Femmes souffrant de problème d’alcool: les ressources et organismes

Depuis des décennies, les Alcooliques Anonymes sont la référence incontournable pour quiconque veut rompre avec l’alcool. Certaines femmes cherchent toutefois d’autres solutions.

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Femmes souffrant de problème d'alcool: les ressources et organismes
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En 2008, mon mari accepta un nouvel emploi à l’autre bout du pays, et je me chargeai de déménager nos biens avec nos trois enfants. Au terme de cette stressante aventure, je me surpris à siroter un troisième verre de vin plus souvent qu’à l’ordinaire, pour me consoler d’avoir quitté l’Oregon pour le nord-est du pays. Je réduisis ma consommation avant qu’elle ne devienne problématique, mais mon expérience me permit de mesurer à quel point l’alcool fait partie de la vie des femmes aujourd’hui.

J’ai pu le constater dans ma nouvelle banlieue, chez des femmes de carrière qui, le soir venu, liquidaient une bouteille de vin au repas. J’ai rencontré des mères qui conduisaient leurs enfants à l’école en emportant leur thermos de café parfumé au Bailey’s. Même à la télévision, les ­héroïnes de séries populaires comme Scandale ou Une femme exemplaire se servent régulièrement de copieux verres de rouge. Sur Facebook, l’alcool devient le déterminant de certains groupes de mères comme Moms Who Need Wine (« Les mamans qui ont ­besoin d’un verre ») et Moms Who Drink and Swear (« Les mamans qui boivent et jurent »). J’ai été tellement frappée par la place prépondérante, bien qu’invisible, qu’occupe l’alcool dans la vie des femmes que j’ai consacré trois années à me documenter et à écrire un livre sur la question (Her Best-Kept Secret, Simon & Schuster).

Mes observations reposent sur les données du Centre pour le contrôle et la prévention des maladies de 2010, selon lesquelles l’abus d’alcool – le fait de prendre quatre consommations ou plus en une même occasion – est ­répandu chez les femmes. Au Canada, environ 20 % des femmes qui boivent de l’alcool déclarent en faire une consommation excessive au moins une fois par mois ; aux États-Unis, une femme sur huit abuse régulièrement de l’alcool. Or les conséquences ­associées à la consommation abusive d’alcool ont suivi la progression de ces nouveaux comportements. Un nombre croissant de femmes sont arrêtées pour conduite en état d’ébriété – au Canada, un conducteur avec ­facultés affaiblies sur six est en fait une conductrice, contre une sur treize en 1986 – et plus d’étudiantes se ­retrouvent aux urgences à la suite d’un coma éthylique.

Pour de nombreuses femmes, la consommation abusive d’alcool commence à l’université et se poursuit avec l’âge. Elles ont maintenant les moyens de boire, et le stress qu’elles subissent les pousse à forcer la dose. L’alcool apparaît alors comme un antidote aux échéances du bureau, aux exigences des enfants et aux parents vieillissants dont il faut s’occuper. À ce cocktail s’ajoute le fait que beaucoup plus de femmes que d’hommes souffrent d’anxiété ou de dépression, troubles qu’elles soignent souvent par l’alcool. Biologiquement, les femmes sont également plus à risque. Elles ressentent les effets de l’alcool plus rapidement et plus fortement que les hommes, car leur corps contient moins d’eau (pour diluer l’alcool) et plus de graisses (moins absorbantes que les muscles, si bien que la concentration d’alcool dans le sang est plus élevée). De plus, l’enzyme responsable du métabolisme de l’alcool, la déhydrogénase, est présente en moins grande quantité chez les femmes, ce qui signifie qu’elles s’enivrent plus rapidement.

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Pour se débarrasser de leur ­dépendance, de nombreuses femmes se tournent vers les Alcooliques Anonymes (AA), de loin le mouvement le plus important et le plus connu en Amérique du Nord. (En 2013, le Canada comptait 94 000 membres, dont un tiers de femmes.) Or, le ­modèle des AA n’a pas changé depuis sa fondation, dans les années 1930, par deux hommes qui s’inspirèrent de leur ­expérience personnelle de l’alcoolisme. La documentation des AA décrit l’alcoolisme comme « une maladie progressive à laquelle on ne connaît pas de guérison proprement dite ». Ce mouvement vise le rétablissement de ses membres par l’abstinence totale et permanente d’alcool et l’adhésion aux 12 étapes décrites dans Le grand livre, le guide à l’origine du programme. La première consiste à reconnaître son impuissance face à l’alcool ; pour franchir la deuxième, il faut affirmer sa croyance en une « puissance supérieure à soi ».

On ne compte plus les personnes ayant trouvé auprès des AA le soutien, l’encadrement et la communauté dont elles avaient besoin. Néanmoins, certaines femmes rebutées par la ­rigueur du programme se sont plutôt tournées vers des groupes d’aide créés plus récemment et au sein desquels la consommation d’alcool n’est pas vue comme une maladie incurable, mais comme un comportement malsain que l’on peut modifier. Comme les AA, ces groupes offrent leurs services gratuitement et proposent des rencontres animées par des pairs. Ils se distinguent toutefois des AA sur des points importants : on peut y participer en ligne, les techniques utilisées s’inspirent de la psychologie du comportement et des neurosciences, et la responsabilité personnelle y est une valeur clé.

