de l’une des tentatives de Melanie, Kayla se tourne et sent son bras frôler le sein de l’infirmière. Elle balbutie aussitôt quelques mots d’excuse. Melanie éclate alors d’un rire sonore, saisit la main de la patiente et la plaque sur son sein. Le geste surprend et scandalise Kayla.

Plus étrange encore, Kayla demeure inconsciente 12 heures après ces événements, puis dort 18 heures d’affilée à son retour à la maison. Elle est couverte de larges marques et d’ecchymoses.

Cette expérience déroutante prend tout son sens plusieurs mois plus tard, lorsqu’elle reçoit une lettre de l’autorité provinciale des services de santé (PHSA), datée du 26 novembre 2021. «Nous vous écrivons aujourd’hui pour vous informer que nous avons récemment appris qu’une personne embauchée pour fournir des soins infirmiers périopératoires dans le cadre du programme de chirurgie gynécologique de l’hôpital pour femmes et centre de santé de la Colombie-Britannique ne possédait pas de permis d’exercer valide auprès du collège des infirmières et sages-femmes», écrit Cheryl Davies, directrice de l’hôpital pour femmes et centre de santé de la province. (Cheryl Davies a décliné notre demande d’entrevue pour cet article.)

«Cette personne n’est plus employée en chirurgie gynécologique, poursuit la lettre, et la PHSA se penche attentivement sur le cas pour déterminer comment la situation a pu se produire, les défaillances du système qui ont pu y contribuer et les possibles conséquences sur les patients.» Cheryl Davies fait en outre état d’une enquête menée sur l’affaire par les services de police de Vancouver. Elle conclut sur des mots d’excuse pour la détresse que sa lettre pourrait causer.

Et tel est bien l’effet qu’elle produit. L’anxiété de Kayla monte en flèche. Consultant Google, elle obtient rapidement une photo de l’étrange infirmière. Et elle est encore plus alarmée lorsque, recevant son dossier médical et le feuilletant avec son médecin de famille, elle découvre qu’on lui a administré un singulier cocktail de médicaments comprenant notamment du fentanyl.

Une femme aux multiples noms

La femme qui a traité Kayla à l’hôpital pour femmes a porté plusieurs noms au cours des ans, parmi lesquels Brigitte Marier, Brigitte Fournier, Bridget Clairemont, Melanie Cleroux, Melanie Smith, Melanie Thompson et Melanie Gauthier. Son vrai nom est Brigitte Cleroux. Sur une photo d’identité judiciaire prise à l’été 2021 à Ottawa, elle se découpe sous une mauvaise lumière: épais cheveux tirés en arrière, sourcils inégalement dessinés au crayon, coins de la bouche affaissés, yeux noyés sous d’énormes faux cils. Elle arbore l’air abattu de celle qui sait que la fête est terminée. Pendant 30 ans, elle a traversé le pays de long en large dans un jeu d’attrape-moi-si-tu-peux aux identités mouvantes, se faufilant entre les mailles du filet des organes de contrôle provinciaux, laissant dans son sillage un épais casier judiciaire, des victimes frustrées et des documents falsifiés qui ont dupé ses employeurs.

Brigitte Cleroux commence à s’attirer des ennuis durant son adolescence à Gatineau, au Québec. Sa mère, dont elle est proche, la tire systématiquement d’affaire; elle n’a jamais vraiment connu son père. Son avocat a décliné notre demande d’entrevue à son sujet, mais une amie de la famille, que nous appellerons Tanya, a accepté de se confier sous couvert d’anonymat. Tanya a affirmé que Brigitte Cleroux possède un bon cœur et qu’elle peut se montrer bienveillante envers les personnes dont elle se soucie.

«Elle a une tendance à l’escroquerie depuis sa jeunesse», admet-elle. Selon des reportages de la CBC, Brigitte Cleroux est accusée pour la première fois en 1991, à l’âge de 19 ans, de falsification et d’usurpation d’identité. Elle plaide coupable et est condamnée à un mois de prison. Selon un membre de sa famille avec qui Tanya est restée en contact, Brigitte a passé la majorité de la décennie suivante à travailler comme danseuse exotique et à pratiquer des escroqueries à la carte de crédit et aux chèques.

Photo de Brigitte Cleroux, une fausse infirmièrePhoto: Service de police de la ville d’Ottawa

En 2001, elle vit dans le Colorado, où elle suit une formation d’infirmière pendant deux ans. «Elle a toujours été passionnée par ce métier, mais n’en a jamais terminé l’apprentissage», reconnaît Tanya. Brigitte Cleroux a raconté autour d’elle qu’on l’avait expulsée du programme de formation en soins infirmiers lorsqu’on avait appris qu’elle avait un casier judiciaire.

