Côté coeur

Son plus beau trophée? Le bonheur!

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En mars dernier, une journaliste de La Presse demandait à quelques personnalités à qui elles décerneraient le prix Jutra-hommage de 2008. Réponse de Guillaume Lemay-Thivierge: «A Michel Côté. Il a su s’engager dans des rôles différents tout en restant sélectif. Il ne nous est jamais tombé sur les nerfs. C’est mon modèle.»

Acteur doué dans tous les registres, Michel Côté rime avec popularité: télévision (Omertà), théâtre (Broue), cinéma (Le dernier tunnel, C.R.A.Z.Y.). Son jeu est marqué du sceau de l’humanité. Peu importe leur profil, il insuffle à ses personnages quelque cho se qui ressemble à de la dignité. Depuis le temps, l’acteur pourrait camper dans le confort d’une notoriété bien établie. Il choisit encore le risque.

Et aux prix et aux scintillements de la carrière, Michel Côté préfère la vie, l’amour, l’amitié, voire le sport. Vous ne le verrez jamais sur le devant de la scène s’il n’a pas un projet à défendre. Il y a chez lui du romantique et de l’hom me d’affaires, de l’aventurier et du père de famille. C’est un être à la fois humble et orgueilleux, sûr de lui et travaillé par le doute, mais totalement lucide.

Dans Cruising Bar 2 – en salles le 27 juin -, il nous offre un véritable récital en ressuscitant les quatre personnages qu’il nous avait fait découvrir en 1989: Gérard, «le Taureau»; Patrice «le Lion»; Jean-Jacques, «le Paon»; Serge, «le Ver de terre». Quatre mâles toujours en quête de femmes.

André Ducharme: Revenir à Cruising Bar 20 ans plus tard, c’est ouvrir la porte aux comparaisons.
Michel Côté: Tous ceux qui espéraient une suite se sont fait une idée du Cruising Bar 2 idéal. Certains seront peut-être déçus de ne pas voir le film qu’ils ont imaginé. Les quatre personnages ont maintenant des préoccupations de quinquagénaires. Mais le moteur du premier volet – ce sempiternel désir d’aimer et d’être aimé – est encore présent. A quel point le public rira, à quel point il sera ému? Si je le savais, je serais engagé par tous les producteurs du monde.

A.D.: Cruising Bar était un film «tristement drôle» sur la solitude urbaine et sur l’échec de l’amour. Y a-t-il un peu d’espoir dans le deuxième volet?
M.C.: Deux personnages sur quatre s’en sortent plutôt bien, mais je ne vous dirai pas lesquels.

A.D.: En 20 ans, les techniques de séduction ont changé. Que connaissez-vous là-dedans, vous, homme réputé fidèle? Avez-vous fréquenté des lieux de rencontre pour préparer vos rôles?
M.C.: En visitant quelques bars en compagnie de ma femme [la comédienne Véronique Le Flaguais] et du réalisateur Robert Ménard, j’ai constaté que les choses n’y avaient pas tellement changé, à part le fait qu’on n’y fume plus. Ah oui, les femmes font des avances aux hommes, ce qui n’était pas courant il y a 20 ans.

A.D.: Dans votre C.V., on ne trouve pas de personnages de séducteurs, hormis ceux, plutôt pathétiques, de Cruising Bar.
M.C.: A l’Ecole nationale de théâtre [promotion 1973], je n’ai jamais joué les jeunes premiers. On me confiait les rôles de tueurs, d’alcooliques, de pères de famille. J’avais la voix trop grave pour incarner les ingénus romantiques, et il y avait probablement des comédiens plus beaux que moi. Ma carrière n’est à peu près faite que de rôles de composition. La seule fois où j’ai interprété un personnage plus proche de moi, c’est dans Omertà. Un policier.

