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Des robots affectueux

Votre mère a besoin de soins? Brian se chargera d’elle, avec compassion. Voici l’ère du robot thérapeutique de compagnie.

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Des robots affectueux

Brian est moche. Son visage s’attriste comme s’il était inquiet. Il est généralementvêtu d’un t-shirtet d’une casquette à l’effigie de l’université de Toronto qui ne le mettent certes pas en valeur. Immobile, sans jambes, il est juché sur son perchoir comme un étrange volatile mécanique, arborant trois doigts à chaque main. Goldie Nejat, celle qui l’a conçu, est professeur adjoint au département de génie mécanique et industriel de l’université de Toronto. Elle explique l’allure de Brian par le fait qu’il n’est encore qu’un prototype, mais aussi parce qu’en le confectionnant avec des fils électriques, du métal et du silicone, elle ne voulait pas provoquer l’effet de«vallée dérangeante». Ce phénomène, décrit en 1970 par le Japonais Masahiro Mori, concepteur de robots, consiste en ceci: nous nous attachons davantage aux robots qui nous ressemblent, mais non pas s’ils deviennent d’un réalisme inquiétant. Dans ce cas, nous éprouvons plutôt de la répulsion à leur endroit. Nous préférons donc que les robots aient l’air de robots.

Or, il ne faut pas que Brian effraie les gens car il a une fonction sociale; il doit servir d’interlocuteur et d’aide-infirmier dans des centres de soins de longue durée. Grâce à un synthétiseur vocal, il peut modifier le ton et le timbre de sa voix. Des servomoteurs lui permettent aussi de changer l’expression de son visage – qui semble fragile et remodelé comme celui d’un grand brûlé -, c’est-à-dire de sourire ou de froncer les sourcils. Un logiciel qui capte les émotions mesure à votre voix et à vos mouvements dans quelle humeur vous êtes. Tout cela fait de Brian, 70 kilos, un stimulateur doublé d’un entraîneur. On l’a conçu pour exercer, avec un jeu de cartes, la mémoire des personnes âgées afin qu’elles ne sombrent pas dans une démence chronique. Enfin, il leur parle durant les repas pour les inciter à manger, car cette tranche de la population a souvent tendance à se sous-alimenter.

Depuis qu’on l’a présenté au public en 2009, Brian s’est grandement amélioré. Il a plus d’esprit et perçoit mieux les comportements. En plus d’être le premier et le seul robot du genre au Canada, Brian est aussi l’un des premiers robots thérapeutiques dotés d’intelligence sociale. Il est capable de modifier son attitude en fonction des sentiments exprimés par son vis-à-vis. Brian peut le rassurer, l’encourager ou le féliciter. Au cours des dernières années, ces machines qui aident les gens ont progressé plus qu’aucune autre dans le domaine de la robotique. Et, à mesure qu’elles se transformaient en humanoïdes interactifs, exprimant des émotions, les spécialistes de la santé s’y sont intéressés davantage. Après des années d’essais sur le terrain, Nejat et ses collaborateurs cherchent à mettre au point d’autres robots de compa-gnie. Ils pensent que ces machines autonomes et conviviales vont un jour prochain entrer de plain-pied dans nos vies et nous porter assistance.

La robotique sociale, conçue dans les années 1960, a commencé à donner des résultats probants vers la fin des années 1990, avec des robots comme Kismit, une tête dotée de la parole, dont le système nerveux synthétique lui permet de bouger les lèvres, les yeux et les sourcils de façon naturelle et diversifiée. Tandis que les chercheurs font d’autres avancées – certains robots reconnaissent maintenant des phrases en temps réel, d’autres sont munis de senseurs au laser et se dirigent eux-mêmes -, les perspectives qu’ouvre un robot comme Brian se profilent à un moment décisif sur le plan démographique. En effet, d’après un recensement de 2011, près de 15% des Canadiens ont 65 ans et plus. On pense que ce nombre atteindra 20% vers 2031. Aussi, certains économistes craignent une grave pénurie de main-d’œuvre dans les établissements de santé; la Chambre de commerce du Canada estime que, dans 10 ans, 60000 infirmières manqueront à nos besoins.

