Histoire vraie: Un kilomètre à la fois

Lorsqu’une maladie rare lui vole l’usage de ses jambes, la Québécoise Kimberley Kotar se jure que rien ne l’empêchera de courir à nouveau.

1 / 3
Histoire vraie: Un kilomètre à la fois

Les bureaux de recherche en médecine génétique sont déserts en ce 14 mars 2006, à l’Hôpital général de Montréal. Pas de chercheurs, ni d’étudiants. Seule Kimberley Kotar est présente, debout devant la photocopieuse. La coordonnatrice de recherche clinique de 36 ans se dépêche de terminer sa tâche pour aller dîner. Elle ramasse ses feuilles et s’apprête à retourner à sa table de travail.

Mais ses jambes refusent d’obéir. Rien ne bouge, l’athlétique blonde est clouée sur place.

«Mon Dieu, mais qu’est-ce qui se passe?» Tout de suite, Kimberley pense à son entraînement intensif pour le marathon d’Ottawa, qui se tiendra dans deux mois. Elle ressent depuis quelques semaines une étrange perte de force dans ses quadriceps et parfois, un picotement. Je m’entraîne trop, pensait-elle, en ne se souciant pas trop de la sensation.

Kimberley tâte ses cuisses; sa jambe gauche est complètement engourdie, comme gelée. Elle a l’impression de toucher à quelqu’un d’autre! Et sous ses pieds, perte de sensation totale. Elle ne sent plus ses orteils… Kimberley est paralysée des pieds à la taille, sans personne pour lui venir en aide.

Une étrange panique s’empare de la jeune femme. Au lieu de crier à l’aide, ou de ramper vers un téléphone, elle reste figée sur place. «Quelque chose cloche. Je dois aller voir un médecin», pense-t-elle, sans tenter de bouger pour autant.

Après de longues minutes, une chaleur se fait sentir dans sa jambe droite. Kimberley parvient à la bouger, juste assez pour faire un pas. Elle agrippe ensuite sa jambe gauche et la tire péniblement vers l’avant. Puis elle recommence le manège, jusqu’à ce qu’elle -atteigne l’ascenseur situé à quelques mètres de la photocopieuse. Kimberley a de la chance: la salle d’urgence est tout près, 13 étages plus bas.

«C’est juste un nerf coincé.»  L’hypothèse émise par l’urgentologue qui l’a examinée ne tient pas la route, croit Kimberley. Pourquoi rencontrer quatre médecins en moins de-24h pour un simple nerf coincé? Et pourquoi obtenir un test d’imagerie par résonnance magnétique (IRM) en quatre jours, alors que les listes d’attente pour ce type d’examen -sont de plusieurs semaines?
Derrière toutes ces questions s’en cache une autre: pourra-t-elle continuer à courir? Kimberley repousse cette sombre pensée tandis qu’elle attend le diagnostic dans un cabinet, après l’éprouvante IRM.

«Vous êtes chanceuse, lance le neurologue en entrant dans la salle. J’étais presque certain que vous aviez une tumeur, mais je me suis trompé.» C’est toutefois la seule bonne nouvelle.

Kimberley a trois points d’inflammation sur la moelle épinière qui -empêchent les influx nerveux d’atteindre les muscles de ses jambes. Ces zones, appelées plaques, provoquent la paralysie. Finie la course à pied, finis les marathons; elle pourrait avoir besoin d’un fauteuil roulant ou de cannes pour le restant de ses jours.

«Est-ce la sclérose en plaques? -demande Kimberley, dévastée.
-C’est une possibilité, répond le médecin, mais nous devons faire d’autres tests avant de formuler un diagnostic. Pour l’instant, vous devez vous reposer. Ce sera votre responsabilité pour le prochain mois.»

Crédit photo: Denis Beaumont

2 / 3

Tous les matins, Kimberley commence sa journée devant le miroir. «Qu’est-ce que tu vas faire aujour-d’hui? lance-t-elle à voix haute à son reflet. Tu vas te battre! tu vas récupérer ta vie!» Pour l’instant, combattre -signifie se reposer. Cela ne l’empêche pas de se rendre presque quotidiennement au gymnase pour y faire des exercices. Au début, ce sont de simples mouvements. Plus tard, elle utilise de petites charges pour renforcer les muscles de ses membres inférieurs. «Je ne passerai pas le reste de ma vie dans un fauteuil roulant», se promet-elle.

Les jours passent, puis les -semaines, et Kimberley reprend lentement le contrôle de ses jambes. Elle marche à nouveau, mais avec difficulté. Le 18 mai, jour de son anniversaire, elle décide de se fouetter un peu. Elle se fixe un nouvel objectif. Un objectif ambitieux. «Je vais courir le demi-marathon de Montréal en septembre», annonce-t-elle à une amie au téléphone. «Quoi! Tu es folle; tu marches à peine!» s’exclame la voix au bout du fil.