A.D.:
Y a-t-il un rôle qu’on ne vous a pas proposé que vous aimeriez jouer?
M.C.: Le dernier à m’avoir posé cette question, c’était Claude Meunier. J’ai répondu: «Une grande folle.» Il m’a écrit le rôle du très homosexuel Jean-Lou dans La petite vie.

A.D.:
Dans Cruising Bar 2, vous avez un peu tâté de la réalisation. Cela vous a-t-il donné envie de passer vraiment derrière la caméra ?
M.C.: Je le ferai sans doute un jour, mais mon but dans la vie n’est pas de réaliser un film et d’aller aux Oscars. Depuis que je suis jeune, j’aspire à être heureux, et j’y arrive. Ce qui gâche mon bonheur, c’est quand je constate qu’il y a des gens malheureux autour de moi.

A.D.:
A consulter votre parcours professionnel, on se dit que le travail doit contribuer à votre bonheur…
M.C.: Mais je ne suis pas un drogué du travail. J’ai 58 ans [depuis le 25 juin] et je n’ai qu’une quinzaine de films à mon actif. Rémy Girard, qui a mon âge, a dû en faire, lui, une cinquantaine! Cela dit, demandez à n’importe quel technicien combien je suis heureux sur les tournages. Tout le mon de a du plaisir avec moi, je détends l’atmosphère. Je ne me souviens pas qu’un réalisateur ne m’ait pas redemandé pour un autre film.

A.D.:
On serait mal avisé de ne pas vous redemander: chacun de vos films est un succès.
M.C.: Je ne parierai pas ma maison sur celui de mon prochain film.

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A.D.: Quand vous avez tourné le premier Cruising Bar, vous doutiez-vous que ce serait un triomphe populaire?
M.C.: On savait qu’on tenait un sujet universel – les hommes qui font la chasse aux femmes -, mais de là à prévoir un tel succès!

A.D.: Cela vous rend fier?
M.C.: Je ne m’y attarde pas, car je recommence chaque fois ma carrière. Je ne me suis jamais considéré comme quelqu’un d’arrivé. Je doute trop de moi pour cela.

A.D.:
Il y a des acquis tout de même.
M.C.: Oui, mais le stress est deux fois plus grand. Je dis à mon fils Maxime, qui est comédien: «C’est le temps de te péter la gueule. Tu n’es pas connu; profites-en pour faire des expériences.» Moi, si je me casse la gueule, c’est le début de la fin.

A.D.:
Supposons que Cruising Bar 2 fasse un bide…
M.C.: Je me consolerai en me disant qu’au moins je suis encore en vie et en bonne santé, que ma femme et mes enfants m’aiment toujours et que les jaloux vont être contents de ma déconfiture. Il faut voir le côté positif!

A.D.: Votre définition d’un bon film?
M.C.: C’est C.R.A.Z.Y.: un scénario, qui ne se prend pas trop au sérieux et qui charrie plein de sentiments et de valeurs, un film touchant, bien réalisé, artistiquement léché. Un film réussi, c’est quand le succès public rencontre le succès critique. On aime plaire aux professionnels – ne croyez pas les gens qui disent qu’ils s’en foutent -, mais s’il n’y a pas un chat dans la salle, il manque un gros morceau.

A.D.: Par choix – et peu importe le nombre de propositions sur votre table -, vous ne tournez qu’un seul film par année, et généralement l’été. Et si, un été, vous n’aviez pas de projet?
M.C.: Ça ne serait pas grave. Dans 12 étés, je vais avoir 70 ans.

A.D.:
Pourquoi prendre autant d’avance et ne pas dire plutôt «Dans deux étés, j’aurai 60 ans»?
M.C.: Parce qu’à 60 ans on tient encore la forme, mais à 70 ans on ne sait pas si on va encore pouvoir descendre une rivière en canot.

