La face cachée de l’épilepsie

L’épilepsie est une maladie neurologique chronique qui affecte 45000 Québécois et 300000 Canadiens. Elle se manifeste de différentes façons, mais dans les deux tiers des cas, l’origine est inconnue.

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La face cachée de l’épilepsie.
Dominique Lafond
Martine Morotti milite pour que Jérémie ne soit pas mort en vain.

La chambre de son fils aîné est étrangement calme lorsque Martine Morotti y pénètre en ce 1er mars 2016. «Debout, Jérémie!» Couché à plat ventre, la tête enfouie dans son oreiller, le jeune homme de 21 ans ne bouge pas. La mère de famille se dirige alors vers le lit et c’est en retournant Jérémie qu’elle découvre qu’il ne respire plus. Prise de panique, elle hurle à son autre fils d’appeler l’ambulance et se précipite chez un voisin qui accourt et amorce des manœuvres de réanimation. Trop tard. Jérémie est décédé d’un arrêt cardiorespiratoire à la suite des complications d’une crise d’épilepsie.

Martine Morotti connaissait la gravité de la maladie de son fils. Mais au point d’en mourir? «Après sa première crise, à l’âge de 13 ans, le neurologue s’est fait rassurant en parlant d’une petite épilepsie», raconte-t-elle. Mais son état s’est détérioré à la fin de l’adolescence, et trois crises majeures l’ont depuis envoyé à l’hôpital. La veille de sa mort, sa mère avait contacté son médecin car ses attaques nocturnes se produisaient désormais une fois par semaine. Les médicaments ne fonctionnaient plus.

«Ce que je déplore, c’est qu’on ne m’a jamais dit que l’épilepsie pourrait tuer mon fils!»

«Des patients ayant des problèmes neurologiques mal contrôlés peuvent mourir durant leur sommeil», admet le neurologue Philippe Major du CHU Sainte-Justine. L’épilepsie tue environ 1 malade sur 1000 chez les adultes et 1 mineur sur 4500. «Il y a quelques années, un de mes patients âgé de huit ans est décédé subitement», confie le Dr Major, encore bouleversé.

Apprenez comment reconnaître une crise d’épilepsie.

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L’épilepsie est d'origine inconnue dans 66% des cas.
Madrolly/Shutterstock

D’origine inconnue dans 66% des cas

L’épilepsie est une maladie neurologique chronique causée par des désordres de l’activité électrique dans le cerveau. Elle affecte 45000 Québécois – 300000 Canadiens. Des 15000 personnes diagnostiquées chaque année au pays, 80% ont moins de 18 ans et, heureusement, la moitié d’entre elles guérissent complètement avant d’atteindre la majorité. Une fois sur trois, l’épilepsie est provoquée par une lésion cérébrale, une tumeur, une malformation, un manque d’oxygène à la naissance, une maladie génétique, un traumatisme crânien ou un AVC lorsqu’elle apparaît à un âge plus avancé. Mais dans les deux tiers des cas, l’origine est inconnue. Elle se manifeste de différentes façons.

La plus spectaculaire est la crise tonico-clonique, comme celle de Jérémie, qu’on appelle aussi «grand mal». Durant la première phase, qui dure entre 10 et 30 secondes, la personne pousse un cri avant de perdre connaissance. Les muscles se contractent et le corps se raidit. Une série de secousses musculaires généralisées suivent pendant quelques minutes. «Après cette série d’orages électriques, la batterie du cerveau est complètement à plat, illustre le neurologue Dang Khoa Nguyen, du CHUM. Les gens deviennent ensuite somnolents ou confus durant quelques minutes.» Comme l’apport d’oxygène au cerveau peut être insuffisant et détruire les neurones, il faut appeler une ambulance si la crise se prolonge pendant plus de 5 minutes.

D’autres patients ont des absences jusqu’à 100 fois par jour. Ils se figent et cessent toute activité durant 10 à 20 secondes. C’est ce que certains qualifient de «petit mal».

Les crises se traduisent dans certains cas par des mouvements répétitifs d’un bras, d’une jambe. Elles peuvent encore affecter les régions responsables de la vision et de l’audition, entraînant hallucinations visuelles ou auditives.

