Khetag Pliev: un lutteur laissé pour compte

Dans son combat pour le sommet, le lutteur russe Khetag Pliev a découvert Dieu, une amie de cœur et un nouveau foyer au Canada.

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Khetag Pliev: un lutteur laissé pour compte

 Dans le centre-ville de Toronto, Allan Gardens offre une touche de verdure. Mais, à proximité, on trouve aussi un restaurant de hamburgers connu sous le nom de «Hooker Harvey’s», et le type d’hôtels qui louent les chambres à l’heure. La police y est omniprésente. La nuit, le parc devient le repaire de dealers et de vagabonds. Le lutteur Khetag Pliev, qui représente le Canada aux Olympiques, connaît bien les lieux. Au printemps 2008, il y a vécu deux mois.

À la tombée de la nuit, il retrouvait son banc vert familier, à l’extrémité ouest du parc. Il plaçait son chapeau sous sa tête, croisait les bras et dormait. Il avait laissé ses vêtements chez des amis et prenait sa douche à son club de lutte. Il n’avait pas de domicile. En revanche, il avait de l’ambition.

Cela n’avait pas toujours été ainsi. Né en 1984 en Ossétie, une région montagneuse du sud-ouest de la Russie, Pliev est le fils aîné d’un travailleur de la construction et d’une enseignante d’une école secondaire française. À six ans, son père l’amena dans un club de lutte; un an plus tard, il remportait son premier tournoi. L’Union soviétique venait de s’ouvrir et les produits d’Amérique du Nord commençaient à faire leur apparition dans le pays. Sur le chemin de la maison, Pliev se souvient d’avoir serré fort un snickers – la récompense pour la première place – puis de l’avoir coupé en cinq pour le partager avec ses cousins. Les victoires commencèrent à s’accumuler. Certains lui prédisaient les Olympiques. Il se mit à y croire. La médaille d’or deviendra son but.

À 14 ans, avec ses parents, il émigra à Cincinnati, en Ohio. À l’école secondaire, il remporta deux championnats de l’État et le championnat junior national américain (malgré un poignet cassé au cours de la demi-finale). En 2001, Wrestling USA le classa au premier rang des lutteurs dans la catégorie des 96 kilos. Il suivit une formation en sports-études dans un petit collège à Burbank, en Californie. Sports Illustrated l’avait sélectionné.

En 2002, Pliev retourna en Ossétie comme touriste. Mais, lorsqu’il voulut revenir aux États-Unis, on le repoussa – son visa était expiré depuis longtemps. Les trois années suivantes, il resta là-bas, loin de sa famille et de ses entraîneurs. Il n’avait jamais consommé d’alcool, mais il commença à boire et à fumer. Le doute apparut.

Après avoir obtenu un visa temporaire pour prendre part à un tournoi à Vancouver, avec l’équipe nationale russe, il décida de rester au Canada. Il arriva à Toronto. Il se trouvait encore à 650 kilomètres de ses parents, mais au moins ils n’étaient plus séparés par un océan.

Il commença à lutter dans un club local appelé Team Impact et gagna le championnat national. Il fit sa demande de citoyenneté et, deux jours avant le combat de qualification, il reçut ses papiers. Pliev pouvait maintenant représenter le Canada aux Jeux de Pékin, en 2008. Tout ce qu’il avait à faire, c’était gagner.

La qualification fut le match le plus serré de sa vie, un combat en trois épreuves contre David Zilberman, un colosse qui occupait le cinquième rang mondial. Pliev perdit par un seul point. Il était anéanti. Il se mit bientôt à boire sans arrêt – il pouvait vider une bouteille de vodka en une seule fois. Il demeurait avec une famille d’Ossétie dans la partie est de la ville et couchait parfois sur le plancher d’un ami, mais, dans tous les cas, il se voyait comme un fardeau. Des emplois occasionnels dans le domaine de la peinture ou de la construction lui procuraient assez d’argent pour passer une nuit ou deux à l’hôtel au besoin.

