Roch Voisine: coeur de boomer

Il n’est plus «seul sur le sable, les yeux dans l’eau»! Le chanteur d’Hélène – mégasuccès au Québec et en France avec trois millions de disques vendus – caracole aujourd’hui sur la vague country. S’il a traversé quelques passages à vide, il s’est maintenu en surfant sur les marchés français, québécois, canadien-anglais et américain. Après 25 ans de carrière, le beau gosse a mûri. Son public aussi. Entrevue avec un artiste et homme d’affaires passionné de chanson.

Isabelle Grégoire: Ça vous manque, les minettes qui se pâment au premier rang?

Roch Voisine: Je suis à l’aube de la cinquantaine. Les minettes de 12 ans, ça serait indécent! Il y a trois ou quatre ans, en France, une radio jeune a repris un de mes tubes, et des adolescentes ont commencé à apparaître dans les premières rangées de mon spectacle. Ça m’a mis mal à l’aise. Parce que mon public a changé: une jeune fille peut aimer ce que je fais, mais c’est plutôt sa maman qui va coller mon poster sur le mur! [Rires.]

I. G.: Une blessure a mis fin à votre rêve de jouer au hockey. Est-ce pendant votre convalescence que vous est venu le goût d’écrire des chansons?

R. V.: C’est ce qui m’a empêché de devenir joueur de hockey, pas ce qui m’a poussé à devenir chanteur! J’avais commencé à écrire bien avant, vers 13-14 ans. J’étais renfermé, très timide. C’était ma façon à moi de m’exprimer.

I. G.: Votre enfance de soliste dans une chorale à l’église a-t-elle influencé votre future carrière?

R. V.: Pas vraiment! D’ailleurs, j’ai arrêté assez vite: un joueur de hockey, ça ne chante pas dans une chorale!

I. G.: Votre chef de chœur a tout de même compté dans votre vie…

R. V.: Oui… mon père l’a épousée! Elle est la première à m’avoir fait comprendre que j’avais une jolie petite voix. Mais pour moi, tout a commencé avec l’écriture. J’aurais aussi aimé étudier en médecine sportive, mais mon 88% de moyenne ne suffisait pas. Alors, je suis entré en physiothérapie à l’université d’Ottawa.

I. G.: C’est là que vous avez commencé à chanter…

R. V.: Et que j’ai eu mon premier public… durant mes fameux concerts dans l’escalier de la résidence étudiante. De minuit à une heure du matin, je chantais et jouais de la guitare. Ça résonnait bien dans les étages.

I. G.: C’est aussi là que vous avez étudié la musique?

R. V.: Non. J’ai toujours composé à l’oreille. Aujourd’hui encore, je ne lis pas la musique.

I. G.: Votre premier imprésario a eu du mal à vous convaincre que vous étiez fait pour le showbiz…

R. V.: C’est un univers difficile, où l’on peut se perdre. Je venais d’un milieu équilibré. J’étudiais, je jouais au hockey, bref, je menais une vie aux antipodes du show-business. Mais pour les gens avec qui j’ai travaillé ensuite, c’était rafraîchissant: un gars qui s’intéresse plus à son métier et à sa forme physique qu’à veiller tard le soir et à consommer des matières illicites!

I. G.: Un modèle pour vos enfants? Quel genre de père êtes-vous avec vos deux fils [5 et 7 ans]?

R. V.: Plutôt sévère! [Rires.] Je m’assure de leur donner des bases solides, des repères. Les enfants qui s’élèvent seuls, les enfants rois, je trouve ça terrible! Ce ne sont pas mes enfants qui commandent: il y a un boss à la maison, et c’est moi. C’est aussi comme ça que je travaille. [Rires.]

I. G.: Ils rêvent de devenir chanteur comme papa?

R. V.: Ils viennent au concert et ils aiment ça. Mais je préférerais qu’ils fassent autre chose dans la vie. C’est un milieu de plus en plus difficile. Je veux qu’ils apprennent un métier qui leur permettra de gagner leur vie, peu importe que ce soit comme poseur de briques, médecin ou électricien…S’ils veulent faire de la musique après, pas de problème!

I. G.: À quoi ressemble la vie quotidienne de Roch Voisine aujourd’hui?

R. V.: J’ai la garde partagée de mes enfants et j’essaie autant que possible de travailler la semaine où ils ne sont pas avec moi. Quand je les ai, c’est debout à 6 h 30, je fais le déjeuner, je les conduis à l’école, puis il y a les courses, les devoirs, le bain… Je fais ce que j’ai à faire pendant qu’ils sont à l’école – le sport, par exemple.

I. G.: Vous vous imposez toujours une discipline de fer? Hockey, entraînement…

R. V.: J’aime bien manger et, heureusement, j’ai encore l’âge où je peux bouger pour brûler tout ça. [Rires.] Je suis toujours à la recherche d’un équilibre entre l’envie de me gâter et la discipline sportive. A bien des égards, je suis un épicurien. J’ai souvent refusé des offres très généreuses pour privilégier mon bien-être. J’ai compris que, lorsque je suis bien dans ma tête, je communique mieux avec mon entourage et j’écris mieux.

