Deuil: 7 écrivains évoquent la fin d’un proche

Pour mieux apprivoiser le deuil, 7 écrivains racontent dans un fabuleux récit le récit les derniers moments de la vie d’un être cher.

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Idée romantique : porter un toast à votre amour.
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Un toast touchant

Mon mari était mourant. Cette intelligence et cet esprit dont notre amour s’était nourri pendant près de 60 ans luttaient pour se libérer de son corps. Il était parfois possible de l’atteindre. Je cherchais ces ouvertures le matin quand je lui demandais son nom. Il lui arrivait de répondre. Un jour où il m’a dit son nom, j’ai enchaîné:
«Et moi, comment je m’appelle?
— Hum… Je ne me souviens pas très bien.
— Pat Clarke, ai-je répondu.
— Oh! nous avons le même nom.
— Oui, parce que je suis ta femme.
— Ça alors! Ça vaut un toast!»

Il est mort 15 jours plus tard. Je ne sais plus s’il a parlé après ce bref échange. L’infirmière nous encourageait à lui dire des choses. L’ouïe est le dernier sens à disparaître, disait-elle.

Nous l’avons inondé de notre amour et de notre reconnaissance d’avoir été là. À la fin, quand la respiration s’est faite plus laborieuse, notre fille a insisté: «Ça va aller, papa. Tu peux lâcher prise.» Et il l’a fait.
C’étaient les dernières paroles, mais ce ne sont pas celles que je chéris. «Je suis ta femme», avais-je dit. Et il avait répondu: «Ça alors! Ça vaut un toast!»
— Patricia Clarke, Toronto

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Faire son deuil: le téléphone a sonné, il a pu avoir une dernière conversation avec sa mère.
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Un temps profitable

Et si…? Deux petits mots qui peuvent être chargés de regrets. Et si je lui avais dit que je l’aimais? Et si je lui avais dit que je l’admirais? Et si j’avais eu le temps de lui dire adieu. Mais ce n’est pas toujours aussi grave qu’on croit.
L’histoire que je vais raconter remonte à l’époque où j’étais éditeur. À la maison d’édition, j’avais la réputation d’avoir la bougeotte. Je n’entrais pas dans mon bureau, je le traversais au pas de charge, je bondissais dans le couloir – partout où me poussait mon énergie. Je disais que ça m’aidait à penser. Me joindre au téléphone relevait du miracle.

Mais un mardi matin, ça s’est passé autrement. Vers 11h, je venais de mettre un point final à un livre pour enfants qui m’avait occupé trois mois. Tout était bouclé – la relecture des épreuves, les diagrammes, les illustrations. J’étais dans mon bureau, savourant ce moment que j’appelle parfois mes «vacances intérieures» (une journée ou deux avant de reprendre un nouveau projet et durant lesquelles je ne fais pas grand-chose).
Le téléphone a sonné. Ma mère. Pour une fois, elle avait réussi à me joindre et, pour une fois, j’avais le temps de parler. Alors nous avons parlé. Du livre, de la routine à la maison, de son adaptation dans sa nouvelle résidence pour personnes âgées, à Ottawa. Juste un autre épisode de cette longue conversation qu’elle et moi entretenions depuis avant même que je ne sache m’exprimer. Le lendemain, elle a été hospitalisée. Jeudi, elle était inconsciente. Dimanche, elle est morte.

Alors, et si…? Et si je n’avais pas terminé ce livre? Et si je n’avais pas été dans mon bureau? Et si je n’avais pas eu le temps de lui parler? Une minute avant ou après et qui sait? Nous n’aurions peut-être pas eu cette dernière conversation. Nous n’avons rien dit de très profond – c’est le dialogue, pas le contenu, qui compte. Et je lui en suis reconnaissant.
— Ian Coutts, Kingston

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Le vinaigre peut servir à polir des ciseaux.
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Les gestes ont plus de poids

J’aime me souvenir de la prédilection de mon oncle Len pour les pulls à col roulé rouges et son caractère audacieux – l’urne contenant ses cendres est un aigle somptueusement sculpté posé sur une pierre, tout à fait son style. Mais je n’aime pas me rappeler ce que j’ai dit la dernière fois que nous l’avons vu, des mots vides qui semblent encore plus regrettables aujourd’hui: «Comment est la pêche blanche, cette année?»; «On te reverra à Noël!»; «Merci de nous avoir reçus».

