Sélection rencontre Jean-François Mercier

Confidences d’un humoriste qui ne déteste pas qu’on le haïsse…

Sélection rencontre Jean-François Mercier

Il n’a pas la plastique musclée de Stéphane Rousseau, le débit mitraillette de Louis-José Houde, «l’excellence» de Martin Matte et le succès au cinéma de Patrick Huard, mais il a, en plus cru et plus coléreux, quelque chose de son idole Yvon Deschamps: un regard critique sur la société. Son humour est brutal, sans pincettes, à prendre ou à laisser. Il fait rire une partie du public, horripile l’autre qui prend ses propos pour du comptant.

Bachelier en actuariat, coauteur (avec François Avard) des Bougon: c’est aussi ça la vie!, comédien dans Virginie, maître d’œuvre du Show du gros cave, autoproclamé «le King de V», Jean-François Mercier anime Un gars le soir, qui a assis devant la télé les hommes de 18 à 35 ans, jusque-là rivés à des jeux vidéo. Devant, il se la joue «baveux»; derrière, il peut pleurer pour un chien qui souffre.

Le grand méchant doux révèle ici un peu de sa nature profonde: il parle d’argent, de politique, de sa blonde, de sa mère, du père qu’il a peu connu. Mais d’abord de Noël.

Sélection: Quel est votre plus beau souvenir de Noël?
Jean-François Mercier: L’année où j’avais demandé à ma mère un jeu de hockey sur coussin d’air que je voulais passionnément. Evidemment, une fois déballé, je n’ai jamais joué avec! Leçon à tirer: l’important n’est pas de posséder, mais de désirer.

Sélection: Que demandez-vous au père Noël cette année?
J.-F. M.: Que de la santé et de l’amour, car j’ai plus de plaisir maintenant à donner qu’à recevoir. J’ai toujours aimé donner, mais sans argent, ça paraît moins… C’est plate de l’affirmer soi-même, mais je pense que mes proches diraient de moi que je suis généreux. L’argent, quand tu en as un peu, c’est la mesure de ta liberté; quand tu en as beaucoup, c’est la mesure de ton pouvoir.

Sélection: Qu’est-ce que votre mère souhaite comme cadeau? Que votre personnage public soit moins vulgaire?
J.-F. M.: Bien sûr que non. J’avais fini par me faire à l’idée que ma mère n’aimait pas ce que je faisais, mais c’était un malentendu. On a eu une grosse chicane, puis on s’est parlé franchement: elle trouvait que je me détachais du vrai monde. Après avoir eu des échanges assez destructeurs, il nous a fallu reconstruire. Aujourd’hui, nos relations sont très bonnes.

Sélection: Maintenant, elle vous trouve drôle?
J.-F. M.: Lorsqu’elle vient me voir sur scène, ma mère ne rit pas parce qu’elle écoute les réactions du public. Elle a vu onze fois Le show du gros cave, et ce n’est qu’à la onzième qu’elle s’est rendu compte que j’y parlais d’elle. Quand on m’attaque, elle le prend très mal. Après le Bye Bye 2008, elle voulait appeler les journalistes qui m’avaient descendu.

Sélection: Si votre cote baissait, vous pourriez vous recycler en père Noël. Vous en avez le gabarit.
J.-F. M.: A 11 ans, je mesurais déjà six pieds, et je me rappelle avoir gagné une course. Mais les parents des autres enfants m’ont insulté, croyant, vu ma taille, que j’avais triché sur mon âge. J’en ai voulu à mon grand-père, qui m’accompagnait, de ne pas m’avoir défendu, de m’avoir simplement dit de ne pas m’en occuper. J’ai commencé à faire le père Noël à 14 ans, avec la voix pas encore placée, et la dernière fois c’était pour des déficients que ma mère gardait. Je portais un costume en plastique trop petit, qui déchirait de partout, j’avais une barbe en ouate; même les déficients me reconnaissaient!

Sélection: Disons que vous êtes le père Noël: qui aimeriez-vous avoir sur vos genoux?
J.-F. M.: Annie Brocoli. Ça serait une façon de m’approcher de la jeunesse en toute légalité!

Sélection: Continuons le jeu: qu’offririez-vous à Jean Charest?
J.-F. M.: Je ne lui offrirais pas une conscience – ça gâcherait sa vie -, mais des vacances.

Sélection: A Pauline Marois?
J.-F. M.: Quand l’image que l’on projette n’est pas en accord avec ce que l’on est réellement, on vit de grands remous intérieurs. Je lui offrirais de raccorder tout ça.

Sélection: Et à Stephen Harper?
J.-F. M.: Yann Martel lui a offert des livres; je lui offrirais des cours pour apprendre à lire, parce que lire est une bonne façon de s’ouvrir à la différence. Mais je ne crois pas que Harper soit une personne mauvaise, qu’il mange des enfants au petit-déjeuner. Ce n’est jamais aussi simple que ça en a l’air.

