Ricardo Larrivée: la recette du bonheur

Avec quelques ingrédients de base et l’esprit de famille, on peut se fricoter une vie heureuse. C’est le secret du chef Ricardo!

Ricardo Larrivée: la recette du bonheur

Un parfum de miel et de cannelle flotte dans l’air. Chez Ricardo Média, à Longueuil, on cherche la recette du baklava idéal. Une jolie chose dorée sort du four. Le concassé de noix est épicé sans être trop sucré.«Aimes-tu ça?» demande le chef. Je ne lèche pas le fond de l’assiette, mais presque. Il sourit de satisfaction.

Ricardo Larrivée adore soumettre au test du réel les mets qu’il prépare dans cette cuisine tout ce qu’il y a de standard, bien loin de la luxueuse pièce en bois et en inox où il tourne ses émissions, dans sa maison de Chambly. Ici, c’est l’envers du décor. Ses assistants cuisinent sur des comptoirs exigus, avec de modestes cuisinières électriques et des ustensiles de base. Le but: offrir des recettes que le gourmand moyen pourra facilement recréer chez lui. «Il faut faire simple et bon», répète-t-il.

Au Québec, tout le monde connaît le sourire de ce chef télé qui, à la veille de ses 45 ans, a de bonnes raisons de célébrer. Voilà une décennie que son émission à Radio-Canada et sa revue culinaire, qui prônent une cuisine maison décomplexée, séduisent un large public. Son émission en anglais, Ricardo and Friends, est diffusée dans près de 40 pays, de l’Inde à la Russie!

«Mon prénom est devenu une référence, confie non sans fierté ce grand brun à l’allure juvénile. Il est synonyme d’une manière de vivre en famille simple et peu coûteuse, mais qui ne lésine pas pour autant sur la qualité.»

L’admiration que lui vouent ses fans – surtout des femmes – frise la dévotion. L’an dernier, quand la revue Ricardo a invité les lecteurs à lui écrire, plus de mille lettres ont afflué. Une anorexique a expliqué comment elle cuisine ses recettes sans y goûter, pour les autres. Une dame a raconté comment sa sœur mourante tenait à essayer le plat du jour présenté à la télé, même si son estomac rejetait toute nourriture.

«Si Ricardo court un risque, c’est celui de trop plaire», résume Jean-François Chicoine, pédiatre à l’hôpital Sainte-Justine, vulgarisateur de la santé et ami de Ricardo. Tous les hommes aimeraient l’avoir pour ami, toutes les femmes le trouvent beau, tous les enfants sont contents qu’il fasse des choses pour eux!»

Ce charisme, Ricardo le met au service d’une cause, sa cause: favoriser les repas en famille. La cuisine maison est source de bonheur, de santé, de longévité… et d’économies. Une doctrine qu’il applique scrupuleusement en s’attablant chaque soir avec sa femme et ses enfants. Cette heure de partage lui permet de vérifier si tout son petit monde va bien: Béatrice, 14 ans, Clémence, 12 ans, et Jeanne, 9 ans, et, bien sûr, Brigitte, sa perle, celle sans qui rien n’aurait été possible.

Ricardo a découvert très jeune l’ivresse des fourneaux. «A six ou sept ans, pour faire une meringue à ma sœur, qui en raffole, j’ai fouetté des blancs d’œuf avec du sucre. Je pensais être un dieu vivant», avoue-t-il en riant. Sa mère et sa grand-mère, qu’il adore, savent nourrir leur mon-de. Le gamin de la région de Montréal prend goût aux fêtes de famille notamment lors de ses séjours en Gaspésie, où ses nombreux cousins Larrivée forment une joyeuse tribu de bambocheurs.

Dans une cuisine, il est comme un poisson dans l’eau, mais il n’aime guère l’école, où sa nature à la fois créative et manuelle ne trouve aucun exutoire. Les caïds du primaire le traitent de «maudit Italien», lui, un Larrivée, qui n’a de méditerranéen que le prénom hérité de son parrain… Et il lui faut en plus affronter chaque jour la violence verbale d’un père alcoolique. «Mon père m’a appris quel genre de personne je ne voulais pas être», dit cet as de la résilience.

Le jeune homme est dans la mi-vingtaine quand il croise une jeune inconnue chez son amie sœur Angèle, qui cache un cœur de marieuse sous son habit de religieuse! Jolie nutritionniste au sourire discret, Brigitte Coutu est aussi dotée d’un sens aigu de l’organisation. Ricardo, alors jeune diplômé en hôtellerie et en communications, chroniqueur culinaire parmi tant d’autres, comprend vite qu’il est tombé sur la femme idéale, celle qui l’aidera à réaliser ses rêves. Il l’épouse en 1996.