A.D.:
C’est donc moins de vieillir que de ne plus être en forme qui vous inquiète?
M.C.: Je pratique un métier où il n’y a pas de retraite. Mais les rôles se font plus rares quand on vieillit. C’est pire pour les femmes. Je commence à accepter l’idée de tenir des rôles moins importants. Si, dans une trentaine d’années, un réalisateur a besoin d’un vieux pas de dents de 90 ans pour se bercer sur un balcon, il pensera peut-être à moi. Les acteurs principaux diront: «Lui, il était connu dans le temps. As-tu vu tel film? Non? Et tel autre? Non? En tout cas, il était connu…» Je me prépare psychologiquement à devenir un inconnu, un has-been.

A.D.: C’est encore loin…
M.C.: Ça peut venir vite. Tu prends le bottin de l’Union des artistes, qui épaissit d’année en année, tu regardes les noms et tu te demandes: De quoi il vit, lui? Et elle, que devient-elle? Actuellement, ce sont Roy Dupuis, Guillaume Lemay-Thivierge, Patrick Huard qui ont la cote. Quand j’avais 34 ans, je faisais le Bye Bye, je jouais Broue 180 fois par année, j’avais deux petits à la maison et je faisais l’amour à ma femme en plus! [Rires.]

A.D.:
A quoi tient votre talent?
M.C.: Je suis capable de défendre mes personnages, même les plus antipathiques. J’ai beaucoup d’empathie pour l’être humain, je peux lui pardonner beaucoup de choses. Si je joue un criminel, je me dis qu’il y a sûrement, même si c’est profondément enfoui, une part sensible chez cet être-là. Mon travail consiste à rechercher son essence, son humanité. Et, pour la comédie, j’ai le sens du rythme, je sais quand il faut un punch.

A.D.:
Certains vous voient comme un modèle, un mentor; d’autres vous voudraient comme père depuis votre rôle dans C.R.A.Z.Y. Comment vous voyez-vous?
M.C.: Honnêtement, je me considère juste comme un acteur qui se compte chanceux de pouvoir gagner sa vie en faisant ce qu’il aime. Mon père a longtemps livré du 7UP, puis, quand il n’a plus eu la force de soulever les caisses de bois, il a livré des petits gâteaux Vachon. J’ai énormément de respect pour lui. Est-ce que je vaux plus que lui? Financièrement, peut-être un peu plus!

A.D.: Avec vos succès cinématographiques, vous seriez sûrement milliardaire aux Etats-Unis!
M.C.: Mais pas plus heureux! [Rires.] Il y a une méchante gang de milliardaires complètement fêlés.
A.D.: Côté argent, vous ne faites pas pitié tout de même.
M.C.: J’ai économisé durant mes bonnes années.

A.D.: Vous n’avez eu que de bonnes années!
M.C.: Avec l’éducation que j’ai reçue, je ne pouvais pas me mettre à dépenser comme un malade. Je vais faire plai sir à toute ma famille avant de m’acheter une voiture sport, que je n’ai toujours pas d’ailleurs.

A.D.:
Vous ne jouez donc pas à la vedette?
M.C.: Vivre à Montréal a du bon. On ne peut pas se prendre longtemps pour quelqu’un d’autre. Il suffit de traverser la rue Peel pour être ramené à la réalité. Rémy Girard, Yvon Deschamps et moi irions nous promener dans l’ouest de l’île, et je vous assure que personne ne nous reconnaîtrait.

A.D.:
Une carrière internationale ne vous a jamais tenté?
M.C.: Sincèrement, non. On m’a approché à plusieurs reprises pour des projets. Mais ça ne m’intéresse pas de jouer un petit rôle dans un film français, où je serais le faire-valoir de la vedette. De la même façon, j’ai toujours refusé de passer des auditions pour les Américains, fût-ce pour un film avec Robert De Niro. Moi, je joue des rôles principaux ici, et ça me rend heureux. J’ai ma fierté.