Il était alors évident qu’oncle Len serait emporté par le cancer, mais j’aimais m’illusionner sur l’effet salutaire des paroles creuses. Sur le moment, elles me soulageaient du poids de l’insoutenable, mais aujourd’hui, je déplore de n’avoir que des banalités en souvenir de nos derniers échanges. Alors plus qu’aux mots, je songe aux gestes.

À notre dernière rencontre, juste quand nous allions enfiler nos manteaux pour rentrer à la maison, oncle Len a décrété qu’il avait les cheveux trop longs et décidé que mon mari Robb et moi allions les couper. Comment réagir autrement à une telle demande qu’en s’exécutant? Alors nous l’avons fait, munis de ciseaux de cuisine et d’un verre en plastique jaune pour récupérer les cheveux coupés.
Disons que le résultat n’était pas trop mauvais. Mais mon oncle était tellement heureux que notre départ, ce jour-là, n’a pas été aussi pénible que d’habitude.
— Chantal Braganza, Toronto

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Denise se rappelle du chandail en coton ouaté de son fils, dont elle a fait le deuil.
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Geste de tendresse

Des mèches blondes sortaient de la casquette de mon adolescent. Debout dans l’entrée, nous débattions de notre sujet préféré: il n’était pas habillé chaudement. C’était le 27 mars 1998 et Ryan portait un tee-shirt qui pendait sur son jean ample.
«Mets ton coton ouaté, s’il te plaît», ai-je demandé. Ryan a eu un sourire narquois pour signifier que j’exagérais. Il lui suffisait parfois d’un regard pour exprimer les choses.

Je ne supportais pas l’idée que mon fils ait froid et j’avais peur qu’il tombe malade. Peut-être à cause des neuf semaines où j’avais dû m’occuper de lui par les hublots d’un incubateur. Il pesait à peine deux kilos à la naissance et avec ses petites jambes rachitiques, il ressemblait à un oisillon. Dix-huit ans plus tard, il mesurait 1,85 m, avait une épaisse tignasse et chaussait du 11.
Ryan a vu que je ne lâcherais pas et a fini par plier. Il est ressorti vêtu d’un chandail Wind River marine qui, comme presque tous ses vêtements, aurait pu en contenir deux comme lui.

«Merci», ai-je glissé en l’embrassant sur la joue. Il s’est engagé résolument dans l’allée, j’entendais le frottement de son jean. «Je t’aime», ai-je lancé. Il s’est retourné. La casquette masquait en partie ses yeux, mais je voyais son sourire timide. Je l’ai regardé s’éloigner dans la nuit.
Quelques heures plus tard, deux agents de police sonnaient à ma porte pour m’annoncer que mon fils était mort dans un accident. Il portait un chandail en coton ouaté Wind River marine, ont-ils dit.
— Denise Davy, Hamilton

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Les maladies prédites par les mains: Parkinson.
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Une leçon pour la vie

C’était en février 1990. Le téléphone a sonné chez nous, à Calgary. C’était mon père. Il a commencé par dire: «Il ne faut surtout pas s’inquiéter», ce qui, en langage paternel, signifiait au contraire qu’il y avait de sérieuses raisons de paniquer.
Il s’agissait de ma mère. Les médecins avaient trouvé quelque chose qui, ils en étaient convaincus, n’était pas «important». Elle avait eu un cancer du sein 25 ans plus tôt et je n’étais pas rassuré. Malheureusement, ma crainte s’est révélée fondée. Le cancer était revenu et, cette fois, sous forme de métastases au foie.