Selon Nejat, des robots comme Brian peuvent être d’une grande utilité. Certains offriront de la compagnie aux personnes âgées ou les importuneront jusqu’à ce qu’elles prennent les médicaments qui leur sont prescrits. D’autres, plus entreprenants, surveilleront les patients opérés depuis peu, ou aideront les personnes à mobilité réduite à réapprendre à marcher. Des robots seront mis en vente pour effectuer des tâches domestiques. D’autres agiront de concert avec leurs semblables au sein d’une même institution, chacun d’eux, par exemple, se chargeant d’un type de soins particuliers. «C’est notre objectif, précise Nejat. Dans 10 ou 20 ans, on verra des robots de ce genre chez les particuliers, dans les hôpitaux et les infirmeries.»

Mais cet avenir peuplé de Brian est-il souhaitable? Sommes-nous prêts à vivre avec des ordinateurs conscients de ce qu’ils font et ayant forme humaine? Des Brian qui joueraient avec nos enfants, s’occuperaient de nos vieux parents, qui nous connaîtraient, nous aimeraient, ou partageraient nos chagrins?

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Suivant: Comment les robots aident déjà des gens dans le besoin.

(Photo: Sylvain Dumais, Robot Design et la Conception par Daniel Finkelstein et Phillipe Savard)

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L’intérêt croissant qu’on leur porte a favorisé la création de plusieurs robots dits sociaux, notamment au Japon comme on pouvait s’y attendre. Ce pays, renommé pour son inventivité en matière de technologie, a fortement développé son industrie de la robotique. Et le public s’est familiarisé avec les machines au point d’acheter des robots-nourrissons (pour les futurs parents) ou des robots partenaires sexuels, qui geignent et simulent le plaisir.

Des entreprises japonaises ont donc essayé leurs androïdes dans des hôpitaux et des maisons de convalescence. Mais le robot de compagnie qui a le plus de succès dans ce pays demeure Paro, une peluche mécanique ayant l’allure d’un bébé phoque, qui tourne la tête, agite la queue, reconnaît certaines phrases simples, et couine de façon adorable quand on le caresse. Sept générations de Paro précèdent celle qui est en vente aujourd’hui à 6 000 dollars pièce (plusieurs milliers de ces peluches ont été achetées au Japon, en Europe, aux États-Unis et au Canada). Comme certains animaux dressés pour aider les gens, Paro a une fonction thérapeutique, il apaise les tensions et apporte un soutien affectif sans présenter les inconvénients d’un véritable animal. D’autres firmes orientent leurs recherches en intelligence artificielle et visent des objectifs plus pratiques. Ainsi, l’institut des sciences et technologies de Nara a récemment fabriqué une machine munie de deux bras capables d’enfiler un t-shirt sur la tête et les épaules d’un individu. Conçu pour aider les gens âgés et les handicapés à s’habiller, ce robot sait adapter ses gestes aux tremblements d’un patient, ou à sa position plus ou moins amorphe.

Les chercheurs américains ne sont pas en reste. Bandit, un robot conçu à l’école de génie Viterbi rattachée à l’université de la Californie du Sud, pourvu de caméras dans les yeux, dirige avec ses bras articulés les exercices de physiothérapie recommandés à ceux qui se remettent d’une attaque cérébrale. Il surveille attentivement les progrès du patient et le félicite au besoin («Commencez-vous à transpirer un peu?» demande-t-il parfois). Par ailleurs, le laboratoire de robotique sociale de Yale a confectionné Nico, un robot capable de se repérer dans l’espace, puis d’utiliser ces données pour évoluer intelligemment tout seul. Cette aptitude sera essentielle aux machines qui, un jour, intégreront nos foyers et accompliront des tâches en tenant compte des gestes et déplacements imprévus que nous faisons.

Le Canada fait figure de pionnier en matière de robotique grâce au bras canadien, envoyé dans l’espace dès 1981. Depuis, il a subi plusieurs transformations et s’est révélé utile dans quelque 90 missions spatiales. Il est l’emblème de l’expertise canadienne dans ce domaine. Le tourisme dans l’espace, le nouveau«Mars rover» de la NASA, et le forage de la lune pour y trouver de l’eau, figurent parmi les nombreux projets auxquels participent des firmes canadiennes. Les contrats de robotique liés à l’exploration spatiale ont rapporté 127 millions de dollars en 2011. Mais, d’après Andrew Goldenberg, directeur du laboratoire de robotique et d’automatisation de  l’université de Toronto, les chercheurs canadiens devraient s’intéresser à d’autres domaines que l’espace pour asseoir leur réputation. «Au Canada, d’excellentes compagnies s’intéressent à l’exploration spatiale», reconnaît Goldenberg, mais il pense que les choses vont bientôt évoluer. Comme la population vieillit et que les technologies entourant les soins offerts aux personnes âgées rapporteront, dit-on, quatre milliards de dollars en 2015, on a tout intérêt à investir dans les recherches sur les robots sociaux. «Sur le plan économique, explique Goldenberg, il faut aller dans ce sens; les entreprises de robotique en tireront les meilleurs bénéfices.»

