Des roues de fortune

En offrant des planches à roulettes, Betty Esperanza donne de l’espoir aux jeunes Cubains.

Des roues de fortuneIl y a 11 ans, Betty Esperanza dévalait les rues de La Havane en louvoyant entre crevasses et nids-de-poule, lorsqu’elle remarqua un garçon qui la regardait fixement. « Il avait les yeux ronds comme des billes, se souvient-elle. Comme s’il n’avait jamais vu de planche de sa vie. »

Elle l’interpella et passa les trois heures suivantes à lui enseigner les rudiments du sport. L’enfant devait avoir 12 ans environ, et possédait un talent naturel qui impressionna Betty. À la fin de la séance, elle lui offrit sa planche, à condition qu’il la partage avec ses amis. La jeune femme avait elle-même deux fils. Elle avait souvent observé que la partager cela les incitait à coopérer.

L’enfant – Yojani Pérez Rivera – allait devenir l’un des meilleurs planchistes de Cuba et contribuer à populariser ce sport dans toute l’île. Cependant, on ne trouve pas de planches dans les boutiques de Cuba, où l’État restreint les biens de consommation. La fin de l’embargo commercial pourrait permettre de les obtenir plus facilement, mais la plupart des familles cubaines n’ont pas les moyens d’acheter de l’équipement de sport : le salaire mensuel moyen y est d’environ 20 $. Autrement dit, les enfants qui souhaitent suivre les traces de Yojani Pérez Rivera doivent compter sur les touristes et les organismes caritatifs pour se procurer une planche. Depuis 2000, l’organisme Skateboards for Hope, fondé par Betty Esperanza pour offrir du matériel d’occasion aux jeunes Cubains, a distribué quelque 300 planches à roulettes.

Pour les planchistes de La Havane, Betty, qui travaille comme directrice régionale de la Fondation canadienne du foie à Montréal, est mieux connue sous le nom de Madrina (« marraine »). Elle doit son surnom à Yojani, qui est maintenant ambassadeur de Skateboards for Hope. Lorsque Betty parle de ce qu’un tel cadeau peut signifier pour un enfant vivant dans la pauvreté, elle montre le tatouage qui habille son bras gauche – une version ornementée de son nom de famille qui, en espagnol, signifie « espoir ».

Betty Esperanza a découvert ce sport à l’adolescence, alors qu’elle vivait dans les Laurentides. Elle croit que la planche – une activité abordable que l’on peut pratiquer seul – permet de développer des qualités essentielles, comme l’autonomie et la persévérance. On peut essayer des centaines de fois de réaliser son premier kickflip. « Mais c’est la 454e fois qui est finalement la bonne », dit-elle.

Natif de La Havane, Yoan Galliana, 24 ans, se souvient d’avoir partagé une planche avec 10 autres enfants, et tenté de la réparer avec du bois et des clous en attendant des dons. « On ne sait pas quand ni même si on pourra mettre la main sur une autre planche », dit-il, une situation qu’il espère corriger maintenant qu’il vit à Montréal et qu’il travaille bénévolement auprès de Betty.

Yojani Pérez Rivera a récemment obtenu le feu vert de l’État cubain pour mettre en place un programme périscolaire de Skateboards for Hope dans un bâtiment inutilisé, suffisamment grand pour y aménager un skate park et une aire de graffitis. Comme peut en témoigner Yoan Galliana, qui travaille maintenant chez YMG Films, une petite boîte de production vidéo, un intérêt pour le skate peut révéler d’autres talents, comme l’édition numérique ou le design graphique.

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L’organisme Skateboards for Hope est né à Cuba, mais ne s’y cantonne pas. Une nouvelle succursale ouvrait ses portes en mai à Gulu, en Ouganda. En 2014, la veille de Noël, Betty s’est rendue dans la communauté de Kanesatake, située à l’ouest de Montréal, pour remettre 35 planches à un nouvel ambassadeur de l’association, Justin Darrow, un jeune Mohawk de 27 ans.

Devenir membre de l’organisme a apporté un sentiment de fierté au jeune homme. Récemment, alors qu’il s’exerçait dans un skate park couvert, un inconnu a commencé à le menacer et à le provoquer. Justin portait un t-shirt sur lequel il avait reproduit le logo de Skateboards for Hope. Il s’est rappelé les objectifs de l’organisme : favoriser l’autonomie, renforcer les collectivités et faire ressortir le meilleur en soi et les autres. Il n’en fallait pas plus pour le tenir loin des ennuis.