L’aide médicale à mourir : l’ultime décision

Les médecins québécois pourraient bientôt aider à mourir dans la dignité. Un soulagement pour quelques centaines de patients en fin de vie. Sélection a mené un reportage sur un enjeu de société qui a ébranlé le Québec, ces derniers mois : le débat sur l’implantation de la loi sur l’aide médicale à mourir.   

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L'entrée en vigueur de la loi sur l'aide médicale à mourir

L’entrée en vigueur de la loi sur l’aide médicale à mourir

En cet après-midi ensoleillé de septembre 2015, des voyageurs s’agglutinent devant les comptoirs à l’aéroport Montréal-Trudeau. Parmi eux, Jocelyne Sauvé, 58 ans, une ex-infirmière bien calée dans un fauteuil roulant poussé par son fils aîné, Pierre-Olivier. Jocelyne prépare son périple vers la Suisse depuis plus d’un an avec l’aide de Sylvie, sa sœur, qui l’accompagne aussi. Jocelyne s’y rend pour mourir. 

Atteinte de sclérose en plaques, sa condition physique s’est dégradée et la douleur n’a cessé d’augmenter depuis son diagnostic en 1989. Elle a dû quitter sa maison il y a quatre ans pour se retrouver dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). Veuve, elle ne voulait pas imposer ce fardeau à ses deux fils. « C’est lourd d’être en CHSLD avec des personnes très âgées qui ne peuvent pas communiquer. La vie est belle, mais pas la mienne. J’en ai assez de vivre ! » déclare-t-elle à son entourage. 

Elle ne marche plus depuis six ans, et dépend essentiellement des préposés. Rien ne peut guérir sa maladie. Avant que son état se détériore davantage et l’empêche de se rendre en Europe, elle a payé plus de 20 000 dollars pour avoir droit à un suicide assisté chez Dignitas, en Suisse, le seul pays à permettre à des étrangers de venir mourir de cette façon sur son territoire. Depuis ses débuts, en 1998, environ 1 700 personnes ont ainsi mis fin à leurs jours. « J’ai hâte de fermer les yeux et d’arrêter de penser. J’ai plus peur de vivre que de mourir. » 

Certains lui ont conseillé d’attendre l’entrée en vigueur, en décembre 2015, de la nouvelle loi concernant les soins de fin de vie au Québec. Mais Jocelyne Sauvé sait qu’elle ne pourra pas en profiter parce qu’elle n’est pas en phase terminale. Sa maladie pourrait progresser encore des années avant de la plonger dans le coma.

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La complexité juridique de l'aide médicale à mourir

La complexité juridique de l’aide médicale à mourir

« Selon notre code de déontologie, précise le Dr Yves Robert, un médecin doit agir de telle sorte que le décès d’un patient, qui lui paraît inévitable, survienne dans la dignité. Cela pourrait aller jusqu’à donner des traitements qui réduiraient la vie ou l’agonie en apportant un soulagement approprié. » Cela dit, la nouvelle loi québécoise sur l’aide médicale à mourir est très restrictive. La personne qui en fait la demande doit être majeure, être couverte par la Loi sur l’assurance maladie pour contrer l’éventuel afflux de patients venus de l’étranger, être apte à consentir aux soins jusqu’en fin de vie. Sa maladie doit être grave et incurable. Du point de vue de la médecine, l’état de ses incapacités doit être jugé avancé et irréversible. Elle doit éprouver des souffrances physiques ou psychiques constantes, voire insupportables, et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge tolérables. 

Au Québec, le débat a été lancé en novembre 2009 lorsque le Collège des médecins a rendu public un document de réflexion sur la réanimation des grands prématurés, l’acharnement thérapeutique, l’euthanasie et le suicide assisté, de même qu’un autre rapport sur la fin de vie. Il y reconnaît qu’il « existe effectivement des situations exceptionnelles, des douleurs incoercibles ou une souffrance interminable […] où l’euthanasie pourrait être considérée comme l’étape ultime, nécessaire pour assurer jusqu’à la fin des soins de qualité ». 