Le saviez-vous: le cannabis à usage médical peut être prescrit pour l’épilepsie ainsi que pour ces autres affections courantes.

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L’épilepsie n’empêchait pas Alec Reid de vivre intensément.
Avec la permission de Josée Vallée
Alec Reid avait le hockey dans la peau.

Risque de mort

L’épilepsie n’empêchait pas Alec Reid de vivre intensément. Malgré ses crises tonico-cloniques, son neurologue l’encourageait à pratiquer un sport de haut niveau. L’athlète de 18 ans, originaire de Mercier, en Montérégie, jouait pour l’Armada de Blainville-Boisbriand, une équipe de la Ligue de hockey junior majeur du Québec, et menait donc une vie relativement normale.

Mais le matin du 3 mars 2019, Alec, qui a passé la nuit chez des amis, demande à sa copine de sortir de la chambre car il ressent les premiers symptômes d’une crise et ne veut pas qu’elle le voie dans cet état. Quand elle revient 30 minutes plus tard, le jeune homme est en arrêt cardiaque.

Les ambulanciers tentent de le réanimer et les manœuvres se poursuivent à l’hôpital. «Une dizaine de soignants tentaient de le sauver, se souvient sa mère, Josée Vallée. Tout le monde pleurait. Il n’y avait plus rien à faire.» Le coroner conclura que la mort a été provoquée par une crise convulsive sévère. Son cerveau aurait cessé de fonctionner, provoquant l’arrêt du cœur.

Alec avait fait sa première crise d’épilepsie à 14 ans. Les médicaments avaient bien fonctionné pendant 4 ans, jusqu’en janvier 2018. «Il est tombé dans le salon et s’est mis à convulser», raconte sa mère. Il a ensuite fait une nouvelle crise en février 2019, puis une dernière, deux semaines plus tard, dont il est mort. «S’il avait fait cette crise devant moi, je ne l’aurais pas laissé seul. Il serait peut-être vivant», dit avec regrets Josée Vallée, qui déplore elle aussi que leur neurologue ne lui ait jamais dit qu’Alec pourrait mourir d’épilepsie.

L’épilepsie est l’une des 10 maladies chroniques les plus invalidantes.

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Anticiper les crise d’épilepsie pour déjouer la mort.
Teeradej/Shutterstock

Anticiper les crise pour déjouer la mort

Déjà en 2011, le Programme canadien de surveillance pédiatrique s’inquiétait de cette situation. Un sondage révélait en effet que seulement 56% des 380 pédiatres interrogés savaient que les enfants qu’ils soignaient pour l’épilepsie risquaient d’en mourir. Et les parents le savent encore moins: quatre ans plus tard, un rapport du même programme relevait que les familles d’enfants vulnérables à ce type de mort subite ne semblaient pas au courant de ce grave risque relié à l’épilepsie.

Depuis 2017, la Société américaine d’épilepsie et l’Académie américaine de neurologie recommandent aux neurologues de discuter de la mort subite avec les familles des patients à risque.

«Auparavant, j’attendais avant d’en parler, mais maintenant je le dis tout de suite, affirme le Dr Major. Il faut cependant être rassurant car le danger est extrêmement faible pour un jeune qui a fait deux ou trois crises et qui joue au hockey.» Mais il n’y a pas de certitude, et certains médecins recommandent la présence d’une autre personne dans la chambre du malade pendant la nuit – ce que faisait souvent la mère de Jérémie.

Le Dr Nguyen place de grands espoirs dans des algorithmes qu’il développe avec son équipe et qui permettront un jour d’anticiper les crises. «Les données captées par des électrodes implantées dans le cerveau seront transmises à un téléphone connecté à un serveur qui analysera les signaux et enverra un message aux patients quelques minutes avant les premiers signes», explique le neurologue. Son équipe essaie aussi de mettre au point des objets connectés comme des montres, matelas et chandails dont les algorithmes, sensibles au rythme cardiaque, à la respiration anormale et aux mouvements, sonneront l’alarme dès le début des convulsions.

La chirurgie est une autre arme dont disposent les soignants pour traiter l’épilepsie, mais il faut opérer le plus tôt possible, dès que les patients répondent mal à la médication. «Elle ne convient qu’à un petit nombre, environ 2% d’entre eux», explique le Dr Nguyen, car il faut que la zone épileptique du cerveau soit bien délimitée pour qu’une partie soit enlevée.

