Un aigle chez les verts

On a voulu faire taire André Bélisle en le poursuivant pour des millions de dollars. C’est raté!

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Pour André Bélisle, le président de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), le 3 novembre 2005 restera à jamais marqué d’une pierre noire. Ce jour-là, un huissier est venu déposer une poursuite de cinq millions de dollars dans les modestes locaux de l’organisme. Pour quel crime? L’écologiste et son association ont empêché un recycleur de métaux – par injonction du tribunal – de s’installer sur un ancien dépotoir sans le décontaminer. La Compagnie Américaine de Fer et Métaux Inc. (AIM) a donc décidé de poursuivre ces gêneurs en dommages et intérêts.

Cinq millions! Les quelques employés de l’AQLPA, à Saint-Léon-de-Standon, au sud-est de Québec, en ont les genoux qui flageolent. Jamais ils ne pourront se défendre avec un budget annuel de 300000$. Ils sont persuadés que tout est fini.

C’est mal connaître leur chef. «Je suis patient à en écœurer le pape, lance André Bélisle, un éclair dans le regard. Mais quand les choses n’avancent plus, je fais ce qu’il faut pour que ça bouge!»

Toute cette histoire a pourtant commencé par un beau rêve. Celui du Comité de restauration de la rivière Etchemin, qu’André Bélisle a cofondé avec trois autres citoyens en 1993. Chaque année, les écoles du bassin versant se voient confier un aquarium contenant des œufs de saumon. Les enfants nettoient la rivière, boisent les rives, relâchent les alevins. En 2004, miracle! Le saumon, disparu depuis deux siècles, revient frayer dans l’Etchemin.

Mais quelque temps plus tard, le président de l’AQLPA reçoit un appel anonyme l’informant que des écoulements contaminés menacent un site de reproduction du poisson. Sans permis et sans étude d’impact préalable, l’AIM construit une usine de déchiquetage de carcasses de voitures sur un ancien dépotoir de Lévis. Des riverains s’inquiètent.

«Ne rien faire équivalait à laisser tomber les jeunes qui avaient cru en notre rêve», explique André Bélisle.

En juillet 2005, l’AQLPA obtient de la Cour supérieure une injonction obligeant la compagnie à se doter des permis requis avant de poursuivre les travaux. Ce qui est fait.

Mais l’Association suspecte la présence de dépôts de cendres d’incinération – un concentré de polluants très toxiques. Elle se présente de nouveau en cour et obtient le droit de procéder à une analyse de l’état des sols.

Puis le géant américain intente une poursuite de cinq millions de dollars, qui touche une dizaine de groupes et personnes, dont le Comité de restauration de la rivière Etchemin et André Bélisle lui-même. Ils sont victimes d’une poursuite-bâillon. Cette forme de guérilla, menée par des entreprises ou par des gouvernements, vise à museler des adversaires en les ruinant en frais juridiques.

André Bélisle et ses collègues refusent de se laisser intimider. AIM pensait écraser des moucherons? Elle fait face à des frelons en colère. Le groupe lance la campagne «Citoyens, taisez-vous» et imprime des affiches sur lesquelles des personnalités comme le chanteur Yann Perreau et l’avocat Julius Grey ont la bouche couverte d’un bâillon. Au moins, il gagne la bataille de l’opinion publique: en juin 2008, le ministre de la Justice dépose un projet de loi contre les poursuites-bâillons.

La Compagnie Américaine de Fer et Métaux Inc. a fini par faire dépolluer son terrain. Mais André Bélisle a chèrement payé cette victoire. «Notre santé, notre vie privée, notre réputation et notre situation financière ont souffert énormément», constate Jocelyne Lachapelle, sa femme et sa collaboratrice. Quant à l’AQLPA, elle s’est résignée à signer une entente à l’amiable pour mettre fin à la poursuite qui a épuisé ses ressources. Sa défense s’est élevée à 150000$, le coût de ses assurances a été multiplié par 15, et elle a dû licencier quatre de ses six employés.

André Bélisle a tourné la page et continue. En juin dernier, il a reçu un prix canadien de l’environnement pour son œuvre d’éducation publique. «Il ne travaille pas avec les gens pour les enrôler, mais pour les informer», explique Francine Dorion, présidente du Conseil national canadien pour l’amélioration de l’air et des cours d’eau, qui était membre du jury.

A l’AQLPA, près de la rivière Etchemin, une autre journée de travail s’achève. Le président saute dans son hybride pour rentrer chez lui, dans un rang de Saint-Edouard-de-Frampton. Sa maison de bardeaux blancs est entourée d’un boisé de 110 hectares qui lui appartient et qu’il exploite – il paie parfois les dettes de l’AQLPA en vendant une partie de son bois. C’est là qu’il parle le mieux de sa passion pour la nature.

Né à Montréal, ce forestier a longtemps travaillé comme monteur de lignes à la Baie-James… où il a découvert les ravages des pluies acides. L’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique naît en 1982. André Bélisle n’y voit au départ qu’un intermède, mais il ne retournera jamais sur les chantiers de construction. Il s’engage dans d’autres organismes, notamment le Comité de restauration de la rivière Etchemin (si proche de l’AQLPA qu’ils partagent les mêmes locaux) et QuébecKyoto.

Depuis qu’il s’est donné pour mission d’instruire le public des fléaux qui menacent notre planète, André Bélisle est devenu un expert des soirées tupperware et des rencontres de Chevaliers de Colomb! Il adore aller expliquer aux gens les causes de la pollution atmosphérique et proposer des solutions concrètes.

