Le geste qui compte: la madone des chiens perdus

Dans le Nord du Québec, une ergothérapeute organise un «pont aérien» pour sauver des chiots voués à une mort presque certaine.

Le geste qui compte: la madone des chiens perdus

Postés à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, Anne-Marie et François guettent l’arrivée du vol 821 d’Air Inuit, qui transporte leur petit dernier. Lorsque la cage arrive enfin, vers 20 heures, Eclopin en sort tout guilleret. Loin d’être terrorisé, et malgré le bandage qui lui immobilise la patte, le jeune chien entreprend calmement de marquer son territoire. Au grand ravissement de ses nouveaux maîtres.

Éclopin revient de loin. Victime d’un accident de la route à Schefferville, il a été pris en charge par une équipe d’infirmières de Kawawachikamach, une communauté naskapie de la Côte-Nord, et évacué vers Montréal, où Cathy Samson, l’ergothérapeute du groupe, lui avait trouvé une famille d’adoption. «Tout ça en seulement 36 heures!» dit-elle fièrement.

La jeune femme de Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson fait partie d’une poignée de travailleuses de la santé attirées à Kawawachikamach pour soigner les humains et qui, une fois sur place, ont embrassé une deuxième cause: celle des chiens errants.

À Schefferville, comme dans cette réserve située au nord du 54e parallèle, les chiens abandonnés sont légion et survivent à des températures de -50 °C. Lorsqu’ils ne meurent pas de faim, ils sont parfois heurtés par une voiture, tués par d’autres bêtes ou carrément éliminés à coups de fusil par les autorités locales, incapables de gérer la surpopulation canine.

Depuis quelques années, les infirmières de Kawawachikamach, effarées par cette situation, nourrissent et soignent avec les moyens du bord ces bêtes abandonnées. Pour Cathy Samson, cela ne suffisait pas: en 2009, elle et son conjoint, André Roy, ont mis sur pied Chiots nordiques, un organisme qui a permis jusqu’ici à plus d’une centaine de chiots de trouver une famille dans la région montréalaise, mais aussi à Québec et à New York. «Etre témoin de la misère humaine, là-bas, c’est déjà beaucoup, explique l’ergothérapeute. Alors, quand j’ai en plus découvert la misère animale…»

C’est d’abord en ramenant un chien à Sainte-Marguerite, en 2006, que Cathy Samson a compris qu’elle pouvait changer la vie de ces animaux. Elle en a ensuite rapporté un autre pour le faire adopter par l’intermédiaire d’une annonce sur Internet. De fil en aiguille, l’idée a fait son chemin.

Aujourd’hui, Cathy Samson peut compter sur la complicité des infirmières de Kawawachikamach. Elles repèrent les portées à venir et organisent les voyages d’adoption. L’une d’elles s’occupe des chiots, même si elle est allergique; une autre les dresse afin qu’ils soient propres avant l’adoption. Un médecin met parfois la main à la pâte en dosant les médicaments à administrer aux chiens malades. Sans cela, aucun espoir pour ces bêtes: la clinique vétérinaire la plus proche est à Sept-Iles, à 12 heures de train.

«Au début, j’accueillais les chiens chez moi avant qu’ils rejoignent leur famille adoptive», se souvient Cathy Samson. Aujourd’hui, quelques vendredis par mois, des chiens n’ayant connu que les grands froids et la rigueur du Nord sont accueillis par leurs nouvelles familles à l’aéroport de Montréal.

Et la sélection des familles d’accueil se fait avec le plus grand soin. «Nous voulons améliorer le sort des chiens, pas l’aggraver, explique Cathy Samson. Pas question de les envoyer dans un quatre et demie à Montréal. Nous voulons qu’ils puissent courir et que leurs nouveaux maîtres aient le temps de s’occuper d’eux.»

C’est ainsi qu’Eclopin a trouvé la famille de rêve: elle habite L’Épiphanie, compte deux enfants, et le père a suivi des cours de médecine vétérinaire. «C’était nécessaire, parce que ce chien est arrivé gravement blessé», précise Cathy Samson.

Aujourd’hui, Eclopin, rebaptisé Tango, est complètement remis de sa blessure. Et il n’a apparemment rien perdu de la passion dévorante qu’il avait à Schefferville pour… les poubelles.

Photo: avec l’autorisation de Cathy Samson