L’alimentation joue un rôle important: un régime cétogène pour réduire les crises d’épilepsie.

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Ablation d'une partie du cerveau pour que les crises d’épilepsie arrêtent.
VILevi/Shutterstock

Ablation d’une partie du cerveau pour que les crises arrêtent

Théo Gallant n’a que trois mois en 2017 quand il commence à faire des convulsions. Le Dr Major, du CHU Sainte-Justine, diagnostique une maladie génétique, la sclérose tubéreuse de Bourneville, caractérisée par des tumeurs bénignes dans le cerveau qui provoquent des crises d’épilepsie. En quelques mois, les crises du bébé passent d’une à cent par jour.

Il fait des convulsions qui peuvent mettre en danger son développement et sa vie. La seule façon d’améliorer son état est de procéder à une très délicate intervention chirurgicale.

En mai 2018, alors que Théo a tout juste 18 mois, le Dr Alexandre Weil, du CHU Sainte-Justine, lui retire une partie du cerveau située derrière le lobe frontal. «Je peux toucher un endroit qui contient une fonction comme la mémoire, la motricité, l’odorat», a-t-il averti ses parents, qui n’ont pas hésité à courir le risque, sachant que leur fils unique a de bonnes chances de récupérer progressivement par la suite. «Environ 15% des patients peuvent avoir un déficit temporaire alors qu’entre 1 et 2% ont des séquelles permanentes», ajoute le neurochirurgien.

Malheureusement, la vision de Théo a été définitivement altérée lors de l’intervention. «Il ne voit plus lorsqu’il regarde vers la droite. C’est comme un angle mort», indique son père, Jean-François Gallant. «Toutes les fois que Théo est conduit en salle d’opération, on craint de ne plus le revoir», ajoute sa mère, Catherine Gratton.

La création de nouveaux réseaux épileptiques rend nécessaire une deuxième chirurgie un an plus tard. Le Dr Weil pratique alors l’ablation d’une autre partie du lobe frontal. Le médecin se réjouit qu’il n’y ait eu cette fois aucune atteinte neurologique. Mais surtout que les crises de l’enfant soient passées de 100 à 15 par jour. En février 2021, ses médecins lui ont implanté un stimulateur du nerf vague dans un des nerfs crâniens faisant le lien entre le cerveau et le reste du corps. Grâce à une batterie installée dans la poitrine, l’appareil envoie toutes les 5 minutes des stimulations de 30 secondes pour faire diminuer les crises. Dans la moitié des cas, l’amélioration est significative après six à neuf mois.

Vous serez sans doute surpris par ces secrets que les chirurgiens préfèrent garder pour eux!

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Après la chirurgie, les crises d’épilepsie de Théo ont diminué de beaucoup.
Avec la permission de Catherine Gratton
Après la chirurgie, les crises de Théo ont diminué de beaucoup.

En cas d’échec: implanter des électrodes dans le cerveau

«Si cela échoue, nous utiliserons pour la première fois au Québec la stimulation cérébrale profonde qui consiste à implanter des électrodes en permanence dans son cerveau», confie le Dr Weil.

Les parents de Théo sont très inquiets depuis qu’ils ont appris que l’épilepsie peut provoquer une mort subite. «On le surveille constamment, même la nuit», dit sa mère. À 4 ans, l’enfant a un âge mental de 19 mois, mais il fait des progrès, prononce ses premiers mots et fréquente depuis peu la garderie, ce qui aurait été impossible sans les interventions chirurgicales. «Quand il était aux soins intensifs, une préposée aux bénéficiaires nous a dit qu’elle faisait, elle aussi, des crises d’épilepsie. Elle a un conjoint, un travail, et mène malgré tout une vie normale. Ça nous donne beaucoup d’espoir. On est convaincus que Théo va faire avancer les choses», se console sa mère. Au CHU Sainte-Justine, son petit visage espiègle est devenu un symbole de la lutte contre l’épilepsie.

Les chiens peuvent alerter une crise avant qu’elle ne se produise! Voici tout ce que votre chien connaît à propos de vous.

Contenu original Selection du Reader’s Digest

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