Retour aux sources

Après ce «bel accident» qu’a été pour lui l’Europe, l’humoriste veut renouer avec ses racines.

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2008, année charnière pour Anthony Kavanagh. Nouvelle carrière au cinéma, aux côtés de Valérie Lemercier. Nouveau spectacle d’humour aussi. Et grand déménagement en vue.

Après plusieurs années en France, où il est devenu une star du showbiz et de la télé, l’artiste de 38 ans a le mal du pays. «L’Europe a pour moi été un bel accident, dit Anthony Kavanagh. Je suis avant tout nord-américain.»

Pour se refaire un petit bout de pays, il avait planté un érable dans sa cour, en banlieue parisienne. «C’est mon oasis», confie-t-il.

Mais ça ne lui suffit plus. «L’énergie, le dynamisme du Québec me manquent, tout comme ma famille», insiste ce fils d’Haïtiens né à Greenfield Park, en banlieue de Montréal.

«Mes parents, qui ont fui Haïti sous la dictature, m’ont légué leur histoire, explique-t-il. Ils sont morts maintenant. Mais ma sœur, mon neveu et mon oncle vivent toujours à Montréal. Sans compter tous mes amis, que je considère comme ma famille. J’ai hâte de les retrouver.»

Il prévoit rentrer au Québec l’été prochain pour présenter son nouveau spectacle solo, qui prend l’affiche ce mois-ci au Bataclan, à Paris. Son objectif: se réinstaller chez nous d’ici la fin de l’année.

Pas question pour autant de tourner le dos définitivement à la France. «Je vais garder mon pied-à-terre parisien, revenir de temps en temps, puisque le moteur de la francophonie est ici», indique la vedette, crâne rasé, boucles d’oreilles diamantées, rencontrée dans un resto huppé des Champs-Elysées.

Anthony Kavanagh a passé l’année 2007 à écrire, puis à roder son spectacle en France, en Suisse, en Belgique, en Tunisie… Dans de petites salles. «Les bars, les cafés-théâtres, c’est mon école, c’est là que j’ai appris le métier», glisse-t-il.

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Humer, sentir son public de près est essentiel pour cet artiste qui marche à l’instinct. «J’ai un côté très animal sur scène. C’est le seul endroit où je me sens libre. Quand je suis trop dirigé, je ne suis pas bon.»

Trop dirigé. Trop formaté, trop lisse. Selon l’animateur, c’est ce que la télé française a voulu faire de lui en lui confiant l’émission de variétés Dancing Show en 2006. «J’ai joué le jeu à contrecœur, lâche-t-il. Je n’étais plus moi, je n’étais plus libre, je n’avais plus le droit de faire ce que je voulais.» Les critiques ont parlé d’un flop monumental. Mais, pour Anthony, «c’était une erreur de casting. Ils n’auraient pas dû me choisir: je suis un électron libre.»

La goutte d’eau qui fait déborder le vase? Une mauvaise blague, une semaine avant la fin de la saison du Dancing Show. Présentant un concours offrant un voyage en Egypte, l’animateur suggère aux gagnants potentiels d’aller faire un tour dans le sud du Liban, où, dit-il, «c’est très sympa en ce moment». L’armée israélienne pilonne alors Beyrouth et le sud du pays.

Il a eu beau exprimer ses regrets, s’excuser de ce faux pas, certains téléspectateurs mécontents ont réclamé sa tête… et son rapatriement au Canada. Rien de moins. «Tout ce qui monte doit redescendre», commente Anthony, jouant la carte zen.

Quand il débarque en France, en 1998, avec son premier spectacle d’humour, Anthony Kavanagh est loin de se douter du succès qui l’attend. «J’étais un extraterrestre, raconte-t-il. Imaginez: un Québécois avec des cheveux de Jamaïcain, un Noir qui pratiquait un humour à l’américaine, qui sautait partout, qui chantait, faisait plein de trucs bizarres… c’était quelque chose d’impensable pour les Français.»

Il n’avait pourtant jamais songé à faire carrière en Europe. Depuis sa découverte aux auditions nationales Juste pour rire, en 1989, sa carrière d’humoriste va bon train au Québec. Il est partout: la scène, la télé, la radio….

«L’Europe ne m’intéressait pas, dit-il. Toutes mes références étaient québécoises ou américaines. Quand j’étais ado, je rêvais de faire un film avec Eddie Murphy. Je voulais chanter comme lui, faire du one-man-show comme lui.»

Puis, en 1995, il est invité au festival d’humour de Montreux, en Suisse. Il en repart avec le titre de révélation de l’année, et la France lui ouvre les bras. Il adapte le spectacle qu’il promenait depuis deux ans au Québec et le présente en 1998 au public français… qui en redemande. «J’ai commencé dans une salle de 270 places, et j’ai terminé à Bercy*!»

En 2001, on lui offre d’animer la cérémonie des NRJ Music Awards, une sorte de gala de l’ADISQ à la française qui récompense chaque année les talents de la musique populaire. Pendant six ans, il va faire tourner cette énorme machine qui attire quelque six millions de téléspectateurs.

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Sollicité de partout, Anthony Kavanagh finit par déménager ses pénates en France. Ses séjours au Québec se font plus rares, plus courts. Quelques apparitions dans la série télé Le cœur a ses raisons, un rôle dans la comédie musicale Chicago, créée à Montréal en 2003, puis le Québécois se consacre entièrement à sa carrière française. Fulgurante jusqu’en 2006. Cette année-là, Anthony frappe un mur.