De nombreuses femmes jugent que la philosophie des AA ne correspond plus à notre époque. Elles rejettent notamment l’idée d’impuissance face à l’alcool. Le Dr Mark ­Willenbring, psychiatre et ex-directeur de la recherche thérapeutique sur l’alcoolisme à l’Institut national sur l’abus d’alcool et l’alcoolisme, leur donne raison : « L’affirmation de soi et l’autonomisation sont bénéfiques pour elles. » Il ajoute que les femmes limitent plus facilement leur consommation lorsqu’elles parviennent à ­reprendre la situation en main plutôt que de se déclarer vaincues. Voici le parcours de femmes qui ont rejeté l’orthodoxie des AA pour une solution mieux adaptée à leur problème.

Spécialiste des neurosciences à St. Louis, Donna Dierker a commencé à boire en 2001 lorsqu’elle a cessé d’allaiter son fils. « Les vendredis et samedis, après avoir couché mon fils, l’alcool était ma récompense, surtout après une mauvaise journée », dit-elle. Au bout de quelques mois, à l’été 2002, la récompense se chiffrait à une caisse de six bières suivie de vin. Après quelques tentatives infructueuses pour réduire sa consommation, elle a constaté qu’elle n’y arriverait pas seule.

La démarche de Donna auprès des AA s’est arrêtée à la lecture des 12 étapes : elle ne croyait pas que l’alcool lui avait fait perdre la maîtrise de sa vie, ni qu’elle était impuissante devant lui, et elle ne voulait pas s’engager à une abstinence permanente. « Si l’on me disait que je ne peux plus boire un verre de toute ma vie, je ne penserais qu’à ça. »

Un article sur Moderation Management (M.M.), un groupe laïque fondé en 1994, attira son attention. Comme chez les AA, le programme de Moderation Management commence par une période d’abstinence. Cependant, M.M. limite cette période à un mois et n’exige pas de ses membres qu’ils s’en remettent à une puissance supérieure pour s’abstenir de boire. Le groupe mise plutôt sur l’autorégulation pour amener les participants à vivre mieux (sans exclure la consommation ­modérée d’alcool). Sa démarche s’articule autour d’exercices bien connus : faites une liste de vos priorités dans la vie, prenez note de la quantité d’alcool consommée, de la fréquence et des circonstances de votre consommation, etc.

« M.M. m’a appris à prendre conscience du goût de chaque verre et de son effet sur moi », explique Donna, mère de deux enfants, ­aujourd’hui âgée de 51 ans. Depuis 2008, elle ­observe un mois d’abstinence par trimestre, et consomme modérément les deux autres mois (c’est-à-dire, selon M.M., un maximum de trois verres par jour sans dépasser neuf verres par semaine). « Cela fonctionne pour moi, dit-elle, et boire est redevenu un plaisir. »

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« J’aime boire, affirme Jane, 54 ans, qui préfère garder l’anonymat. J’aime la sensation que me procure l’alcool. » Après avoir perdu son emploi en 2008, cette femme d’affaires de Virginie a trouvé dans l’alcool une forme de réconfort. « Je ne m’étais pas rendu compte à quel point je me définissais par mon travail. La perte de mon emploi m’a déboussolée. » Elle aimait prendre un verre de vin ou deux le soir, pour se détendre, mais en 18 mois, elle a peu à peu remplacé le vin par la vodka, allant jusqu’à en boire un demi-litre dans la même soirée.

Pour Jane, le tournant est survenu lorsque l’alcool a cessé de la réconforter : « Je n’étais jamais bien. » Elle connaissait les AA – certains de ses proches en étaient membres – , mais son approche religieuse et son insistance sur l’impuissance des participants lui déplaisaient. « Boire, pour moi, est un choix. » Une recherche en ligne lui permit de trouver d’autres organisations, dont le mouvement HAMS (pour Harm Reduction, Abstinence and Moderation Support), fondé en 2007. L’approche du programme est plus pragmatique et ­encourageante que celle de M.M. Selon le site web de l’organisme, l’« ivresse récréative » est une réalité et il importe de réduire les dommages qui l’accompagnent. HAMS ne force pas ses membres à adopter des comportements qu’ils n’ont pas choisis. Les membres définissent leur objectif – adopter une consommation sans danger, boire moins ou cesser de boire – et dressent un plan pour l’atteindre.

