Aliénation parentale : L’enfance en otage

La séparation donne parfois lieu à de terribles affrontements où l’un des parents décide littéralement de rayer l’autre de l’arbre généalogique. Une éviction dont les enfants sont bien sûr les premières victimes.

Julie apprend peu après que ses deux fils de 13 et 15 ans voyaient une travailleuse sociale du CLSC depuis plusieurs semaines. Que son mari, à qui elle avait annoncé son intention de le quitter, avait signalé qu’elle maltraitait ses enfants et avait sournoisement monté ceux-ci contre elle. « Quelques jours plus tôt, mes fils venaient se blottir contre moi le soir pour regarder la télé et, là, ils me demandaient de sortir de leur vie. »

Illustration d'une petite fille triste.GENEVIÈVE CÔTÉ

Séparation conflictuelle, dénigrement, chantage affectif, menaces, déni de justice, fausses accusations, mépris, le fléau de l’aliénation parentale, heureusement assez rare, bouleverse l’existence des enfants comme celle des parents rejetés. L’aliénation se distingue des aléas d’une séparation douloureuse quand l’enfant « n’a plus d’affect ni de bons souvenirs de l’autre parent, observe Lorraine Filion, travailleuse sociale et médiatrice familiale. L’aliénation est avérée lorsqu’il ne veut plus voir son père ou sa mère sans raison valable. »

Dans cette guerre qui n’en finit plus, le parent aliénant montre qu’il est « plus immature que ses propres enfants et bien décidé à faire la peau à l’autre parent », écrit Christel Petitcollin dans Enfants de manipulateurs: comment les protéger ? « On les croit fragiles et vulnérables alors qu’ils sont indestructibles et qu’ils retombent toujours sur leurs pattes, mais ils savent obtenir la pitié de l’entourage au point qu’on en oublie qui sont les vraies victimes. »

Émue par deux parents qui lui ont raconté leur parcours de combattants, la documentariste Karina Marceau a réalisé Dictature affective en 2012. Il lui a fallu trois ans pour mettre en confiance les victimes qu’elle a filmées à visage découvert. On y voit Patrick, qui a longtemps rejeté sa mère et dénigré ses parents. Et Luc, qui a retrouvé la garde de ses deux filles, meurtries par des années de déchirement. Après avoir persuadé ses enfants que leur père était un agresseur, leur mère s’est suicidée en laissant ces mots terribles : « Échec et mat! »

Dans ces histoires, tout le monde souffre, explique Karina Marceau. Il est vrai que les méfaits de l’aliénation parentale sont terribles, et vont parfois jusqu’au «drame familial». Surtout si les parents aliénants ont des troubles de la personnalité ou des problèmes de santé mentale, généralement non diagnostiqués, souligne Lorraine Filion.

«N’oubliez jamais que votre enfant est la victime dans ces situations. Il est tout à fait normal d’éprouver de la frustration ou même de la colère, mais gardez en tête qu’il est manipulé pour vous détester ou vous craindre », dit Caroline Paradis, fondatrice de l’association Carrefour aliénation parentale Québec (CAP-Québec) et du site alienation parentale.ca, une mine d’or où parents et grands-parents partagent leur peine, leurs déboires, leur indignation et leurs victoires.

«Si vous avez encore accès à vos enfants, et malgré les difficultés que leurs comportements peuvent vous donner, n’exprimez aucune émotion négative en leur présence, continue-t-elle. Soyez le parent positif et constructif de l’histoire. » Et, rappelle-t-elle, si l’enfant refuse tout contact malgré les tentatives de résolution, «l’amour inconditionnel demeure le seul critère qui devrait animer vos actions sur le chemin des retrouvailles ».

Encore plus que les parents rejetés, les enfants sont les premières victimes de l’aliénation parentale. «Un enfant blessé dans son intégrité ne cesse pas d’aimer ses parents, écrit Jesper Juul, thérapeute danois, dans Me voilà.

Qui es-tu? Il cesse de s’aimer lui-même.» Ce qui n’empêche pas le parent rejeté de se sentir détesté, et à force de recevoir des coups, de finir par s’effacer. Lorraine Filion recommande plutôt de «mettre son ego dans sa poche, et surtout de ne pas baisser les bras ». Elle invite les parents rejetés à se manifester avec ce qui leur manque le plus : patience, tolérance, retenue, et impartialité. «Vous avez le droit, et le devoir, de vous présenter par exemple au match de hockey, à la remise de diplôme de votre enfant, au premier jour d’école ou aux rencontres avec le professeur. Les bons souvenirs sont peut-être effacés, mais ils existent… il faut les raviver. Il faut que votre enfant sache que vous ne l’avez pas oublié et que vous l’aimez toujours autant.»

Un simple texto suffit à faire du renforcement positif continue-t-elle: «Bonjour, ma chouette, je te souhaite une belle journée, j’ai reçu ton bulletin scolaire, je suis fier de toi.» Il peut être utile également de consulter un professionnel pour mieux gérer la séparation, jusqu’à ce que les petits, parfois devenus grands, reviennent dans le nid. «Je vous aimerai toujours et à jamais, peu importe vos agissements à toi et papa», écrit sur le site alienationaparentale.ca Kim, une jeune femme dont l’enfance a pourtant été happée par les conflits entre une mère aliénante et un père rejeté.

«Croyez-en la vérité, même si c’est difficile, tenez-vous debout aussi droit que possible. Suivez votre instinct. Alimentez votre dossier, préparez votre preuve, soyez honnête et affirmé. Fixez votre objectif et ayez toujours en tête l’intérêt de vos enfants », conseille Mylène qui, avec son avocate, a obtenu une énième ordonnance intérimaire pour la garde exclusive de ses deux petits. Depuis sept ans, elle tente de les protéger de leur père qui, outre ses problèmes d’alcool, ne respecte pas les jugements ni les accès supervisés.

«Les procédures sont très longues et nous coûtent des dizaines de milliers de dollars, car le poids de la preuve repose sur nous », déploret-elle en dépit de ses succès.
Au-delà de ces coûteux méandres judiciaires, l’avocate Sophie Gauthier, qui se spécialise à Québec en droit de la famille depuis 24 ans, demeure optimiste et créative. Elle rappelle que le rôle de l’«avocat guerrier» est depuis longtemps dépassé, et insiste sur l’enrichissement du lien familial: «Des lettres, des rappels annuels, des bons anniversaires et des joyeux Noëls sauront peut-être trouver écho plus tard dans le cœur de ces enfants perdus.»

Il est vrai que la patience finit parfois par abattre des montagnes. Julie n’a pas revu ses enfants pendant un an. Elle leur téléphonait toutes les semaines, envoyait des textos, mais ils ne répondaient jamais.

«Leur père me disait que tout allait très bien, mais qu’ils ne voulaient pas me parler.» Ayant appris que son aîné allait mal, elle lui a offert son aide, sa présence. Après des mois de silence, il lui a écrit pour lui dire que les deux garçons voulaient la rencontrer.

«Cela s’est passé chez mes parents, raconte-t-elle. Nous étions un peu mal à l’aise, comme si on se rencontrait pour la première fois, mais mes enfants me souriaient et me parlaient d’eux. On a même eu quelques fous rires. » En avril 2018, cela fera un an que le plus grand est retourné vivre avec sa mère, et les relations avec le plus jeune sont en voie de normalisation. «L’amour réussit toujours à trouver sa voie lorsqu’on arrive à mettre de côté les ego », conclut Julie.