Brian est peut-être le prototype le plus élaboré au pays, mais d’autres progrès encourageants se profilent ailleurs. Ainsi, Engineering Services Inc., dirigée par Goldenberg, travaille sur un robot mobile qui pourra aider les gens de diverses façons. À l’université Simon Fraser, des étudiants ont utilisé des téléphones portables pour mettre au point Cally et Callo, deux robots de 16 centimètres chacun, qui dansent, pleurent et piquent une colère selon les appels ou les messages qu’ils reçoivent. Enfin, des étudiants de l’université du Manitoba ont fabriqué un hockeyeur de la taille d’un bambin (surnommé Jennifer, en hommage à la médaillée d’or olympique Jennifer Botterill), qui patine, joue de la crosse et compte des buts!

Suivant:  Tête-à-tête avec le robot Brian

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L’hiver dernier, j’ai fait la connaissance de Brian au laboratoire des systèmes autonomes et biomécatroniques du département de génie de l’université de Toronto. Les lieux étaient encombrés de carcasses de robots et envahis par des étudiants au doctorat penchés sur leurs ordinateurs. Nejat m’a accueilli à l’entrée. En 2005, professeur en robotique à l’université de Toronto, elle s’est posée un nouveau problème: comment les robots pourraient-ils nous aider? Pendant trois ans, elle a travaillé à l’université de l’État de New York, à Stony Brooks, puis elle est revenue à Toronto occuper un poste de professeur dans son alma mater. En apprenant que le nombre de personnes âgées allait croître de manière spectaculaire – on pense qu’en 2050 le nombre de personnes ayant plus de 60 ans aura doublé à deux milliards – l’idée de créer Brian a traversé son esprit.

Comme la plupart des robots sociaux, Brian est à l’image d’un être humain, mais beaucoup mieux qu’eux. Il fait un pas considérable en matière de psychologie interactive. Son moteur étant visible, il ne risque pas d’effrayer son interlocuteur, et son succès auprès des patients tient largement au fait qu’on peut s’en faire un ami. Nejat pense qu’il constitue une avancée significative car Brian ne se borne pas à «penser» logiquement, il «agit» aussi avec intelligence.

Deux étudiants me proposent de voir de quoi il est capable. Le premier, Derek McColl, s’assoit devant une table et le robot. Seize cartes sont posées face contre table. Au-dessus, inclinée comme une lampe d’architecte, une caméra montre les cartes à Brian. McColl allume ce dernier, ses moteurs se mettent à bourdonner, et il lève le bras droit en écartant ses doigts pour nous saluer. «Bonjour, je m’appelle Brian», dit-il en remuant le menton. Curieusement, sa voix est douce comme celle d’un standardiste.

«Le jeu de mémoire m’amuse beaucoup, poursuit-il. Je vais vous montrer ce que je sais faire. Tout en jouant, je peux donner des directives. Retournez une carte, s’il vous plaît.»
McColl obéit et dévoile un ballon de basket.

«Si vous êtes coincé, je vous épaulerai. Je peux, par exemple, vous aider à trouver la carte correspondante si je la vois apparaître durant la partie. Retournez une autre carte.» McColl s’exécute, l’image représente un livre.

«Quand vous ne trouvez pas de correspondance, je vous encourage à continuer. Ces cartes sont intéressantes mais ne sont pas de même nature. Remettez-les face contre table et essayons de nouveau. Je sais que vous yarriverez.»