En participant au programme en ligne, grâce à la messagerie instantanée, Jane a réussi à se priver d’alcool pendant un mois, la période suggérée, même si c’était difficile. « J’ai dû réapprendre à aimer vivre dans mon corps. » Elle y est parvenue en lisant des livres, en cuisinant et en jouant de la guitare.
Lorsqu’elle réintroduisit l’alcool dans sa vie, elle documenta sa consommation, comme le suggérait HAMS. En relisant ses notes, le lendemain, elle constata qu’elle se sentait bien après avoir bu le premier et le ­deuxième verre, mais que son état d’esprit se détériorait après les troisième et quatrième. Jane découvrit aussi que malgré le plaisir qu’il lui procurait, l’alcool l’éloignait d’activités qui la rendaient vraiment heureuse. « Il m’arrive encore, à l’occasion, de dépasser ma ­limite de deux verres, dit-elle, mais c’est rare. J’aime garder l’esprit lucide. »

Il y a 15 ans, Ashley Phillips connut une mauvaise passe. À 59 ans, elle occupait deux emplois – éducatrice sanitaire et coach de vie à San Diego – lorsque son mari et elle décidèrent de divorcer. La perspective d’élever sa fille seule l’inquiétait. « Le vin m’aidait à calmer mon anxiété », dit-elle de cette époque où elle buvait plus d’une bouteille par soir. Poussée par sa famille, Ashley fit une cure de désintoxication d’un mois puis, pendant deux ans, fréquenta les réunions des AA, comme le préconisait son traitement. Mais pour avoir consacré sa carrière à soutenir des femmes, l’insistance du mouvement pour qu’elle se soumette à Dieu (5 des 12 étapes y font référence) la dérangeait.

En quête d’autres options, elle entendit parler de la démarche de SMART Recovery (pour Self-­Management And Recovery Training), un groupe de réhabilitation créé en 1994 par des professionnels de la santé mentale. Fondé sur des principes scientifiques, SMART apprend à ses membres à accroître leur autonomie au moyen de quatre stratégies : nourrir et maintenir sa motivation, composer avec l’envie de boire, ­gérer ses pensées, ses sentiments et ses comportements, et vivre une vie équilibrée. Le mouvement incite les participants à faire preuve de logique devant leur comportement de buveur. Lorsqu’un animateur en ligne lui présenta une analyse coûts-avantages de sa consommation d’alcool au regard de ses idéaux, ­Ashley constata que sa consommation était insensée : « Le fait de le voir écrit noir sur blanc m’a permis de faire des choix sains et de progresser. » « Aujourd’hui, dit-elle, je peux composer avec le stress et la frustration sans recourir à l’alcool. » (Depuis 2010, Ashley est animatrice et conseillère chez SMART Recovery.)

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Il existe de nombreuses autres options que les AA. Le regroupement Rational Recovery aide les personnes aux prises avec un problème de consommation à reconnaître la « voix de leur dépendance » ; SOS (pour Secular Organizations for ­Sobriety) est un réseau de groupes de réhabilitation autonomes fondés sur des principes scientifiques.

Malgré tout, la grande majorité des gens qui ont un problème de consommation – hommes ou femmes – ne ­reçoivent aucun soutien. On peut donc se réjouir, à certains égards, que plus de femmes aujourd’hui cherchent de l’aide. Bien sûr, celles qui ont réussi à surmonter leurs difficultés grâce aux AA ou à une autre approche par étapes devraient continuer.

Cependant, celles à qui cette formule ne convient pas auraient tort de se le reprocher. Lorsqu’il est question de consommation abusive d’alcool, notre société doit reconnaître ce que de nombreuses études ont déjà révélé : une seule approche ne saurait convenir à tous. « Les gens qui recherchent de l’aide s’en sortent généralement mieux », dit Bernard Le Foll, chef de la recherche sur l’alcool et de la clinique de traitement du Centre de toxicomanie et de santé mentale de Toronto. « Nous ne savons pas exactement quelle approche conviendra à chaque personne, mais il est important de garder à l’esprit que l’échec d’une démarche ne signifie pas la fin des démarches. D’autres possibilités de traitement existent. »
 

Complément d’information : Alyssa Jung

Alcoolisme : options au Québec

Plusieurs ressources québécoises proposent d’autres voies que celle des AA. Elles ont toutes en commun une conception globale de l’individu et une approche personnalisée des soins. On distingue notamment :

* L’approche biopsychosociale

Prise en charge globale des dépendances qui considère à la fois l’aspect médical, individuel et le milieu de vie du patient.
Clinique OPUS, Montréal
www.cliniqueopus.com

* La thérapie cognitivo- comportementale

Approche établissant un lien entre les pensées, les émotions et les comportements, en vue d’une modification de ces derniers ou d’une acceptation sans jugement.
Maison La Passerelle, Montérégie
www.maisonlapasserelle.ca

* L’approche fondée sur la réadaptation

Prise en charge visant à encourager un processus d’évolution personnelle chez l’individu, afin de lui permettre de reprendre le pouvoir sur sa vie et de reconstruire un équilibre physique, psychologique et social.
L’ESTRAN, Centre de réadaptation en toxicomanie du Bas-Saint-Laurent
www.csssriviereduloup.qc.ca

Plusieurs autres organismes à travers la province sont regroupés dans l’Association des centres de réadaptation en dépendance du Québec (ACRDQ).
www.acrdq.qc.ca

Par Xuân Ducandas

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