Véronique Hivon, députée péquiste de Joliette, qui allait devenir ministre déléguée à la Santé et aux Services sociaux et vice-présidente de la commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité, a aussitôt demandé une rencontre avec Pauline Marois, alors chef de l’opposition. «Pendant mes études, j’ai développé une passion pour le droit de la santé et l’éthique médicale. J’ai aussi accompagné des personnes en fin de vie, ce qui m’a profondément marquée. J’ai dit à Mme Marois qu’il s’agissait-là d’un débat de société et qu’il ne fallait pas attendre que les tribunaux nous forcent la main. » 

« À notre grande surprise, dit le secrétaire du Collège des médecins, le Dr Yves Robert, l’Assemblée nationale a créé en décembre 2009 [moins d’un mois après le dévoilement des conclusions des rapports] une commission spéciale sur les soins de fin de vie formée de neuf députés de différents partis politiques. » Des audiences publiques ont été menées dans huit villes de la province. Il y a eu plus de 300 mémoires et interventions. Trente-deux spécialistes ont été rencontrés. Une délégation de la commission s’est rendue dans des pays qui pratiquent déjà l’euthanasie, notamment les Pays-Bas, premiers en Europe à l’avoir légalisée en 2001, suivis par la Belgique et le Luxembourg. En cas de maladie incurable et de souffrance intolérable, un médecin peut, à la demande en toute conscience d’un patient, lui administrer une substance létale. La Suisse, quant à elle, interdit l’euthanasie active, mais autorise le suicide assisté (une substance létale est donnée au patient qu’il doit boire lui-même). Si aucun État américain n’a légalisé l’euthanasie, une loi sur le suicide assisté est entrée en vigueur en Oregon en 1997, Washington et le Montana en 2009, le Vermont en 2013, et la Californie en 2015. 

De son côté, Québec a choisi de légiférer uniquement sur ce qui relève de ses compétences constitutionnelles et n’a donc pas demandé la décriminalisation de l’euthanasie ou de l’aide au suicide, qui relèvent du Code criminel de juridiction fédérale. En réalité, la loi sur l’aide médicale à mourir légifère sur un soin, ce qui est de compétence provinciale, soit l’intervention d’un médecin qui administre une substance intraveineuse à une personne en fin de vie. « Le terme euthanasie, qui signifie « mort douce « , a été mis de côté, explique Me Jean-Pierre Ménard, ancien président du comité de juristes conseils de la commission mourir dans la dignité. Le mot accolé à l’époque nazie est trop péjoratif. » 

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La loi sur l'aide médicale : un appui majoritaire

La loi sur l’aide médicale : un appui majoritaire

Un sondage Léger réalisé en 2013 démontre que 66 % des médecins sont en accord avec la reconnaissance de l’aide médicale à mourir comme un soin approprié en fin de vie. Et 84 % des Québécois partagent aussi cet avis, selon un sondage Ipsos de 2014. Malgré de forts appuis, la nouvelle loi, adoptée par 94 voix contre 22 à l’Assemblée nationale du Québec en juin 2014, ne fait pas l’unanimité. 

Le Dr Marc Beauchamp, président du regroupement Vivre dans la dignité, croit que les contestations judiciaires vont survenir rapidement en raison des zones grises de cette législation. « Le plus gros point d’interrogation est ce qu’est la fin de vie, qui n’est pas définie par la loi. Certains ont parlé de deux à trois semaines. Pour plusieurs, c’est six mois. Pour d’autres, c’est deux ans dans le cas d’une maladie dégénérative. Il y a beaucoup de confusion. » 

« Nous croyons que cette loi ne protège pas les plus vulnérables de la société comme le prévoit la Charte canadienne des droits et libertés, notamment ceux qui souffrent d’une maladie mentale. Il y a des gens qui vont être tués par erreur ! Cela s’est produit en Europe. » Sur son site web, Vivre dans la dignité cite ce type de dérapages. En Belgique, des jumeaux auraient été euthanasiés à leur demande parce qu’ils devenaient aveugles. En Oregon, une femme s’est adressée à sa compagnie d’assurance pour le paiement de ses traitements de chimiothérapie. On lui a plutôt offert un suicide assisté. The New England Journal of Medicine rapporte que 1,7 % des euthanasies pratiquées en Belgique en 2013 l’ont été sans consentement explicite. 

Ces arguments ont poussé Vivre dans la dignité et le Collectif des médecins contre l’euthanasie, deux associations qui regroupent plus de 650 médecins et 17 000 citoyens, à déposer une requête judiciaire en Cour supérieure en 2014 pour déclarer invalides les dispositions de la nouvelle loi québécoise. En avril 2015, le recours a été suspendu, le temps que le gouvernement fédéral et les autres provinces répondent à un jugement unanime de la Cour suprême du Canada qui déclare que l’aide médicale à mourir doit être légalisée, mais dans des conditions très strictes. 