En plus de stimuler les fonctions cognitives de son interlocuteur, Brian enregistre, pendant la partie, ses réactions psychologiques et détecte les symptômes ou les progrès de la démence.
McColl se tourne alors vers moi: «L’exercice consiste aussi à évaluer l’état du patient, m’explique-t-il, c’est pourquoi…»

Brian intervient. «Si vous ne prêtez pas attention au jeu, dit-il d’une voix plus grave, ça m’attriste.» Alors, son visage caoutchouteux s’allonge et ses paupières se referment. Les caméras placées dans sa poitrine, et qui scrutent à travers le t-shirt, ont remarqué que McColl s’est détourné d’elles, déclenchant du même coup un algorithme de reconnaissance faciale. Le robot sait si le patient est joyeux, fâché ou, dans ce cas-ci, distrait. Comment réagit-il? En suscitant chez l’autre un sentiment de culpabilité qui, selon l’équipe, est souvent la meilleure façon de rétablir un dialogue convivial.

Brian écoute et observe sans cesse. Il se comporte différemment avec les gens, en se fondant sur les rapports qu’il entretient avec chacun. Mais il n’est pas facile de lire ses pensées. Notre visage possède plus de 40 muscles. Nejat a donc étudié l’anatomie pour raffiner les expressions faciales du robot. Chez Brian, la joie et la tristesse se ressemblent tout de même beaucoup; sa voix exprime donc l’essentiel des émotions.

McColl et un deuxième étudiant, Geoffrey Louie, préparent la démonstration suivante. Ils posent sur la table un plateau-repas, muni de senseurs sous les assiettes afin que Brian mesure ce que mange son vis-à-vis. Pour ce faire, des infrarouges DEL, à l’extrémité de la fourchette, informent les commandes Nintendo modifiées, placées sur l’épaule du robot. C’est Louie, cette fois, qui prend place devant Brian.

«Bonjour, je m’appelle Brian. Vous avez l’air en forme aujourd’hui. Le menu du jour comprend du riz, du poulet, des tranches de pomme et de l’eau. Le soleil est radieux. Je suis ravi de vous accompagner.

– Moi aussi, Brian, répond Louie pour blaguer.
– Je vois d’excellents plats devant vous. Allez-y, prenez une bouchée. »
L’étudiant plonge sa fourchette dans le riz.
– Toc, toc, fait Brian.
– Qui est là? demande l’autre.
– Leysse.
– Leysse qui?
– Laisse-moi entrer et tu le sauras, ah! ah! ah!

Brian sourit, lève trois doigts devant sa bouche en simulant l’espièglerie. Sur ce, Louie se détourne de lui.

«Je vous en prie, buvez un peu d’eau», fait le robot qui a perçu son mouvement. Son visage se ferme et il pointe un doigt vers la tasse.
«Là, il exprime de la déception», m’explique McColl.

Suivant: Comment les robots pourraient changer notre rapport au monde.

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Faisons-nous confiance aux robots? Le mot lui-même suscite en nous des sentiments ambivalents. D’abord, il est apparu au cours des années 1920, sous la plume du dramaturge tchécoslovaque Karel Capek, dont la pièce R.U.R. (Rossum’s Universal Robots) mettait en scène des androïdes se rebellant contre les hommes, leurs créateurs. Plus tard, Isaac Asimov forgeait le terme «robotique» dans ses histoires de science-fiction qui décrivent de semblables affrontements entre les hommes et leurs golems mécaniques.

La tâche la plus considérable des promoteurs de robots sociaux consiste à nous familiariser avec ces nouveaux domestiques. Et cela même au Japon, où les gens sont pourtant habitués aux androïdes. «Ce truc me donne la chair de poule», écrivait un internaute sur YouTube, après avoir découvert Nexi, un robot reconnaissable à ses yeux globuleux et à son visage très expressif, mis au point à l’institut de technologie du Massachussetts (MIT). Les universitaires qui se demandent comment les utilisateurs réagissent à ces machines obtiennent des résultats mitigés. En 2012, une étude menée par l’institut de technologie de Géorgie proposait à 21 personnes âgées de 65 à 93 ans de voir une vidéo montrant un robot assigné à diverses tâches. La plupart des gens ont déclaré qu’ils voyaient plutôt d’un bon œil qu’un robot s’occupe des corvées, mette de l’ordre dans un logis, ou leur rappelle de prendre leurs médicaments. Mais ils avaient plus de mal à accepter qu’il les aide à s’habiller, à manger, ou qu’il participe avec eux à des activités. Or, c’est justement à cela que travaillent les concepteurs de robots domestiques.