Sans qualifications, elle décroche tout de même un poste d’infirmière à Colorado Springs. Démasquée, elle est inculpée pour falsification et usurpation d’identité. Il semble qu’elle ait échappé à ces accusations. Elle est également recherchée en Floride. En 2010, elle fait toujours l’objet d’avis de recherche dans ces deux États américains pour escroquerie, vol, utilisation d’une fausse carte d’identité, falsification et usurpation d’identité, ainsi que pour d’autres délits. Les services correctionnels de Floride comptent 11 pseudonymes de Brigitte Cleroux.

La femme quitte les États-Unis pour rentrer au Canada, où elle donne naissance à une fille en mars 2002. À Rockland, en Ontario, elle épouse un homme appelé Mario Marier. Le couple semble heureux. Tanya affirme que Marier ignorait tout du passé de sa compagne. Toujours sans qualifications, l’arnaqueuse commence à travailler comme infirmière dans un petit hôpital. Une fois de plus, elle est arrêtée, accusée d’avoir falsifié les références d’une véritable infirmière, et condamnée à six mois de prison suivis de deux ans de probation. Elle est également sanctionnée d’une amende de 60 000$.

La fausse enseignante

À l’école secondaire Philemon Wright de Gatineau, 2006 est une année étrange. Après un enchaînement de professeurs de français, Mme Marier arrive en octobre. Ses jeunes élèves ignorent totalement que leur enseignante s’appelle en réalité Brigitte Cleroux et qu’elle n’est pas qualifiée pour enseigner le français ni aucune autre matière.

Une élève que nous avons interrogée – nous l’appellerons Rachel – se trouvait en classe de quatrième cette année-là. Elle se souvient de Mme Marier et de son épaisse couche de maquillage, de ses jeans moulants et de ses imprimés léopard au profond décolleté. Elle leur racontait des anecdotes sur les fêtes auxquelles elle se rendait et avait laissé entendre qu’elle avait à la fois un mari et un petit ami. Pour ce qui était de son travail, elle ne semblait pas savoir ce qu’elle faisait et enseignait à ses élèves les bases de la conjugaison qu’ils maîtrisaient depuis l’école primaire. Mais un cours en particulier l’a marquée: le jour du film. «Comment le résumer? se demande Rachel. Je crois qu’il faut bien le qualifier de pornographique. C’était une orgie, littéralement.» Il n’était même pas en français.

«On ne savait pas quoi faire, poursuit Rachel. Elle se moquait de nous. Elle disait: “Pourquoi êtes-vous si mal à l’aise? Je sais que vous avez tous des relations sexuelles.” Et chacun se disait: par pitié, faites-moi disparaître!» Rachel se souvient qu’un élève était allé chercher un autre enseignant. Puis, un jour de décembre, Cleroux a disparu, et personne n’a su ce qu’il était advenu d’elle.

Mike Dubeau, directeur général de la commission scolaire Western Québec, n’était pas en poste lorsque Brigitte Cleroux a été embauchée, mais il a hérité d’un dossier personnel contenant un diplôme d’enseignement falsifié ainsi qu’un C. V. Il soutient qu’il est désormais courant, à l’embauche de nouveaux enseignants, de procéder à une vérification du dossier et d’envoyer tout diplôme au ministère de l’Éducation pour confirmation.

Quelque temps après avoir quitté l’école de Gatineau, Brigitte Cleroux déménage à nouveau, cette fois à Calgary. Elle suit Joele Pharand Fournier, une bonne amie de la région d’Ottawa. C’est un arrangement agréable entre les deux familles – quatre adultes et quatre enfants, dont le mari de Brigitte et sa fille de cinq ans –, qui se partagent une maison louée. Joele Fournier déclarera au Calgary Herald que Brigitte Cleroux était une amie attentionnée et bienveillante. Elle faisait preuve d’un intérêt particulier pour son travail d’infirmière et lui posait de nombreuses questions.

Joele Fournier et sa famille retournent en Ontario en 2008, et Brigitte Cleroux retrouve ses habitudes de faussaire. Elle utilise un pseudonyme pour créer une carte d’identité albertaine, puis fabrique un diplôme d’infirmière. Ses faux sont assez bons pour lui permettre, cette année-là, de décrocher un emploi à la clinique médicale Properties de Calgary. Un collègue commence tout de même à nourrir des soupçons à son sujet. Deux mois plus tard, elle est licenciée.

