Aurore, l’enfant sourire

A 14 ans, Marianne Fortier a laissé ses oripeaux de petite «martyre» pour devenir une adolescente lumineuse.

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Cette jeune fille s’y connaît en scènes cruelles. Dans le film Aurore, elle s’est fait battre avec un manche de hache, frapper à coups de barre à clous et marquer au fer rouge! Mais c’est en tournant Maman est chez le coiffeur, de Léa Pool, qu’elle a le plus souffert. Dans une scène impossible à truquer à cause de l’angle de la caméra, son personnage se fait gifler. Et flic! Et flac! Après une dizaine de prises, la pauvre avait la joue rouge sang. «On m’a mis de l’arnica et de la glace pour que ça n’enfle pas», précise-t-elle en riant.

La jeune actrice aurait pu se plaindre. Au contraire, elle a aimé l’expérience: «Il y avait tellement d’émotion dans cette scène-là!»

Dans Maman est chez le coiffeur (sorti en mai), Marianne interprète Elise, une adolescente qui s’apprête à vivre le dernier été de son enfance. Sa mère a abandonné sa famille pour un poste à Londres; son père est en plein désarroi. Elise refoule ses larmes pour veiller sur ses frères, dont le benjamin dépérit de chagrin. Heureusement qu’il y a Monsieur Mouche, le pêcheur sourd-muet, pour comprendre ses peines! Et ce premier baiser, donné à un garçon dans une grange qui fleure bon le foin…

En presque 30 ans de carrière, Léa Pool a dirigé bien des enfants-acteurs, mais la cinéaste montréalaise a été soufflée par sa nouvelle héroïne, qu’elle compare à Karine Vanasse. «Marianne est d’une grande force dans le non-verbal, dit-elle. Dans un seul regard, elle transmet beaucoup de choses. Et elle donne la même qualité de jeu d’une prise à l’autre, comme des acteurs plus expérimentés.»

Mais ne demandez pas à la petite «bibitte de plateau» quel réalisateur l’inspire. Tout au plus dit-elle aimer les films historiques, comme La liste de Schindler. «Avoir des idoles, ce n’est pas dans ma personnalité.»

A 14 ans, Marianne Fortier possède une indiscutable présence. Est-ce dû à ces yeux expressifs qui s’étirent vers les tempes? Ou à cette fossette qui creuse son menton? Son doux visage respire encore l’innocence, mais déjà elle s’exprime d’une voix étonnamment modulée. Et quand elle plonge son regard océan dans le vôtre, sans ciller jamais, vous comprenez qu’elle est née avec un caractère bien trempé.

«Elle a un côté terrien, très ancré, et une impressionnante confiance en elle», observe Léa Pool.

«Dans ma famille, on n’a pas le gène de la gêne, blague l’adolescente. De toute façon, il faut être solide pour faire le métier que je fais.»

Ses parents ont toujours cru qu’elle avait assez de caractère pour s’imposer dans le monde du spectacle. Pourtant, ils ont ressenti une pointe d’inquiétude en voyant leur cadette catapultée sous les projecteurs.

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«On voyait le cinéma comme une grosse machine, confie la mère. Mais Marianne est tellement déterminée! Et puis, elle sait gérer les déceptions. Elle a déjà fait des auditions qui n’ont pas marché.»

Née le 2 novembre 1993, Marianne Fortier grandit à Québec entre Julien, 17 ans, et Rosalie, 10 ans. Sa famille donne plus dans les affaires que dans les arts, mais la petite rêve de jouer du piano. En 2000, au Camp musical Saint-Alexandre (près de Rivière-du-Loup), elle monte sur les planches comme choriste dans la comédie musicale Grease et ressort de cette expérience avec le virus de la scène. En 3e année, elle s’inscrit en théâtre parascolaire. Sur les conseils de sa monitrice, la jeune fille fréquente l’école-agence Mode é Arto, qui l’inclut dans son catalogue d’artistes.

C’est alors que sa vie prend des airs de scénario hollywoodien. En 2004, la firme Cinémaginaire tient des auditions pour donner un visage à Aurore Gagnon, l’enfant martyre du Québec, tuée par sa marâtre en 1920. Plus de 9000 fillettes de 5 à 12 ans s’y présentent. Parmi elles, Marianne.