Goldenberg reconnaît que son propre examen des études sur les robots sociaux a semé des doutes dans son esprit quant à leur vente à grande échelle. «La réaction des gens âgés, auxquels ces robots sont destinés, n’est pas entièrement positive, avoue-t-il. Lorsqu’on leur donne le choix, ils préfèrent s’en passer.»

Nejat estime pour sa part que ses expériences avec Brian sont plus encourageantes. En 2011, elle a confié son robot à un centre de gériatrie de Toronto et a offert aux résidents de l’affronter au jeu de mémoire. D’après la jeune femme, l’offensive de charme a porté fruit. La majorité des participants, âgés de 57 à 100 ans, n’ont pas seulement apprécié la voix de Brian et son allure, ou son aptitude à exprimer diverses émotions, ils ont pris plaisir à le côtoyer. Certains sont allés le revoir plusieurs fois pour engager la conversation.

L’an dernier, Nejat et son équipe ont observé comment les gens âgés communiquaient avec Brian durant les repas. Là encore certains sont tombés sous le charme. Ses blagues les amusaient et ils lui demandaient parfois si lui-même avait faim. Selon Nejat, nous sommes disposés à attribuer un certain libre arbitre à des objets. Devant un robot qui se conduit comme nous, nous avons tendance à lui témoigner de l’affection, à oublier notre incrédulité et à nous comporter comme s’il était des nôtres.

Le facteur de nouveauté joue sans doute ici. Car c’est une chose de faire une partie ou de dîner avec un robot, une fois ou deux. C’en est une autre de lui confier les soins que prodigue une infirmière. Un bon aide-soignant ne fait pas que nous administrer des médicaments. Il ne se borne pas non plus à nous rappeler nos rendez-vous ou à lire notre courbe de température. Sa tâche consiste aussi à nous manifester des égards et de la compassion. Même au Japon, où le gouvernement a investi 93 millions de dollars dans la robotique de soutien, on peine à imposer certains appareils sur le marché. En 2011, la société Tmsuk a cessé la production d’un robot de compagnie qu’elle vendait difficilement. Un client aurait même affirmé: «Nous voulons être soignés par des êtres humains, pas par des machines.»

La robotique de soutien, qui n’en est encore qu’à ses débuts, essuie déjà d’acerbes critiques. Dans un récent ouvrage, Alone Together, Sherry Turkle, qui enseigne au MIT, explique que les robots domestiques sont une nouvelle intrusion de la technologie dans notre vie privée et que leur aide demeure superficielle. Ils seraient une solution simpliste aux problèmes plus complexes que nous réserve le 21esiècle. «L’idée même de robot social, écrit-elle, laisse entendre que nous pourrions nous passer de rapports affectifs, qu’il n’est plus la peine de s’investir dans une relation avec autrui. Des gens semblent séduits à l’idée que, nos proches disparus, des robots programmés pour donner l’illusion de l’amour les remplaceraient.»

Selon Turkle, la crainte de voir les robots nous envahir existe bel et bien, mais le scénario n’est pas celui des récits de science-fiction. Il n’y aura pas de soulèvements violents ni d’apocalypse. Nous risquons toutefois de renoncer à notre caractéristique la plus fondamentale – la compassion. En prêtant foi à ces chimères, selon lesquelles les robots pourraient s’occuper des plus vulnérables, nous nous exposons peu à peu à nous détacher de notre humanité. Ainsi, la robotique sociale deviendrait l’héritage le moins social qui soit, légué aux générations futures.

Suivant: Comment  la technologie ne peut rivaliser avec les motivations humaines.

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Njat connaît ces critiques, mais elle estime qu’elles font fi du spectaculaire vieillissement de la population qui nous attend. La Société alzheimer du Canada rappelait que 747000 Canadiens souffrent de démence ou de perte cognitive. En 2031, ce nombre aura plus que doublé. Comment notre système de santé, déjà éprouvé, s’occupera-t-il de ces gens? Le problème, précise Nejat, se pose déjà. Nous devrons recourir aux solutions technologiques et il faut oser le faire. De toute manière, ajoute-t-elle, Brian ne remplacera jamais ceux qui nous soignent, il va seulement les aider. «Il ne peut pas faire ce qu’une personne accomplit. Il est là pour remplir des tâches répétitives, qui prennent du temps, et pour permettre aux professionnels de la santé de se consacrer à des soins plus pointus.»