Elle s’attire ensuite des ennuis lorsqu’un logiciel de reconnaissance faciale repère un problème sur sa carte d’identité. Elle est inculpée de fraude à l’encontre de Service Alberta, ainsi que pour avoir falsifié un diplôme de soins infirmiers. L’identité empruntée par Brigitte Cleroux? Celle de son amie, Joele Pharand Fournier.

Libérée sous caution, elle ne se présente pourtant pas au tribunal. Un mandat d’arrêt est donc lancé contre elle, ce qui, en juillet 2010, déclenche une alerte de sécurité publique de l’Ordre des infirmières et infirmiers de l’Alberta où on mentionne que Brigitte Cleroux a pratiqué des actes «considérés comme dangereux», dont des injections. Elle est bientôt arrêtée en Ontario et renvoyée en Alberta, où elle finit par admettre avoir falsifié des documents et références.

Voilà donc 20 ans qu’elle mène une vie crapuleuse, qui entraîne régulièrement condamnations et humiliations. Elle poursuit pourtant sur cette voie, sautant sans relâche d’une escroquerie à l’autre. Inculpée et sanctionnée, rien ne semble pourtant l’arrêter.

Après l’enseignement, la coiffure

À l’été 2013, Lucas Nault cherche une nouvelle styliste pour son salon de coiffure d’Ottawa. Une femme appelée Bridget Clairemont postule. Son C. V. est attrayant. Elle prétend avoir été propriétaire de salons à Edmonton et avoir remporté plusieurs prix, avant de présenter tous les documents d’accréditation requis. Bridget Clairemont est en réalité, évidemment, Brigitte Cleroux.

Le coiffeur la trouve sympathique. Elle possède un sens de l’humour et une gentillesse – assombrie par une certaine vulgarité – qui en font une bonne candidate pour le petit salon. Avec le recul, Lucas Nault relève des signes avant-coureurs de sa supercherie. Brigitte Cleroux s’est présentée avec son propre équipement de coiffure, mais manquait de connaissances dans les ratios de mélange des colorations capillaires et la façon d’utiliser certains outils. «Elle posait parfois des questions étranges, dont la réponse aurait dû être une évidence, raconte-t-il. Mais personne ne s’est jamais plaint. Toutes les clientes aimaient leur coupe.»

Quelque trois mois après l’embauche de cette femme, Lucas Nault reçoit un courriel anonyme. Il contient un extrait de casier judiciaire de son employée indiquant qu’elle a fait de la prison pour avoir prétendu être infirmière et enseignante. Il comprend également des liens vers des témoignages d’anciennes collègues infirmières atterrées.

Image d'une main rouge avec une seringueIllustration de Robert Carter

Lucas Nault est partagé. Il voudrait accorder à son employée le bénéfice du doute, car il comprend que l’on puisse vouloir dissimuler un passé peu reluisant de crainte d’être catalogué. «Ce n’est pas parce qu’on a fait de la prison qu’on est une mauvaise personne», soutient-il. Il invite donc Brigitte à prendre un café pour discuter.

Lorsqu’elle s’assoit en face de lui, Lucas glisse une impression du courriel dans sa direction. Pour la rassurer, il précise qu’il n’est pas en train de la licencier et qu’il est prêt à régler cela avec elle. Mais l’autre éclate alors en sanglots. «Elle me dit qu’elle ne peut plus continuer dans ces conditions.» Puis, à propos du contenu du courriel, elle déclare: «Je suis vraiment désolée, mais rien de tout cela n’est vrai.» Puis elle quitte la table. Lucas Nault ne la reverra jamais. Il se demande désormais si, en prison, elle a appris à couper et à teindre les cheveux.

Après avoir fui l’affrontement avec son employeur, Brigitte Cleroux reprend son itinérance. Entre 2015 et 2018, elle fait des allers-retours Ontario/Québec. Au printemps 2021, elle repart dans l’ouest, où elle trouve un emploi à la Royal Arch Masonic Home, un établissement de soins de longue durée de Vancouver.

Lever les soupçons dans les centres médicaux

Rupi Cheema, une infirmière qui y travaillait à cette époque, se souvient d’une infirmière appelée Melanie qui ne cessait de prendre des pauses cigarette et portait des «cils ridiculement longs». Elle se comportait avec arrogance, rappelait sans cesse ses qualifications, notamment sa formation aux États-Unis et ses postes en soins de longue durée et aux soins intensifs.

La nouvelle n’éveille aucune suspicion. Elle semble avoir une certaine habitude des soins palliatifs, elle surveille les signes vitaux et administre des médicaments. Rupi Cheema affirme n’avoir jamais imaginé que cette personne se faisait passer pour une infirmière – leur employeur avait bien dû vérifier les antécédents de sa collègue, non?