« L’aide médicale à mourir va s’étendre graduellement partout au pays, prédit Me Jean-Pierre Ménard. On estime que, chaque année, moins de 2 % des personnes en fin de vie demanderont l’aide médicale à mourir, ce qui représente un maximum de 1 200 décès au Québec. 

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Pour éviter des tragédies ?

Pour éviter des tragédies ?

Yvon Bureau et Ghislain Leblond, fondateurs du Collectif mourir digne et libre, se réjouissent, car ils ont milité pour que cette loi voie le jour.  Ghislain Leblond, 71 ans, se déplace en fauteuil roulant en raison d’une maladie neuromusculaire dégénérative apparue vers l’âge de 18 ans. Il a travaillé comme sous-ministre dans différents ministères fédéraux et provinciaux avant que son mal freine ses ambitions. Il y a sept ans, il est sorti de l’ombre pour revendiquer dans les médias le droit de mettre fin légalement à ses jours, au moment où il le souhaiterait. Puis, il a témoigné en commission parlementaire pour expliquer aux politiciens qu’il pourrait un jour se retrouver paralysé, sans aucune qualité de vie. « Un jour, pour moi, l’aide à mourir pourrait être la solution la plus appropriée. » 

Il est cependant contre le suicide assisté qui, selon lui, ne fait pas partie des soins de fin de vie. D’ailleurs, il ne se sent pas suicidaire, entouré de son épouse qui est sa proche aidante, de ses deux filles et ses petits-enfants, qui viennent le voir souvent. « On a tous peur de mourir, mais on est davantage effrayé par le type d’agonie qu’on pourrait connaître ! Et étant donné la dégénérescence dont je suis l’objet, il est peut-être plus probable que je traverse une agonie que je considérerais inhumaine. À ce moment-là, il n’y a pas de doute dans mon esprit, je me prévaudrais de la loi. » 

Son ami Yvon Bureau défend depuis 30 ans le droit du patient de décider de son sort. « J’ai fait une promesse à mon père de 81 ans lorsqu’il est mort d’un cancer de l’œsophage, en 1984 : ce qu’on lui a fait subir ne se reproduirait plus. Son chirurgien l’a opéré en lui faisant croire que son cancer disparaîtrait peut-être. Mais trois ou quatre jours plus tard, en consultant son dossier, il a compris que c’était impossible. Il m’a confié qu’il ne voulait plus d’acharnement thérapeutique. Il voulait mourir et ne pas avoir à souffrir comme plusieurs de ses amis disparus. » L’octogénaire a été transféré dans un autre hôpital, près de chez lui, et les médecins ont fait en sorte qu’il ne souffre pas jusqu’à son dernier soupir. « Mon père était très croyant et n’aurait probablement pas opté pour l’aide médicale à mourir si elle avait été disponible, mais il aurait dû avoir le droit de choisir le traitement de fin de vie qu’il voulait. » 

Sylvie Coulombe est d’accord. Elle aussi a témoigné devant la commission. À 59 ans, son défunt mari, Laurent Rouleau, était atteint de sclérose en plaques depuis 17 ans. « Je le voyais tomber, pleurer de désespoir, avoir mal. Il se réveillait la nuit, angoissé par son état de santé. Il refusait de vivre dans cet état. Je tentais de le réconforter. Je voulais le garder avec moi, mais je me sentais égoïste, car je savais tout ce qu’il endurait. »

Il avait songé à se rendre en Suisse pour un suicide assisté, mais trouvait que le prix élevé était une façon d’exploiter la souffrance des patients. Il ne voulait pas non plus imposer à sa femme le soin de revenir d’aussi loin, seule, avec ses cendres. Le 8 juin 2010, le lendemain de leur anniversaire de mariage, alors qu’elle était au travail, il est sorti derrière la maison avec une carabine et a réussi malgré son handicap à se tirer deux balles dans le thorax. Agonisant, il a appelé les secours pour que des ambulanciers viennent le chercher. Alertée, Sylvie Coulombe s’est précipitée à l’hôpital où les chirurgiens voulaient l’opérer. « Il était désespéré. Il m’a dit : « je ne suis plus capable de rien faire. Je n’ai même pas réussi à mourir ». Je lui ai demandé : « qu’est-ce que tu veux vraiment ? » Il a répondu : « tu le sais, je veux mourir depuis longtemps ». » Elle a contacté le médecin de famille de son mari qui est intervenu auprès de ses collègues de l’hôpital. Ils ont respecté son désir en lui offrant des calmants et Laurent Rouleau est décédé quelques heures plus tard. « La nouvelle loi ne devrait pas exclure les personnes comme Laurent. S’il avait su qu’il y avait une porte de sortie, ses dernières années auraient été moins angoissantes et son départ moins difficile pour toute la famille ! » 