Sélection: Que donneriez-vous à Gérald Tremblay?
J.-F. M.: Une paire de lunettes ajustées à sa vue pour qu’il puisse voir ce qui se passe autour de lui.

Sélection: Enfin, à Régis Labeaume?
J.-F. M.: Lui, il l’a déjà reçu, son cadeau: la belle ville que lui a léguée le maire L’Allier. Facile après de faire le fier-à-bras.

Sélection: La politique vous intéresse au point de vous être présenté comme candidat indépendant du Parti pour la gloire aux dernières élections fédérales. Vous aviez trouvé le meilleur slogan de la campagne: «Là, c’t’assez, tabarnak!»
J.-F. M.: Ça représentait en tout cas le ras-le-bol d’une partie de l’électorat. Beaucoup de gens m’ont dit que si j’avais eu une approche sérieuse, ils m’auraient accordé leur appui. Mais j’étais tout à fait sérieux! On me reprochait mon inexpérience en politique, mais, dans ma circonscription [Chambly-Borduas], on a voté pour le gars qui travaillait au SuperClub Vidéotron!

Sélection: Sérieux, vous dites? Vous promettiez, entre autres, de prolonger l’été indien d’une semaine et de poser des flotteurs sous le pont Champlain pour qu’il ne sombre pas en cas d’effondrement.
J.-F. M.: Il y a pourtant des choses encore plus absurdes en politique. En fait, je voulais offrir aux électeurs une chance de contester le système, et j’ai recueilli plus de 10 pour 100 des votes.

Sélection: Revenons à Noël: êtes-vous du genre traditionnel, avec messe de minuit et réveillon à la dinde?
J.-F. M.: Je suis plutôt du genre à sacrer mon camp. Ce n’est pas une période que je trouve trippante. Je rejette l’aspect commercial de cette fête, qui en plus est religieuse, alors que je ne suis pas du tout croyant. La morale autour de Noël – «Il faut penser à ceux qui souffrent» – m’énerve.

Sélection: Serez-vous du Bye Bye cette année?
J.-F. M.: Je ne pense pas. Je travaille déjà beaucoup trop. Mon chum François Avard a fait un burn-out, et ça m’a fait réfléchir.

Sélection: Pourquoi en faites-vous autant, alors?
J.-F. M.: Je ne veux pas d’une vie contemplative; c’est l’action qui me stimule. Plus le temps avance, plus je trouve qu’on n’a pas le temps de faire grand-chose. On se réveille un matin, on a 70 ans, ou bien on est mort. J’avais 30 ans quand je suis venu à l’humour et là, à 44, il faut me hâter pour accomplir tout ce que je veux. Depuis la rentrée, je travaille sept jours sur sept, 12 heures par jour.

Sélection: Cet horaire doit compliquer la vie de couple…
J.-F. M.: Marie-Eve est nutritionniste – mais bon, je ne suis peut-être pas sa meilleure pub! Elle cumule plusieurs emplois, travaille aussi fort que moi, sinon plus. Mais pour la vie de couple, ça va. Nous avons deux chiens dont nous nous partageons les soins: je les promène, elle les caresse…

Sélection: Dans Virginie – où l’on vous a découvert dans un rôle dramatique -, vous sembliez avoir la capacité de pleurer sur commande. Où alliez-vous chercher ça?
J.-F. M.: J’ai juste à penser à mes impôts, et ça part tout seul. Sérieusement, je suis capable de pleurer assez facilement; j’ai trouvé la connexion à l’intérieur. J’avais intégré le personnage de Maurice Ladouceur au point de trouver que sa vie émotive était beaucoup plus riche que la mienne. Et lorsque je me disputais avec ma blonde, il m’arrivait de lui répondre avec des répliques de la série.

Sélection: Vous considérez-vous d’abord et avant tout comme un humoriste pour hommes?
J.-F. M.: C’est sûr! Les femmes ne m’aiment pas au premier abord: je n’ai pas une belle gueule et je suis plutôt agressif. Mais quand elles comprennent que mon humour se joue au second degré, d’ordinaire, je les gagne. Les gens qui me connaissent m’apprécient; ceux qui ne me connaissent pas me haïssent.

Sélection: Vous vivez bien avec la haine des gens?
J.-F. M.: Ginette Reno m’a déjà dit: «Moi, j’ai la chance, lorsque j’ouvre ma gueule, de fermer celle de tous les autres.» Je peux me concéder ça: je possède un certain charisme, et même ceux qui me haïssent aiment me haïr. A ceux qui me prêtent des intentions, du genre: «Toi, on sait bien, tu es connu, tu fais du cash, tu peux t’envoyer toutes les femmes», je riposte: «Non, je ne suis pas aussi vil que tu le serais si tu étais à ma place.»