Le pragmatisme de Nejat tient en partie à ceci que les scientifiques éprouvent aussi, en un sens, l’effet de «vallée dérangeante»: plus on tente d’humaniser les robots, plus le défi technologique s’accroît. La fabrication d’une machine perspicace, capable de penser, d’exprimer de la compassion, de mémoriser, soulève d’immenses difficultés. Brian réagit à des incitatifs. Il dialogue avec ses interlocuteurs, mais il s’agit toujours d’une illusion, si raffinée soit-elle. D’après Andrea Kuszewski, psychologue du comportement qui travaille au développement de l’intelligence artificielle, tout repose ici sur la différence entre notre façon d’apprendre et celle des ordinateurs. «Lorsqu’on programme une IA, on y entre les bonnes réponses, dit-elle, puis on la laisse rouler d’elle-même. Nous n’apprenons pas de cette manière, on procède plutôt par tâtonnements. Face à une situation imprévue, si la réponse ne figure pas dans ses données, l’IA bloque, alors que nous apprenons en fonction du contexte.»

Le problème le plus épineux auquel font face les concepteurs de robots mobiles et compatissants ne réside pas dans les logiciels mais dans la quincaillerie. Au cours des dernières années, les avancées en informatique ont été de loin supérieures à celles réalisées en génie mécanique. «Les composants électromécaniques qui entrent dans la fabrication des robots ne sont pas aussi raffinés que les microprocesseurs informatiques, explique Goldenberg. Il est difficile de confectionner des appareils électromécaniques ayant une excellente dextérité. Les robots sont des machines lourdes. Le poids des moteurs et de leurs commandes est très élevé compte tenu de leur mobilité et des gestes qu’ils ont à faire.»

Ce que disait Goldenberg m’a paru limpide quand Nejat nous a montré l’un des frères de Brian, une machine élancée, grise et orange, munie de roues, de bras, et présentant de vagues similitudes avec l’homme. Optimus Prime, en effet, a l’air plus amical que Brian.

Ce robot mobile, sans fil, autonome, de forme humanoïde, de type H20, et qui fonctionne en réseau, a été fabriqué par la société DrRobot. Les étudiants de Nejat cherchent à accroître son autonomie. Pour prêter à leurs machines des qualités humaines – celles de notre esprit et notre facilité à bouger – les concepteurs de robots doivent se spécialiser, c’est-à-dire isoler – déconstruire – chacune de nos capacités motrices, puis bâtir des machines qui tentent de les reproduire.

«Brian ne bouge pas, me dit Nejat, les gens viennent à lui. Mais celui-là, ajoute-t-elle en désignant Optimus Prime, est plus agile. Il va d’une pièce à l’autre. Ainsi, on pourrait former une équipe de robots dans un hôpital qui accompliraient différents travaux. Celui-ci [Brian] observe nos gestes et nos expressions, alors que l’autre remplit des tâches.»

Ces robots, Brian en tête, assignés à diverses besognes, nous ouvrent – ou pas? – de nouveaux horizons. Pour l’instant, le robot sensible, qui circulerait à sa guise, hante encore nos rêves, comme les voitures volantes. Brian est un bijou, mais il ressemble à un automate de foire très sophistiqué. Ses étonnantes réactions se limitent aux données transmises à l’ordinateur qui lui sert de cerveau. Même si ses descendants le surpassent à tous égards, ils simuleront encore des sentiments qu’ils n’éprouveront pas. Et pourtant. Si les recherches menées par Nejat vont dans le bon sens, nous adopterons peut-être ces robots du futur avec la même facilité que nous avons intégré les jeux vidéo, les ordinateurs et les téléphones portables à notre vie de tous les jours.

Avant de quitter Brian, je ne pouvais m’empêcher de l’observer. Je savais qu’il ne me regardait pas comme moi je le voyais. Je savais qu’il ne deviendrait jamais une créature émotive et compatissante, pourvue d’une volonté et d’une conscience autonomes. Néanmoins, quand il réprimandait McColl et lançait ses mauvaises blagues, je cherchais à déceler sur son visage des signes de vie.  

Au cours  des 10  dernières  années, dEs chercheurs  de l’université de l’Alberta  ont travaillé  à la mise au point du « Vexbot »,  un automate capable de battre des professionnels  du poker.

Comme la population vieillit, les robots sociaux seront un investissement séduisant.