Un représentant de Royal Arch nous a affirmé que Brigitte Cleroux travaillait pour un tiers sous-traitant lorsque l’établissement a été informé qu’elle n’avait pas de diplôme. Ce représentant précise que Royal Arch a embauché une infirmière-consultante pour mener l’enquête, qui a conclu qu’aucun incident en matière de soins aux résidents ne violait la loi sur les soins sociaux et l’aide à la vie autonome de la Colombie-Britannique, ni son règlement des établissements de soins, à l’exception de la prestation de services infirmiers par une personne ne détenant pas le diplôme de qualification professionnelle requis.

En juin 2020, Brigitte Cleroux est embauchée à l’hôpital pour femmes de la Colombie-Britannique où, en juillet, elle accompagne une femme, que nous appellerons Sharon, en salle d’opération pour une hystérectomie et une biopsie en lien avec de l’endométriose. L’opération doit avoir lieu sous sédation, et Sharon est nerveuse; elle sait qu’elle sera consciente durant l’intervention, et que cela la fera saigner. Celle qui se fait maintenant appeler Melanie s’assoit près de Sharon et écoute les questions angoissées qu’elle lui pose. Elle tente de calmer la patiente, lui dit de ne pas s’inquiéter car elle a suivi une formation complémentaire pour pouvoir administrer la sédation.

Or, dès le début de l’intervention, Sharon sent un problème. Elle éprouve une vive douleur qui lui laisse penser qu’elle n’a pas été correctement anesthésiée. «J’étais en larmes, j’ai levé les yeux vers elle et elle s’est contentée de soutenir mon regard.» Après l’opération, Sharon est ramenée en fauteuil roulant dans l’unité des chirurgies d’un jour pour son rétablissement, mais l’infirmière ne lui fournit aucune protection hygiénique. Bien vite, elle se retrouve assise dans son propre sang.

Au printemps 2021, l’hôpital se rend compte que Brigitte Cleroux est un imposteur. Son emploi dans cet établissement déclenche une nouvelle alerte de sécurité publique en juin 2021, cette fois par le collège des infirmières et sages-femmes de la Colombie-Britannique. Il met en garde contre Melanie Smith, aussi connue sous les noms de Melanie Thompson et Melanie Cleroux, qui n’est pas habilitée à exercer le métier d’infirmière en Colombie-Britannique.

Brigitte Cleroux retourne donc vivre à Ottawa, où elle utilise à nouveau le nom de Melanie Smith. Elle se crée un impressionnant C. V., trouve deux emplois dans une clinique de fertilité et une clinique de chirurgie dentaire. À la clinique de fertilité, elle est souvent chargée de surveiller la tension artérielle et le rythme cardiaque des patients. Elle est présente lors du prélèvement des ovules et administre du fentanyl. En juillet 2021, elle tente à plusieurs reprises de prélever du sang à une patiente. Elle finit par y arriver, mais la patiente assure avoir ressenti de la douleur et une perte de mobilité dans ses deux mains pendant près de deux semaines.

La conduite de Brigitte Cleroux soulève des questions chez au moins l’une de ses collègues infirmières à la clinique de fertilité, qui la trouve agressive et méprisante. Au début du mois d’août, en pleurs et parcourue de tremblements après avoir vu «Melanie», une patiente s’adresse à cette infirmière pour la supplier d’être prise en charge par quelqu’un d’autre. L’incident semble enrager Brigitte Cleroux, qui défie l’infirmière et le médecin de garde tout en proclamant en «avoir assez de l’endroit». Elle fourre agressivement le dossier de la patiente dans les mains du médecin.

Frappée par le manque de professionnalisme de Melanie Smith, inquiète, l’infirmière en question dépose une plainte auprès de l’Ordre des infirmières et infirmiers de l’Ontario. En effectuant des recherches dans la base de données de la province, elle ne trouve aucune personne de ce nom. En menant une seconde recherche en Colombie-Britannique, où Brigitte Cleroux a affirmé avoir précédemment travaillé, elle tombe sur l’alerte à l’imposture du collège des infirmières et sages-femmes de la province. Moins de deux semaines plus tard, au moment où elle vient chercher son dernier chèque à la clinique de fertilité, Brigitte Cleroux est arrêtée.