Sélection: Pourquoi faites-vous ce métier?
J.-F. M.: J’ai appris récemment qu’un ami d’enfance que j’avais perdu de vue s’était suicidé. Je ne peux rien faire contre le suicide de quelqu’un, mais je peux divertir, soulager, changer les idées. Il y a des téléspectateurs qui regardent Un gars le soir et qui me disent qu’à part mon émission il n’y a pas grand-chose qui les raccroche à la vie. Ça rend utile.

Sélection: Vous n’en avez pas marre du «gros cave»?
J.-F. M.: Parfois ça me pèse, car ça me met en présence de «modèles de base» qui prennent tout au pied de la lettre. Une des choses qui m’irritent le plus dans la vie, c’est le manque d’ouverture d’esprit. Par exemple, l’ex-fumeur qui a pompé durant 30 ans et qui fait le dégoûté quand on en allume une devant lui. Ou l’intolérance des gens pour les passions des autres. Parce que j’étais fier de ma voiture, quelqu’un m’a dit un jour: «Je n’en reviens pas que tu dépenses des sommes aussi importantes pour une auto, alors qu’il y a des gens qui crèvent de faim.»

Sélection: Pour moins choquer une partie du public qui adhérerait sans doute à votre contenu, vous n’avez jamais pensé à amortir la livraison de votre humour en utilisant un ton et un langage moins grossiers?
J.-F. M.: Aussitôt que j’essaie de polir mes numéros, de les rendre plus intelligents, je reçois des réactions négatives. On me dit que je suis en train de me ramollir, on pense que je veux plaire à tout le monde.

Sélection: En tout cas, vous plaisez, puisque, par scrutin populaire, vous avez été nommé l’humoriste de l’année au dernier gala des Olivier.
J.-F. M.: Je m’attends toujours à ce qu’on vienne m’enlever le trophée. J’avais vraiment renoncé à être «la plus belle du bal», et j’étais très content de mon rôle de mal-aimé.

Sélection: Vivez-vous bien avec le succès?
J.-F. M.: Dans ce métier, à chaque up correspond un down. Il faut gérer la dépression qui vient avec le succès, sinon tu finis par croire que c’est normal que les gens t’applaudissent, paient le gros prix pour venir t’écouter parler, que c’est normal d’être millionnaire. Il n’y a rien de normal là-dedans.

Sélection: Etes-vous en train de nous dire que vous êtes millionnaire?
J.-F. M.: Je ne peux pas disposer d’un million en liquide, mais en actif, oui. Et ça ne me dérange pas que vous l’écriviez, mais je sais que parler d’argent met les gens en tabar… Moi, je suis content quand quelqu’un peut s’acheter une Ferrari s’il en a envie. Le problème n’est pas d’avoir de l’argent, c’est la façon dont on l’acquiert.

Sélection: Pensez-vous que votre père, que vous avez à peine connu, serait fier de vous?
J.-F. M. : Si mon père vivait, je serais un autre homme, et sans doute pas humoriste. Je serais probablement moins tolérant parce que j’aurais peut-être eu la vie plus facile. Mon père, extrêmement ambitieux, voulait être millionnaire à 40 ans et, s’il n’était pas mort à 30, il le serait sans doute devenu. Par manque de père et de repères, j’ai longtemps cherché l’acceptation des autres. J’étais un petit gars poli, qui faisait le moins de vagues possible. Jamais quelqu’un qui m’a connu jeune n’aurait pu prédire le «monstre» que j’allais devenir!

Sélection: Son décès vous a-t-il fragilisé face à la mort?
J.-F. M.: Quand j’ai fait confiance à la vie, elle m’a souvent trahie. Par contre, j’essaie de ne pas refuser les rendez-vous qu’elle me donne. C’est pour ça que je suis très actif, que j’accumule les contrats. La vie, je la vois comme une femme qui se fait belle pour toi et qui t’invite à sortir. Tu ne dois pas lui poser un lapin.

Sélection: Souhaitez-vous avoir des enfants?
J.-F. M.: Je trouve que j’ai passé l’âge. Je me suis habitué à mon confort. Mon besoin de pérennité, je l’assouvis dans mon travail. Mais si ma blonde m’annonçait qu’elle est enceinte, ça ne serait pas une catastrophe.

Sélection: Etes-vous porte-parole de quelque chose?
J.-F. M.: Porte-parole de rien, mais souvent volontaire pour des spectacles-bénéfice. S’il y a une cause qui me tient vraiment à cœur, c’est la SPCA. J’ai deux chiens; je sais combien ces bêtes font confiance à leurs maîtres, qu’elles peuvent avoir peur et souffrir. Au fond, j’essaie de défendre ceux qui n’ont pas la possibilité de le faire.

(Photo: Jocelyn Michel/zetaproduction.com)