Aidé de son alter ego, le jeune Larrivée va se tailler un prénom suffisamment solide pour lancer sa quotidienne à Radio-Canada et son magazine. Suit un premier livre bien accueilli, Ma cuisine week-end. Quand il contacte le réseau canadien Food Network pour faire remarquer aux patrons que leur programme ne compte aucun chef québécois, il les convainc sans mal de lui donner sa chance. «Ricardo a une vision», explique sa femme, qui assume la présidence de son entreprise. «Derrière l’artiste se cache un véritable homme d’affaires… même s’il n’a aucun intérêt pour les chiffres!»

Quatre ans plus tard, l’entreprise vacille. Brigitte et Ricardo fondent en larmes dans le cabinet du médecin en apprenant que le nodule que la jeune femme a découvert sur son sein est cancéreux. Elle se soumet aux lois du scalpel et de la chimiothérapie, perd ses cheveux, voit ses traits creusés par l’épuisement…

Après les traitements, Ricardo et sa femme demandent à Radio-Canada la permission de déménager le plateau de tournage dans leur maison de Chambly. Requête acceptée.

Cela permet, quelques temps après, de soigner à la maison la mère de Ricardo, atteinte d’un cancer du pancréas en phase terminale. L’animateur lui administre ses injections de morphine durant les pauses du tournage.

«Prendre soin de sa famille, pour Ricardo, c’est une valeur moderne. Ce qui est rétrograde, c’est négliger ses proches», note le DrChicoine.

Pendant son combat contre le cancer, Brigitte n’a pas perdu de vue Ricardo Média. Confronté à ce coup du sort, le couple aurait pu fermer cette entreprise si exigeante. Ils décident au contraire d’élever leurs ambitions et d’assurer l’avenir de leurs héritiers et des employés.
Lorsque Brigitte entre en rémission, la route est toute tracée. En 2009, ils lancent le site ricardocuisine.com, puis deux ans plus tard, une collection d’accessoires culinaires vendus partout au Canada. Leur équipe compte maintenant plus de 30 salariés et 50 contractuels.
«Si Ricardo voit grand, c’est pour mieux s’amuser. Il déteste l’ennui», raconte le DrChicoine. La première fois que les deux amis se sont rencontrés, dans un restaurant maghrébin, ils se sont asticotés pendant tout le repas. Leurs épouses en avaient la migraine. Eux étaient ravis de leur soirée de francs débats! Qu’on se le dise: sous ses airs de gentil, l’animateur peut se montrer combatif.

Invité à Tout le monde en parle l’an dernier, le cuistot a provoqué un tollé en critiquant la distribution de petits-déjeuners gratuits dans les écoles. Les parents qui ne nourrissent pas leurs petits ne le font pas toujours par pauvreté, argue-t-il. «Il y a plein d’enfants à Outremont qui ont une vie au micro-ondes!», dit-il. Mieux vaudrait que le Québec enseigne aux jeunes à se nourrir.

Il n’oubliera jamais cette adolescente de 12 ans qui mitonnait les repas pour sa famille pendant que sa mère buvait devant la télé. Au dépanneur, elle tentait de choisir les meilleurs aliments…

En plus de l’éducation, Ricardo se passionne pour l’agriculture. Il vient d’ailleurs d’acquérir en copropriété la ferme horticole Guyon, à Chambly. Cette oasis de verdure cache une épicerie du terroir, une fermette éducative et une papillonnière. Les enfants peuvent approcher les animaux ou participer à un atelier de boulangerie. De mars à décembre, l’animateur y passe souvent la fin de semaine. Le travail de la terre le relaxe presque autant que la pratique de la clarinette.

En avril débutera à Radio-Canada sa nouvelle émission, Le Fermier urbain. Pendant 19 épisodes, il suivra trois familles dans leurs efforts pour produire de la nourriture en ville. Il présentera des réussites du monde et des plats cuisinés avec les produits frais cueillis. Une évolution naturelle pour ce passionné de jardinage, qui garde dans sa cour quelques poules. Pour leurs œufs, mais surtout pour leur compagnie.

«Elles sont tellement gentilles, intelligentes et amusantes. Quand je passe la souffleuse, elles me suivent!» Nées au Québec, ces Chantecler ne craignent pas l’hiver.

A l’heure où tant de chefs se livrent à des folies pour séduire les foules, Ricardo persiste à proposer sa cuisine familiale de qualité. Les autres peuvent bien créer des plats à faire rêver. Lui se fait un plaisir d’aider les gens à pimenter leur routine. «Trouver le bonheur au quotidien, à poser chaque jour les mêmes gestes, c’est beau et c’est grand», conclut-il, en pesant ses mots. C’est le credo de Ricardo.

A l’heure où tant de chefs se livrentà des folies pour séduireles foules, Ricardo persiste à proposersa cuisine familiale de qualité.

(Crédits photo: Jean-François Bérubé)