En août 2021, elle est inculpée d’imposture, pour s’être fait passer pour infirmière à la clinique de fertilité et à la clinique dentaire d’Ottawa, ainsi que d’agression armée (pour avoir brandi une aiguille) et de négligence criminelle entraînant des dommages corporels. En novembre, la police de Vancouver la retrouve à son tour – elle est alors en détention provisoire – et l’accuse d’usurpation d’identité. Elle avait en effet utilisé le nom d’une véritable infirmière lorsqu’elle travaillait à l’hôpital pour femmes de la Colombie-Britannique entre juin 2020 et juin 2021. D’autres délits lui sont reprochés, notamment escroquerie de plus 5000$ et, encore, usurpation d’identité.

En janvier 2022, à Ottawa, elle plaide coupable notamment à l’accusation d’agression armée et à plusieurs accusations de collecte d’argent avec intention d’escroquer. En avril, elle est condamnée à sept ans derrière les barreaux avec réduction de la peine déjà purgée. Elle est actuellement en attente de jugement à Vancouver pour les accusations portées contre elle en Colombie-Britannique.

Se faufiler à travers la justice

Brigitte Cleroux a réussi, on ne sait comment, à esquiver à plusieurs reprises au moins trois systèmes provinciaux de régulation du personnel infirmier. À la suite de ses arrestations, ceux qui ont été ses employeurs ont pour la plupart préféré garder le silence. Au College of Registered Nurses de l’Alberta, un porte-parole nous a expliqué que cette organisation aide les professionnels de la santé souhaitant exercer leur métier, et qu’elle dispose d’un mécanisme pour signaler les praticiens qui soulèvent des doutes et déclencher une enquête. Mais elle n’est pas en mesure de fournir des informations sur une éventuelle enquête visant Brigitte Cleroux.

En Ontario, où cette dernière a exercé plusieurs fois en tant qu’infirmière, un certificat valide d’inscription à l’Ordre des infirmières et infirmiers de l’Ontatio est nécessaire pour tout le personnel infirmier souhaitant prodiguer les soins autorisés par la loi, affirme Kristi Green, une porte-parole de l’ordre. Kristi Green soutient également que les employeurs sont censés vérifier les références des candidats à l’embauche auprès du répertoire en ligne «Trouver une infirmière» de l’ordre et sa liste en ligne de praticiens non agréés. (Brigitte Cleroux et plusieurs autres de ses pseudonymes figurent sur cette seconde liste.)

Quant à la PHSA de la Colombie-Britannique, la réponse à nos questions prend la forme d’une déclaration circulaire: «Cette personne a bâti sa carrière sur la duperie et l’imposture aux dépens de professionnels agréés. Son cas est une occasion pour nous de renforcer les mécanismes de surveillance et de sécurité de nos services.»

En décembre 2021, un recours collectif est lancé contre la PHSA. Selon le cabinet d’avocats Murphy Battista, l’autorité a fait preuve de négligence en permettant à Brigitte Cleroux de travailler à l’hôpital pour femmes de la Colombie-Britannique, et que des soins infirmiers ont ainsi été prodigués sans consentement légal. J. Scott Stanley, l’avocat principal dans ce dossier, assure que son cabinet est déjà entré en contact avec plus de 100 femmes disposées à se joindre à ce recours collectif. Leurs doléances vont du simple manque de professionnalisme à des préjudices corporels.

Pendant qu’on dresse cet inventaire des failles du système, Brigitte Cleroux demeure à Ottawa. Tanya revient sur les déceptions dont Brigitte est depuis longtemps la source. «Je ne comprends pas pourquoi elle n’a jamais mené à terme sa formation d’infirmière, si elle voulait vraiment exercer ce métier. Cela aurait pu changer sa vie. Elle aurait fait une excellente infirmière.»

Sharon et Kayla participent toutes deux au recours collectif intenté par Murphy Battista. Pour elles, c’est là certes une occasion de demander des comptes, mais aussi le moment de s’assurer que ce qui leur est arrivé ne puisse pas se reproduire.

Pour Sharon, il est difficile de tourner la page. Mais savoir que c’est bien à une fausse infirmière qu’elle avait eu affaire l’a rassurée. Après son opération, elle s’est sentie en effet accablée de doutes. Avait-elle mal compris des explications ? Aurait-elle dû poser plus de questions? «J’ai mis cet incident sur le compte d’une mauvaise expérience et de ma propre méconnaissance du système médical. Mais ce n’était pas normal. Nous devons pouvoir avoir confiance dans ce type de personnes. Et voilà que des femmes ont souffert inutilement. Comment a-t-elle pu passer inaperçue? C’est une terrible défaillance dans la sécurité des patients.»

«The Nurse Imposter», Maclean’s, macleans.ca © 2022

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