A l’audition finale, 17 candidates sont réunies dans l’édifice de Radio-Canada, à Montréal. Une à une, elles s’engouffrent dans une salle pour rencontrer le réalisateur Luc Dionne et la productrice Denise Robert. Une à une, elles sortent en sanglotant. Marianne se trouve bien piteuse quand elle est enfin convoquée. «On a une bonne et une mauvaise nouvelle, entend-elle. La mauvaise, c’est que tu vas devoir travailler fort. La bonne, c’est que tu as le rôle!» Eperdue de joie, la gamine fond en larmes.

Avec des recettes de 5,3 millions de dollars, Aurore s’installe au neuvième rang des films québécois les plus populaires de tous les temps. Et l’apprentie comédienne décroche une nomination comme meilleure actrice de soutien aux prix Génie, en 2006.

Les spectateurs se rappelleront sans doute le regard de braise de l’héroïne qui, sagement assise sur les rails, attend d’être écrabouillée par un train. Ces yeux ne devraient pas appartenir à une fillette, mais, pour Marianne, ce n’est qu’un jeu. Quand les maquilleurs peignent sur son corps des plaies atroces, elle se plaint que ça chatouille…

La petite ne prend réellement conscience d’avoir interprété une histoire vraie qu’à la sortie du film. «Des gens venaient me voir pour me dire qu’ils avaient vécu ça dans leur enfance», confie-t-elle, encore ébranlée.

Ça lui donne envie de s’engager contre la violence. A commencer par l’intimidation qui mine les polyvalentes, y compris la sienne, l’école secondaire De Rochebelle. Secouant ses mèches brunes d’un air attristé, elle raconte comment elle a été choquée par un diaporama sur le suicide des jeunes – certains enfants n’avaient que 8 ans – et comment elle s’est indignée quand elle a constaté que des élèves continuaient à se lancer des insultes. «Moi, quand j’entends des choses comme ça, je m’en mêle», s’insurge la justicière de 1,57 m! Elle a même participé à la Journée internationale des droits de l’homme qui a eu lieu à Québec en décembre 2006.

Inscrite au programme d’éducation internationale ainsi qu’à celui d’immersion en anglais, cette bûcheuse excelle dans les études, qu’elle espère pousser loin. Quel métier exercera-t-elle si jamais elle renonce à l’art dramatique? Elle l’ignore encore. C’est pourquoi elle garde toutes les portes ouvertes.

«Si je tiens à un rôle et que le tournage tombe pendant l’école, je vais faire le travail qu’il faut pour réussir. Au pire, je ne verrai pas mes amis pendant la fin de semaine…»

Elle joue du piano avec assiduité depuis sept ans, vient de décrocher sa ceinture verte de judo et suit des cours pour devenir sauveteuse aquatique. Mais quand on lui demande si elle est disciplinée, elle éclate de rire. «Pour faire ma chambre, pas toujours!»

Marianne choisit ses rôles avec un culot de star. Elle les aime difficiles, nuancés, mystérieux. Comme celui de Cinthia, qui voit son frère se transformer en… poisson, dans le récent court métrage A mère et marées. Le scénario, cosigné et réalisé par Alain Fournier, l’avait séduite par son originalité.

Mais aucun personnage ne changera sa vie comme Aurore. La martyre du 20e siècle lui a légué une fichue notoriété.

«Les gens s’imaginent qu’être célèbre, c’est si magnifique. Se faire arrêter dans la rue, je ne vois pas ce que ça a d’exceptionnel», fait remarquer l’adolescente.

Avec Maman est chez le coiffeur, Marianne Fortier espère se débarrasser de cette image d’enfant triste qui lui colle à la peau depuis son premier rôle. Elise est un tout autre personnage. Pas moins exigeant, toutefois. «Rire devant une caméra, c’est aussi dur que pleurer!» Aussi est-ce avec un brin d’appréhension que la jeune actrice se verra à l’écran. «A mon premier film, dit-elle, j’avais 11 ans. Je ne savais pas où je m’en allais, mais j’ai eu du succès. Je veux que le deuxième soit à la hauteur.»

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