A.D.:
Michel Galabru a dit: «Le théâtre est l’art du comédien, le cinéma, celui du metteur en scène.»
M.C.: Je suis d’accord. Même Rin Tin Tin était bon au cinéma. Au théâtre, impossible de tricher. Si tu n’es pas bon, ça crève les yeux.

A.D.: A part dans Broue, qui tourne depuis 1979, il y a longtemps qu’on ne vous a pas vu sur les planches.
M.C.: On m’a offert de nombreux rôles, mais Broue me tient très occupé. On a déjà une soixantaine de représentations inscrites au calendrier de la saison 2008-2009, et c’est loin d’être fini. J’ai du mal aujourd’hui à m’imaginer répéter une pièce un mois et demi pour ne la présenter que 25 fois. Je joue dans un succès qui marche à fond; le public rit toutes les 35 secondes pendant 2 heures 20. Je reçois une grande dose d’amour.

A.D.: Et si on vous sommait de choisir entre continuer de faire du cinéma ou de jouer Broue?
M.C.: Je choisirais Broue sans hésiter. Près de trois millions de personnes ont déjà vu le spectacle et, pourtant, les salles sont remplies à 90 pour 100 de gens qui voient la pièce pour la première fois. Ça fait longtemps qu’ils en entendent parler, alors ils s’attendent à voir le bout du monde, et on le leur donne… On détient le record mondial de longévité pour une pièce jouée par la même distribution. Broue, qui a 29 ans, représente la moitié de ma vie. C’est – après ma rencontre avec Véronique – l’événement qui a le plus changé le cours de mon existence.

A.D.:
Auriez-vous pu vivre un autre destin?
M.C.: Jusqu’à cette année, j’aurais répondu non. Maintenant, je pense que je pourrais faire autre chose, même si je ne sais pas quoi.

A.D.:
Pourquoi maintenant?
M.C.: Trois de mes proches sont morts récemment. Ça fait réfléchir sur la vie et la mort, mais aussi sur le métier qui est plus une jungle qu’avant. Les jeunes comédiens en arrachent; ils ne font que passer des auditions. Ils apprennent trois ou quatre pages de texte par cœur pour se faire dire: «Ben non, on voulait un brun. Comment ça se fait que t’es blond?» A mes débuts, c’était plus humain; il faut dire qu’on était moins nombreux!

A.D.:
Qu’est-ce qui vous énerve chez vos semblables?
M.C.: Je trouve qu’on appuie vite sur la gâchette. La vie est trop courte pour être méchant. Avait-on besoin de traiter Denys Arcand de «mononcle» parce que son dernier film, L’âge des ténèbres, est peut-être moins bon que ses précédents? On est un petit pays; je ne dis pas qu’il faut se péter les bretelles, mais on devrait avoir plus de solidarité et de compassion.

A.D.:
Compassion : le mot revient souvent dans votre bouche.
M.C.: Je viens d’une famille simple, avec une morale humaine, où tout le monde s’aime. Mes parents n’ont pas fait de longues études, mais ils pourraient enseigner le savoir-vivre à beaucoup de professeurs d’université. Pour eux – et ça frôle la naïveté -, tout le monde est bon jusqu’à preuve du contraire. Si quelqu’un fait un mauvais coup, on s’en tient loin, c’est tout. Je n’ai jamais entendu mon père dire du mal de quelqu’un.

A.D.:
Le cinéma vous intéresse-t-il en tant que spectateur?
M.C.: J’aime en faire. C’est pour moi comme une grande expédition. Mais je n’en consomme pas beaucoup, du moins pas des films américains. Bien sûr, j’encourage les gens à aller au cinéma, car c’est une belle industrie, mais je les encourage aussi à se faire leur propre cinéma, à ne pas vivre leur vie par procuration. On travaille, on rentre à la maison, on cuisine, on couche les enfants et on regarde la télé. Ce n’est pas ma définition du bonheur. Moi, si j’ai la chance d’aller pêcher le saumon dans une rivière, je la saisis.

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