Il y a l’échec du Dancing Show, mais, surtout celle de son premier album, Les démons de l’Arkange, et la tournée de spectacles qui devait suivre. «Le disque n’a pas levé, tout simplement parce que personne ne l’a entendu, plaide Anthony. Si un artiste n’a pas accès au public, il joue dans le vide. Tu peux être Bouddha ou Jésus-Christ, personne ne le saura si tu restes dans ton sous-sol.»

Même s’il jure que c’est du passé et qu’il «faut rester dans le présent», il en a gros sur le cœur, notre Québécois. Surtout que la tournée des Démons de l’Arkange est annulée après quelques représentations. Un grave différend l’oppose au producteur, et les pertes financières seraient considérables, sans compter le temps et l’énergie dépensés en vain.

«J’ai toujours pris des risques dans la vie, confie-t-il. Je n’ai jamais eu peur de jouer le tout pour le tout, mais là, c’était la première fois que je perdais.»

Pour Anthony, c’est une grande blessure. Mais cette histoire lui aura au moins permis de voir à quel point il est fort. «C’est dans les situations critiques, dans l’adversité, qu’on voit non seulement qui sont nos amis, mais aussi qui on est vraiment. Ma plus grande surprise, c’est de constater que je me suis relevé, comme un boxeur.» Il parle de Rocky III, son film culte, de Frank Sinatra… «N’importe quel grand artiste, n’importe quel grand sportif connaît des défaites. C’est ce qui donne de la force.»

Après tant de coups durs, l’artiste plonge tête baissée dans la création de son nouveau spectacle. «C’est un show qui me ressemble, qui m’a permis de retrouver ma liberté», dit-il simplement.

C’est aussi un spectacle bilan. Bilan de ce qui s’est passé au cours des dernières années, depuis la dernière apparition solo de l’humoriste sur scène. Une performance consacrée en grande partie à l’explosion d’Internet et aux nouvelles technologies, mais aussi à tout ce qui se bouscule dans sa vie depuis cinq ans. «Je me suis fait couper les cheveux, j’ai enregistré un disque… et j’ai rencontré la femme de ma vie.» Il marque une pause. «Ma relation la plus longue, la plus heureuse.» Petit rire narquois. «Avant, ma relation la plus heureuse, c’était cinq fois. Faites le calcul: ça fait une nuit.»

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Avec lui, même dans les moments graves, l’humoriste, le clown et l’homme de spectacle ne sont jamais très loin. «Je me fais couper les cheveux, puis, soudain, les gens ne me reconnaissent plus. Je suis redevenu noir. Les taxis ne me prennent plus, je me fais refuser l’entrée dans des boîtes, je me fais fouiller aux douanes.»

Il en remet, comme s’il était sur scène. «J’étais membre d’un club privé où le voiturier était super gentil.» Imitation de la voix mielleuse du voiturier: «Bonjour, monsieur Kavanagh, vous allez bien? Je vous garde la voiture.» L’humoriste poursuit: «Une semaine après m’être fait couper les cheveux, le même gars me dit: «Eh! ho! La Compagnie Créole! Tu dégages avec ta caisse, ou j’appelle les flics!»

C’est un avant-goût du spectacle d’Anthony Kavanagh. Anecdotes vécues, insiste-t-il. «Bon, j’exagère un peu. Dans ce cas-là, ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça. Mais le gars m’a vraiment parlé comme à une crotte. Et quand il m’a reconnu, il s’est liquéfié.»

Le racisme. Dès qu’il a mis les pieds en France, Anthony Kavanagh y a goûté. «Un producteur télé, qui devait être mon partenaire médias, a changé d’idée quand il a vu ma photo. «Désolé, il est un peu trop marqué.» C’est ce qu’il a dit. Trop marqué. Trop noir!»

Il se souvient aussi qu’en 2001 c’était tout un événement de voir un Noir animer pour la première fois la cérémonie des NRJ Music Awards à une heure de grande écoute. «Ça me désolait, dit-il. Je pensais à chez nous, au Québec, où les Normand Brathwaite, Luck Mervil et Gregory Charles présentent ce genre d’émission depuis des années!»

Mais en France, selon Anthony, il y a pire que la télé. «Le cinéma est encore un bastion très protégé, note-t-il. Très peu de grands rôles sont confiés à des Noirs en France.»

Quand il a appris l’an dernier que le réalisateur français à succès Etienne Chatiliez lui offrait un premier rôle masculin auprès de Valérie Lemercier dans son nouveau film, Anthony Kavanagh est tombé de sa chaise. Depuis le temps qu’il en rêvait.

D’autant que le sujet du film, une comédie musicale qui a pour titre Agathe Cléry, c’est le racisme, justement. Anthony Kavanagh y incarne un Noir raciste qui déteste les Blancs et qui refuse de les embaucher dans sa boîte de communication jusqu’au jour où…

Le film devrait prendre l’affiche en novembre 2008. D’ici là, Anthony Kavanagh sera rentré au bercail. Il revient au Québec avec sa douce, une Suisse de 32 ans, projette d’avoir des enfants… et de renouer avec ses racines.

«La force, le sang qui coule dans mes veines et mes racines sont haïtiens, conclut-il. Mais c’est le Québec qui m’a donné ma créativité, mon ouverture d’esprit, mon dynamisme. C’est le Québec qui m’a donné la liberté d’être qui je suis.»

* Célèbre salle de spectacle parisienne pouvant accueillir jusqu’à 18000 spectateurs.

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