Avec ma femme et ma jeune fille, nous avons fait le voyage de Calgary à Toronto le plus souvent possible et avons vu ma mère s’étioler lentement. Un jour de juin cette même année, le téléphone a sonné alors que nous venions de rentrer de Toronto. Il fallait revenir au plus vite, la fin approchait.
À l’hôpital, ma mère m’a saisi la main quand je me suis assis à son chevet. Elle m’a parlé avec une insistance et une force que je ne lui soupçonnais plus. «Je t’ai donné la vie pour vivre, maintenant, va la vivre.» Elle est morte un peu plus tard cette nuit-là.

Ses dernières paroles ont fondé tout ce que j’ai fait comme pasteur, écrivain, militant et père. Je les ai transmises à mes deux filles que j’ai encouragées à poursuivre leur vocation avec passion et énergie. Vingt-neuf ans plus tard, je crois avoir été fidèle à l’ultime demande de ma mère.
— Christopher White, Toronto

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Utilisez le vinaigre pour laver la pomme de douche.
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Soins et intimité

Mon père est resté presque toute sa vie autonome et autoritaire, et notre relation n’a jamais été des plus simples. Il venait d’une famille modeste et avait réussi à se payer des études et à bâtir un véritable empire en étant l’un des premiers architectes du Maroc après le départ des Français en 1956.
Il s’est éteint en 2011 après un long combat contre le cancer du côlon. Vers la fin, ma sœur et moi devions l’aider pour ses besoins élémentaires – s’habiller, manger, aller aux toilettes. Il s’excusait chaque fois, honteux d’être dépendant d’autrui.

Quelques heures avant sa mort, ma sœur et moi l’aidions à se laver et, incapable de vraiment s’exprimer, il souffrait tellement qu’il m’a mordu l’épaule gauche. C’est un des derniers souvenirs que je conserve de lui.

Pendant des jours, j’ai contemplé ce bleu qui avait la forme de ses dents et que je voyais changer de couleur, espérant presque qu’il ne s’efface jamais, car c’était tout ce qu’il me restait de mon père. Cette intimité physique que nous avons vécue à la fin nous a permis d’exprimer l’amour que nous n’avions pas le droit de lui témoigner quand il était encore en bonne santé.
— Sheima Benembarek, Toronto

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Restez attentif à l’hygiène des lieux
CI Photos/Shuttterstock

Rester souriant

Ma mère ne connaissait pas la perte. De fait, elle y réagissait en dansant – plus par réflexe que par défiance.
Pendant la guerre, elle allait se détendre avec ses amis au Victoria Hall de Montréal où se produisait un pianiste formidable du nom d’Oscar Peterson. Un jour, elle a rencontré un jeune soldat de retour du front, Gerry Mahoney. Ils se sont mariés, des enfants sont nés – un garçon, une fille et un deuxième garçon, Keith. Keith est tombé malade, puis il a été emporté par une pneumonie à 10 mois. Quatre autres enfants ont suivi, dont je suis.

Mon grand-père est décédé en 1966. J’ai vu ma mère pleurer pour la première fois. Mais je me souviens surtout de son visage dans les manèges de La Ronde lors de l’Expo 67. Elle nous emmenait tous les jours au parc d’attractions.
Au début des années 1970, mon père, qui était psychologue, a souffert d’un début précoce de démence à l’âge de 60 ans. Dix années difficiles ont suivi, mais il y a eu aussi des mariages, des petits-enfants et la fin de l’hypothèque pour la maison dans laquelle nous avions grandi. Maman continuait à danser. Papa est mort en 1983.

Il y a quelques années, maman est tombée. Un AVC, puis le coma. À l’hôpital, elle a repris connaissance un court moment. Ses six enfants et plusieurs petits-enfants se relayaient à son chevet.
Mes dernières paroles à ma mère: «Comment te sens-tu?» Elle a souri. Ses yeux semblaient animés. Elle a répondu: «Je… me sens… trèèèès bien.» Elle est morte peu de temps après.
— Jeff Mahoney, Hamilton

Contenu original Selection du Reader’s Digest

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