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La réticence des maisons de soins palliatifs

La réticence des maisons de soins palliatifs

La loi concernant les soins de fin de vie veut aussi offrir une autre option, en développant les soins palliatifs. Il s’agit de soulager la souffrance physique et psychologique au moment où il n’y a plus aucune chance de guérison, mais sans hâter ni retarder la mort. Apparus au Québec dans les années 1970, ces soins ne sont pas proposés partout. Seulement de 20 % à 60 % des besoins seraient comblés, selon les régions. Le Collège des médecins se veut rassurant. « Tous les pays qui ont légiféré sur les soins en fin de vie ont connu un essor des soins palliatifs », note le Dr Yves Robert. 

La Dre Geneviève Dechêne suit régulièrement 60 patients en soins palliatifs à domicile, dans l’arrondissement Verdun, à Montréal. Elle se réjouit de l’engagement pris par l’Assemblée nationale. « Nous sommes 20 ans en retard sur l’Europe ! Les nouvelles directives signifient que de plus en plus de médecins devront pratiquer à domicile pour accompagner les patients en fin de vie, parce que c’est ce qu’ils souhaitent. » 

Au Québec, 9,7 % des personnes atteintes de cancer susceptibles de bénéficier de soins palliatifs meurent à domicile alors que 80 % d’entre elles auraient voulu qu’il en soit ainsi. Selon le ministère de la Santé, plus de 20 000 personnes ont reçu des soins palliatifs à domicile en 2013-2014. Près de 16 000 ont été admises dans les unités de soins palliatifs des hôpitaux et environ 3 700 dans des maisons de soins palliatifs financées en partie par le gouvernement du Québec. Impossible de savoir combien de personnes n’ont pas eu accès à ces soins. Avec le vieillissement de la population, il y aura de plus en plus de décès et tous les établissements de santé, dont les hôpitaux et les CHSLD, ont désormais l’obligation d’offrir un programme clinique en fin de vie, incluant les soins palliatifs et l’aide médicale à mourir. Pour les aider, Québec investira annuellement 10 millions de dollars durant les deux prochaines années. 

Les 29 maisons de soins palliatifs, elles, ont le choix de prodiguer ou non l’aide médicale à mourir. Les directions de ces maisons ont fait front commun pour annoncer qu’elles ne pratiqueront pas l’euthanasie, s’attirant les foudres du ministre de la Santé, Gaétan Barrette. « J’ai du mal à concevoir que, pour des raisons idéologiques, ils ne permettront pas à des personnes en fin de vie de recevoir l’aide médicale à mourir », dit le ministre. Depuis, la maison Aube Lumière de Sherbrooke a fait volte-face, et permettra à ses médecins d’agir de façon exceptionnelle. 

« On ne fait pas d’avortements dans des maisons des naissances, alors comment expliquer qu’on doive offrir l’aide médicale à mourir dans une maison de soins palliatifs, réplique la Dre Christiane Martel, qui pratique à la maison Victor-Gadbois de Saint-Mathieu-de- Belœil, en Montérégie. Nous ne sommes pas contre le principe de l’aide médicale à mourir, mais ce n’est pas dans notre champ de compétence. La philosophie des soins palliatifs est de soutenir la vie jusqu’à la fin.» 

Comme plusieurs de ses collègues, elle a une autre inquiétude. « Les maisons de soins palliatifs sont de petits milieux de 4 à 20 lits. Les familles se côtoient. Imaginez si elles apprennent que nous donnons l’aide médicale à mourir dans une chambre alors que, dans une autre, une grand-maman de 82 ans a peur qu’on lui enlève la vie de la même manière. Il n’y a pas de cohabitation possible. » Elle souhaite que, pour sa région, une équipe mobile de médecins acceptant de pratiquer l’aide médicale à mourir soit désignée pour aller à domicile, à l’hôpital ou dans les CHSLD. 

Le Collège des médecins juge qu’en moyenne un tel acte sera pratiqué moins d’une fois par an pour les médecins qui accepteront de le faire. En Belgique, un problème est apparu : plusieurs personnes n’ont pu obtenir d’euthanasie en raison du manque de médecins prêts à les accompagner. Cela est dû à l’objection de conscience. En Belgique comme au Québec, un médecin peut, comme le prévoit le code de déontologie, ne pas fournir des services pour des convictions personnelles, morales ou religieuses. Il doit cependant veiller à ce que la continuité des soins soit assurée au patient par un autre médecin. Cela s’appliquera aussi à l’aide médicale à mourir. 

