Sélection se souvient: entretien avec le cardinal Turcotte 

Faut-il s’inquiéter de l’avenir de l’Église? Nous avions posé la question il y a de cela près de 15 ans au cardinal Jean-Claude Turcotte, décédé le 8 avril dernier à l’âge de 78 ans. Nous vous présentons des extraits de notre entretien avec l’ancien archevêque de Montréal, mené à l’époque par notre journaliste Stéphane Baillargeon.

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Sélection se souvient: entretien avec le cardinal Turcotte 

Votre Éminence, vous estimez que la croyance en un Créateur est toujours nécessaire et qu’elle gagne du terrain à travers le monde. Mais pourquoi croire en Jésus-Christ aujourd’hui?

Ma foi en Dieu est dépendante de ma foi en Jésus. Dieu peut être nommé de diverses manières : Yahvé, Allah, Vishnou…

On se le représente souvent comme une notion abstraite, une force lointaine, voire qui fait peur.

Grâce à Jésus, nous avons la chance, nous chrétiens, de pouvoir croire en un Dieu à la portée de la connaissance humaine. Le Dieu des chrétiens s’est fait l’un des nôtres. Nous pouvons l’apprivoiser, le comprendre, l’étudier dans son époque. Une des phrases de l’Évangile de saint Jean m’a toujours frappé ; c’est celle où Jésus dit : « Je suis la voie, la vérité et la vie ; nul ne parvient au Père qu’en passant par moi. » 

Mais il n’est pas fait mention de l’Église dans ce verset. Pourquoi une institution comme la vôtre serait-elle nécessaire pour « parvenir » à Dieu?

D’abord parce que Jésus l’a voulue. Il a laissé aux hommes le soin de bâtir cette Église, c’est-à-dire la grande famille de ceux qui s’inspireraient de son message. L’Église a connu des développements de toutes sortes, des périodes heureuses et malheureuses. Mais on peut dire qu’à travers les siècles jamais cette institution n’a failli complètement. Elle est capable de rebondir, d’admettre ses erreurs, de se réorienter.

Être chrétien, c’est se poser des questions. En outre, la communauté des croyants offre d’extraordinaires exemples de la valeur du message du Christ. Je pense à saint Vincent de Paul, qui fut une sorte de ministre des Affaires sociales en France, sous Louis XIII. Ici même, j’admire Marguerite d’Youville, Marguerite Bourgeoys. Plus près de nous, on peut citer l’exemple de Martin Luther King. 

Jugez-vous que l’Église vit actuellement une période faste?

Sur certains plans, sûrement pas. Surtout au Québec, où la pratique est en chute libre. L’Église, autrefois omniprésente dans la société, est devenue une institution plus ou moins marginale. Mais sa véritable influence ne vient pas de là.

L’essentiel est encore et toujours de porter la parole du Christ, aujourd’hui, dans notre société. Et je ne suis pas déçu de la situation de l’Église contemporaine. Une mère Teresa à Calcutta, une petite sœur de Montréal qui s’occupe des sidéens me semblent des témoignages remarquables, qui vont influencer les gens, les inciter à la réflexion, les amener à faire des gestes d’amour, de partage, d’entraide et de justice. Je crois que l’avenir de l’Église est là, dans ces exemples. 

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Comment concilier cet idéal et certaines discriminations que l’on retrouve au sein même de l’Église ? Comment parler de partage et de justice alors que la hiérarchie catholique est entièrement masculine?

J’avoue ne pas avoir de réponse à cette question. Pendant des siècles, dans l’Église comme dans la société, on a refusé aux femmes le droit à l’égalité. Historiquement, les rôles liturgiques ou pastoraux ont été surtout tenus par des hommes. Nous devons donc rechercher de nouvelles façons de faire une place aux femmes. Actuellement, dans 95% des cas, ce sont elles qui transmettent la foi. Il existe au moins cinq agentes de pastorale pour un homme. C’est un rôle capital.   

Selon vous, quel est le principal défi que doit relever l’Église aujourd’hui?

Il ne reste plus à l’Église que le petit territoire du Vatican, mais je suis convaincu qu’au fond, c’est la plus grande grâce qui lui ait été offerte. Le pape n’est plus un roi : c’est un leader moral. Et c’est très bien ainsi. L’Église doit apprendre à devenir une institution sans pouvoir terrestre, mais influente par son témoignage. Au Québec, il fut un temps où elle était très puissante, contrôlant les hôpitaux, les écoles, etc.

Nous avons délaissé tous ces lieux, mais bien des Québécois ont encore cette image en tête. L’Église doit s’effacer et, en même temps, revenir aux enseignements de son fondateur. Cette situation nouvelle va engendrer des types de chrétiens très différents. Autrefois, les Canadiens français étaient catholiques par habitude. Désormais, les chrétiens doivent devenir le sel de la terre, donner aux autres l’envie de se regrouper et de partager. Le fossé entre les pauvres et les riches s’agrandit ; les chrétiens peuvent contribuer à changer cette situation.

Dans une ville comme Montréal, ils peuvent aider à rapprocher les groupes ethniques. C’est le rôle des croyants et de l’Église de prendre le parti des plus pauvres, des délaissés. Le Christ n’est pas venu sur terre pour les bien-portants, mais pour les malades et les exclus. 

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