Comment sensibiliser les citoyens à une pollution aussi intangible que celle de l’air? Ce vulgarisateur-né m’entraîne au bout de sa véranda. Au nord, il pointe une ombre bleuâtre à l’horizon: les Laurentides. Quand il s’est établi ici, il voyait en tout temps les pentes de ski du mont Sainte-Anne, à 80 km. Depuis six ans, un air opaque bloque souvent le regard. «Là, on voit bien qu’on voit pas, maugrée-t-il. Ça, c’est le smog.»

Oubliez les «écovedettes» au discours châtié. André Bélisle, 54 ans, possède le charme brut et vivifiant d’une rivière à rafting. Il parle simplement, et tout le monde écoute. Avec lui, pas de pelletage de gaz à effet de serre! Il prêche la modestie dans l’engagement. «Les gens n’ont pas besoin de se souvenir de mon nom ou de ma face. Ils ont besoin de comprendre les enjeux», martèle-t-il.

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André Bélisle a tourné la page et continue. En juin dernier, il a reçu un prix canadien de l’environnement pour son œuvre d’éducation publique. «Il ne travaille pas avec les gens pour les enrôler, mais pour les informer», explique Francine Dorion, présidente du Conseil national canadien pour l’amélioration de l’air et des cours d’eau, qui était membre du jury.

A l’AQLPA, près de la rivière Etchemin, une autre journée de travail s’achève. Le président saute dans son hybride pour rentrer chez lui, dans un rang de Saint-Edouard-de-Frampton. Sa maison de bardeaux blancs est entourée d’un boisé de 110 hectares qui lui appartient et qu’il exploite – il paie parfois les dettes de l’AQLPA en vendant une partie de son bois. C’est là qu’il parle le mieux de sa passion pour la nature.

Né à Montréal, ce forestier a longtemps travaillé comme monteur de lignes à la Baie-James… où il a découvert les ravages des pluies acides. L’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique naît en 1982. André Bélisle n’y voit au départ qu’un intermède, mais il ne retournera jamais sur les chantiers de construction. Il s’engage dans d’autres organismes, notamment le Comité de restauration de la rivière Etchemin (si proche de l’AQLPA qu’ils partagent les mêmes locaux) et QuébecKyoto.

Depuis qu’il s’est donné pour mission d’instruire le public des fléaux qui menacent notre planète, André Bélisle est devenu un expert des soirées tupperware et des rencontres de Chevaliers de Colomb! Il adore aller expliquer aux gens les causes de la pollution atmosphérique et proposer des solutions concrètes.

Comment sensibiliser les citoyens à une pollution aussi intangible que celle de l’air? Ce vulgarisateur-né m’entraîne au bout de sa véranda. Au nord, il pointe une ombre bleuâtre à l’horizon: les Laurentides. Quand il s’est établi ici, il voyait en tout temps les pentes de ski du mont Sainte-Anne, à 80 km. Depuis six ans, un air opaque bloque souvent le regard. «Là, on voit bien qu’on voit pas, maugrée-t-il. Ça, c’est le smog.»

Oubliez les «écovedettes» au discours châtié. André Bélisle, 54 ans, possède le charme brut et vivifiant d’une rivière à rafting. Il parle simplement, et tout le monde écoute. Avec lui, pas de pelletage de gaz à effet de serre! Il prêche la modestie dans l’engagement. «Les gens n’ont pas besoin de se souvenir de mon nom ou de ma face. Ils ont besoin de comprendre les enjeux», martèle-t-il.

Ce petit-fils d’Algonquin est intimement persuadé qu’il peut changer les choses. Il y a 35 ans, sur l’île de Vancouver, une chamane haïda lui a donné l’aigle comme animal-totem. «Il vole haut, il voit loin et il prévient les autres d’éventuels dangers, lui a-t-elle dit. Ton rôle est de protéger la nature.»

Il remporte d’étonnantes victoires. Au cours des années 1980, il demande au pollueur numéro un du Québec, l’usine métallurgique de Rouyn-Noranda, de réduire de moitié ses émissions d’anhydride sulfureux, un des polluants responsables des pluies acides. Et il finit par exercer une influence! Selon le rapport 2004 de l’Accord Canada-Etats-Unis sur la qualité de l’air, les émissions d’anhydride sulfureux ont chuté d’environ 50 pour 100 depuis 1981 au pays.

Début 2004, Hydro-Québec annonce la construction de centrales thermiques au gaz naturel – dont celle du Suroît. De quoi faire grimper les émissions de gaz à effet de serre. L’AQLPA lance alors une manifestation qui rassemble des milliers de personnes à Montréal. La centrale du Suroît ne verra jamais le jour.

Certains trouvent André Bélisle plus vert que vert. «Si j’étais ce que les gens disent de moi, je mangerais du foin et je dormirais accroché à une branche», glousse-t-il.

Mais il ne se contente pas de prêcher la vertu. Il propose des solutions pratiques aux problèmes, comme la campagne «Faites de l’air!» D’abord testé à Montréal et à Québec, ce projet de mise à la ferraille de vieilles voitures s’étendra à toute la province. Les «minounes» de plus de 10 ans seront récupérées par l’AQLPA (en collaboration avec le ministère de l’Environnement du Québec et Environnement Canada), qui les échangera, par exemple, contre un abonnement à l’autopartage ou un crédit d’achat sur une voiture neuve à faible consommation. Le programme vise autant à sortir de la circulation les vieux véhicules très polluants qu’à promouvoir des moyens de transport plus respectueux de l’environnement.

«Quand j’ai fondé l’AQLPA, beaucoup de détracteurs disaient qu’on n’arriverait pas à faire bouger les gens, les gouvernements, qu’on ne ferait qu’écœurer le peuple, se rappelle André Bélisle. Eh ben, on a réussi à faire changer des choses en Amérique du Nord. Et ç’a commencé par une gang de monde ordinaire: nous autres!» 

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