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« Les gens veulent avoir le choix »

« Les gens veulent avoir le choix »

L’urgentologue Alain Vadeboncœur, de l’Institut de cardiologie de Montréal, se dit prêt à proposer l’aide médicale à mourir dans son établissement. « Récemment, un patient avec une démence très avancée est venu aux urgences. Après avoir discuté avec sa famille, on a décidé de ne rien faire pour son problème cardiaque et on l’a ramené dans son CHSLD. Pour moi, c’est un geste presque aussi actif que d’injecter un produit mortel ! » 

« La loi vient normaliser quelque chose qui se pratiquait déjà quelques fois dans les dernières heures de vie. La seule chose qui change c’est qu’on va en parler ouvertement », renchérit le ministre Gaétan Barrette. 

Au cours des deniers mois, le Collège des médecins a donné des séances d’information et produit un guide d’exercices pour bien informer ses membres sur la marche à suivre. Comme le patient doit être en fin de vie pour faire une demande d’aide médicale à mourir, il ne peut pas indiquer ce souhait dans un testament ni dans une directive anticipée comme cela existe pour des arrêts de traitements médicaux (le patient dément est aussi exclu). Il doit faire une demande à l’aide d’un formulaire qu’il doit signer devant un professionnel de la santé qui le contresigne et le remet ensuite à son médecin traitant pour confirmer sa décision, mais peut en tout temps la retirer ou la reporter. Le médecin traitant décide ensuite s’il accepte ou non de procéder. S’il refuse, la direction de l’établissement se charge de trouver un autre médecin. S’il est d’accord, il s’assure que la personne satisfait à tous les critères, puis sollicite une seconde opinion médicale. 

« Les gens veulent avoir le choix, affirme le ministre Barrette, qui a fait adopter la loi qui, selon lui, évoluera avec le temps et selon les désirs de la société. Soyez rassurés : personne ne va se précipiter pour obtenir l’aide médicale à mourir. » 

« En 30 ans de carrière, se souvient la Dre Geneviève Dechêne, seulement deux patients m’ont demandé de les euthanasier. Le premier avait une maladie pulmonaire. Il voulait se rendre en Suisse, mais est mort avant dans un hôpital. L’autre avait 51 ans et une tumeur au cerveau. Ses jambes étaient paralysées. Il avait de la difficulté à parler, mais ses capacités intellectuelles n’étaient pas altérées. Je lui ai expliqué que je pouvais le soulager avec la sédation palliative continue. Il s’est senti rassuré de savoir qu’il avait ce choix, mais n’en a jamais fait la demande. » Au cours des six derniers mois de sa vie, tous les élèves adultes de ce professeur d’arts martiaux se sont relayés à son chevet pour alimenter son poêle à bois et faire ses repas. « Avant de mourir, il m’a confié avoir vécu les plus beaux six mois de sa vie. Six mois d’amour pur. C’est rare que l’on ait autant de beaux moments en fin de vie. L’homme a vraiment été choyé », dit la Dre Dechêne. 

« Tout comme lui, il ne faut pas penser que tous les patients vont vouloir mettre fin à leurs jours avant la fin, au contraire. » Mais certains choisiront d’en finir autrement. C’est ce qu’a fait Jocelyne Sauvé, qui nous a quittés à l’aéroport Montréal- Trudeau. « Je n’ai pas peur, avait-elle confié. Mais j’ai de la peine, parce que je laisse mes enfants, mes amis, ma famille, et parce que je suis obligée de m’exiler pour aller trouver une certaine sérénité, pour mourir. » 

Elle n’est jamais revenue sur sa décision comme le font 70 % des personnes qui se rendent chez Dignitas, en Suisse. Elle est décédée par suicide assisté quatre jours après son départ. Sa sœur et son fils l’ont regardée s’endormir à tout jamais, puis sont revenus, le cœur en peine, avec son fauteuil roulant vide. Ses cendres ont été expédiées dans un colis un mois plus tard et son urne funéraire enterrée avec celle de son mari au cimetière Saint-Louis-de-Gonzague, en Montérégie, par une journée nuageuse d’octobre, en présence de quelques membres de sa famille qui ne pourront jamais oublier ses dernières paroles : « J’ai atteint mon but. » 

NDLR : Au moment de mettre sous presse, nous apprenions que la Cour supérieure du Québec suspendait l’entrée en vigueur de la Loi concernant les soins de fin de vie, au moins jusqu’en février. 

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