À peine, mais assez pour faire le tour du pâté. Chaque jour, les promenades de Kimberley s’allongent un peu plus. Elle parvient même à courir quelques secondes. Mais elle éprouve maintenant une vive sensation de brûlure persistante dans sa jambe gauche, qu’elle soit au repos ou non. Jogger 500 mètres serait déjà un exploit dans sa condition. Franchir les 21 kilomètres d’un demi-marathon relèverait du -miracle! Son amie aurait-elle raison?

En juillet, deux mois avant la course, Kimberley consulte son -médecin de famille, George Tsoukas, pour discuter des résultats d’une récente IRM. Les nouvelles sont «bonnes»: ce n’est pas la sclérose en plaques et son état semble stable.
Les neurologues sont parvenus à mettre un nom sur la maladie qui l’affecte: myélite transverse, un trouble neurologique rare aux causes souvent inconnues. Elle a une chance sur trois de voir son mal rester stable, s’améliorer ou devenir dégénératif dans les cinq ans suivant le diagnostic.

Un brin hésitante, la jeune femme dévoile à George sa volonté de courir le demi-marathon. Le docteur, qui la soigne depuis qu’elle a 20 ans et la connaît bien, sent qu’elle doute de ses capacités. Alors qu’elle s’apprête à quitter son cabinet, il l’interpelle:
– Kimberley?
– Oui?
– Si tu y crois, rien ne pourra t’arrêter.

Le 10 septembre 2006, Kimberley termine le demi-marathon de Montréal en 22e position, devant 121 autres coureuses sans handicap.
En 2008, deux ans après la paralysie soudaine de Kimberley, aucun signe d’inflammation supplémentaire n’est apparu. Encore trois longues années devront s’écouler avant que Kimberley soit certaine de ne pas souffrir d’une forme dégénérative de la maladie. Fait encourageant, désormais, elle marche presque toujours normalement et a complété 11 demi-marathons. Mais ses douleurs aux jambes n’ont pas disparu.

Crédit photo: Denis Beaumont

3 / 3

Assise dans sa cuisine, Kimberley réfléchit aux deux années écoulées. Elle a besoin de nouveaux défis pour la motiver dans son dur combat contre la myélite transverse. «Maintenant, je passe aux choses -sérieuses», pense-t-elle en notant un nouveau plan d’entraînement sur une feuille. L’objectif, le marathon de Montréal. Les 42,2 kilomètres -complets cette fois.

Quatre mois et demie plus tard, elle se trouve sur la ligne de départ avec -1300 marathoniens. Le signal est donné, Kimberley s’élance, confiante, mais la douleur ne tarde pas à la -rattraper. À chacun de ses pas, la sensation de brûlure dans sa jambe droite se fait plus violente et sa jambe gauche perd de la force musculaire. «Un kilomètre à la fois. Un kilomètre à la fois», se répète la -marathonienne continuellement, comme un mantra.

Après 3 heures et 30 -minutes, le mât du stade olympique apparaît enfin à l’horizon. Kimberley ne le quitte plus des yeux; à son pied se trouve le fil d’arrivée. Et bientôt la délivrance. Encore douze kilomètres -à parcourir. Plus que trois. Deux. Un. À –50 mètres du but, la coureuse lève les bras au ciel et pousse un long -cri de soulagement et de fierté.

Pour Kimberley Kotar, cette course représente beaucoup plus qu’une victoire sportive. C’est un véritable pied de nez à la myélite transverse. Désormais, Kimberley sait qu’elle pourra surmonter tous les défis auxquels elle s’attaquera.

Le prochain défi ne se fait pas attendre. Peu d’information demeure disponible en ligne sur la myélite transverse et aucune organisation n’aide les Canadiens atteints de cette maladie. Kimberley a été invitée à partager son histoire auprès des membres d’un organisme américain consacré à la myélite transverse.

«Une association de patients… Qu’est-ce qui m’empêche de faire la même chose chez nous?» se demande-t-elle un jour. Rapidement, son idée prend forme et elle lance, en 2010, l’Association canadienne de myélite transverse pour fournir de l’information sur la maladie et permettre aux gens qui en souffrent d’échanger entre eux.

Aujourd’hui, plus de six ans après sa paralysie soudaine, l’état de Kimberley demeure stable. Malgré la douleur, elle cumule les marathons, dont celui de Boston, l’une des courses les plus prestigieuses au monde.

Son combat contre la maladie est terminé. Elle a récupéré sa vie. Et surtout, pense-t-elle avec fierté, elle a semé la myélite transverse, qui est restée à des centaines de kilomètres derrière elle.

Crédit photo: Denis Beaumont

Newsletter Unit