Le jour, il arpentait les espaces verts de la ville. Il marchait d’Etobicoke au centre-ville, 20 kilomètres. Un soir, il arriva à Allan Gardens. Il se sentit bien dans cette foule; que la plupart soient toxicomanes ou prostitués ne le dérangeait pas.

Certaines nuits, il pleurait comme un enfant. Il n’était pas particulièrement croyant, mais il lui arrivait de hurler ses reproches à Dieu. D’autres fois, il partageait des cigarettes et des histoires avec des étrangers. Personne du milieu de la lutte ne connaissait son secret. Ses parents non plus.

  

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Q & R: Khetag Pliev


«Je suis un Ossétien fier. Je suis fort. Mon père était fort, mon grand-père aussi, confie Pliev. Mon père est mon soutien le plus important, mon mentor. Mais parfois vous ne pouvez pas expliquer certaines choses.»

Son père sentit que quelque chose n’allait pas. Au téléphone, il encourageait son fils à chercher une réponse dans la Bible et à s’ouvrir aux autres. Pliev avoua alors à son entraîneur du Team Impact, Kim Kimin, qu’il était sans abri. Au cours des deux années suivantes, Pliev a vécu chez Kimin, avec sa femme et ses deux enfants. Il s’occupait des animaux, faisait la vaisselle et sortait les poubelles. Tous les soirs, à 18 h, ils s’assoyaient, priait et mangeaient ensemble.

Pliev a entrepris de rapiécer sa vie. Il a commencé par cesser de boire et de fumer. Il a effectué un sérieux retour à l’entraînement. Et depuis, ses journées débutent à 6 h 30 par une course de 30 minutes, suivie d’exercices légers. Aux environs de 10 h, il se rend au gymnase. Dans la soirée, entre 19 h et 21 h, il se consacre à la lutte. Lorsque Pliev allait rendre visite à ses parents, il prenait le train avec le lutteur de l’UFC Rich Franklin, montant les collines avec des kettlebells et tirant un traîneau rempli de poids dans les rues de Cincinnati.

Il a retrouvé la forme et a remporté trois championnats nationaux d’affilée. En décembre 2010, il s’est qualifié pour les Olympiques.

Lorsque nous l’avons rencontré dans Allan Gardens, Pliev semblait heureux. Il marche lentement, laissant les passants cajoler son chien, un chow chow appelé Muku, qu’il promène avec une scintillante laisse rose. C’est la même race de chien que celle qu’il avait enfant en Ossétie et cela lui procure une énergie positive, raconte-t-il. Il trouve le réconfort dans la Bible et l’amour de son amie, Hediyeh Karimian, sélectionneuse de lutte pour l’université de Guelph, qu’il a connue en 2010. À l’approche des Olympiques, il est excité, mais il a appris à faire la part des choses entre la compétition et le reste de sa vie. Si les Jeux ne se déroulent pas bien, il sait qu’il ne retombera pas dans la detresse émotionnelle ni sur son banc dans Allan Gardens. L’enseignement est une possibilité, mais il y en a d’autres. Peu importe ce qu’il arrive, dit-il, son cœur est comblé.

«J’en voulais à Dieu, à l’ambassade des États-Unis et à la tournure que prenait ma vie. J’étais continuellement obsédé, déçu, confie-t-il. Tout va bien maintenant. Je suis heureux.»

Fait intéressant: Le seul lutteur canadien à avoir remporté la médaille d’or est l’exubérant Daniel Igali, d’origine nigériane, qui a atteint le sommet du podium en 2000 et séduit le pays en exécutant sa danse de la victoire autour du drapeau canadien.

 Repas préféré: un chiche-kebab à l’agneau et un homard.

Chanson d’avant-match préférée: je n’ai pas cette habitude. J’aime lire la Bible. Cela me donne une force intérieure.

Hulk Hogan ou The Rock: Hulk Hogan.

Meilleure prise pour amener au sol: la prise du pompier. C’est celle que j’utilise le plus souvent.

Victoire la plus mémorable: mon premier championnat de l’État d’Ohio, à 15 ans.
 

Film préféré: Braveheart, Gladiator.

Passe-temps: le dessin et la pêche.

(Photos: Myles McCutcheon) 

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