I. G.: Votre image publique est très lisse, celle d’un gars parfait, du gendre idéal…

R. V.: Ce sont les gens qui veulent se raccrocher à cette image. Je n’ai jamais raconté ma vie privée. Vous savez, ce n’est facile pour personne d’être un gars parfait!

I. G.: Vous êtes aussi difficile à cerner sur le plan culturel. Etes-vous plutôt Néo-Brunswickois? Québécois? Français?

R. V.: Un peu de tout ça! Je suis foncièrement Canadien français, mais je m’adapte. En France, les gens ne me comprenaient pas; alors, j’ai dû prendre leur accent. Aujourd’hui, les artistes québécois n’ont pas besoin de le faire: on a défriché le terrain.

I. G.: Quand vous voulez vous retrouver chez vous, où allez-vous? Où sont vos racines?

R. V.: Mes racines sont là où sont mes enfants. Le reste n’est pas très important. Parfois, je vais faire un tour au Nouveau-Brunswick, où j’ai encore de la famille, mais j’ai passé tellement de temps à l’étranger que, lorsque j’arrive à Montréal, je n’ai pas besoin d’aller plus loin: je suis bien ici.

I. G.: A vos débuts, vous disiez faire ce métier surtout par besoin d’amour. C’est toujours vrai?

R. V.: Ce n’est plus aussi instinctif, à la limite maladif, que ça. Maintenant, ce que j’aime, c’est être avec des gens. Ce n’est pas une drogue, c’est devenu beaucoup plus sain. Mes chansons aussi ont évolué.

I. G.: En quoi sont-elles différentes?

R. V.: Je n’ai plus envie de composer des petites chansons d’amour toutes simples. Pour l’album Confidences (pas encore sorti au Québec), j’ai écrit Les p’tits loups pour mes garçons – c’est un peu La complainte du phoque en Alaska, version papa divorcé! J’évoque aussi ma grand-mère, décédée de la maladie d’Alzheimer.

I. G.: Vous souhaitez rester discret sur votre vie privée, mais cette discrétion a alimenté les rumeurs les plus folles, comme celle de votre prétendue homosexualité. Dont vous ne vous êtes pas défendu…

R. V.: Je sais à peu près comment et pourquoi c’est parti, et de qui c’est venu. C’était mesquin, méchant. Un assassinat médiatique, parce que difficilement défendable: quoi que je dise, j’étais piégé. Alors, je me suis fermé et j’ai attendu. Comme disait mon imprésario de l’époque – lui-même homosexuel: «Mieux vaut passer pour un gai que passer inaperçu!» [Rires.]

I. G.: Serait-ce plus facile à gérer aujourd’hui?

R. V.: Aujourd’hui, on est tellement bombardés… Et les artistes s’en vantent, d’être homosexuels!

I. G.: Vous dites avoir un sacré caractère. Qu’est-ce qui vous enrage le plus?

R. V.: L’injustice envers ceux qui ne peuvent pas se défendre: les malades, les enfants, les personnes âgées. Je ne supporte pas les gens malhonnêtes, non plus. Et ceux qui me font perdre mon temps! Je ne tolère pas le manque d’effort, de travail. C’est comme au hockey: quelqu’un qui traîne les pieds, ça me met hors de moi. J’ai d’ailleurs une réputation de gueulard dans les ligues où je joue. [Rires.] Je suis très compétitif. Et très mauvais perdant!

I. G.: Et au travail?

R. V.: Quand je travaille sur scène, je suis patient. Je choisis bien mon entourage. Si tu n’es pas à la hauteur, tu ne resteras pas longtemps. Je fais passer mes messages au micro, pour que tout le monde entende! Je suis dans la ligue nationale de la chanson: je n’ai pas de temps à perdre.

I. G.: Qu’est-ce qui vous fait le plus peur?

R. V.: La maladie. Etre paralysé. Je bouge beaucoup, ce serait terrible. Même chose pour mes fils. Je suis d’ailleurs porté à aider les causes qui touchent les enfants: les miens sont en santé, et c’est la seule chose qui compte vraiment.

I. G.: Beaucoup d’artistes québécois expriment leurs idées politiques… pas vous. Est-ce par pudeur? Désintérêt?

R. V.: Je ne suis pas là pour ça; ce n’est pas mon talent. Mais je m’intéresse à ce qui se passe autour de moi, j’ai des opinions, du gros bon sens.

I. G.: Auriez-vous pu vous présenter pour le NPD dans Blainville?

R. V.: Ah! [Rires.] C’est sûr que ça aurait fait un gros coup: on aurait collé des affiches, tout le monde aurait voté pour moi… Mais je ne connais rien à la politique!

Roch Voisine en 5 dates:

1963: Naissance à Edmundston, au Nouveau-Brunswick.
1980: Repêchage par les Remparts de Québec, mais une blessure met fin à son rêve de carrière dans le hockey.
1986: Premier concert devant 50 000 personnes, au parc d’attractions La Ronde, à Montréal, à l’occasion de la fête du Canada.
1989: Hélène, son premier album triomphe au Québec et en France: trois millions de disques vendus.
2011: Spectacle au Centre Bell; les albums Americana I et II valent au chanteur un disque platine et un disque d’or.

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