Ma fille est trans: ce que m’a appris son coming out

«Le jour où ma fille m’a déclaré qu’elle était transgenre, j’ai eu peur pour sa sécurité, pour la façon dont les gens la traiteraient et pour sa vie affective. J’étais loin de me douter du bonheur que cette révélation allait engendrer.»

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Reportage: ma fille est trans: ce que m’a appris son coming out.
PHOTO: RAINA + WILSON

Quand ma fille est sortie du placard

«Je suis trans. Je m’identifie comme femme et mon nom est Hannah.»

Ce sont les mots qu’elle a lâchés au téléphone il y a trois ans. Cela ne m’a paru ni déplacé ni irrespectueux, malgré l’aplomb de la déclaration. En vérité, j’avais provoqué cette confidence. Elle m’avait prévenue plus tôt qu’elle avait quelque chose d’important à nous dire, à Colin mon mari et à moi. Mais Colin était absent. Et comme je suis particulièrement sensible et prompte à la panique, les questions se sont mises à défiler dans ma tête. Mon enfant était-elle blessée? Ou atteint d’une maladie incurable? J’ai fini par trouver le ton impératif nécessaire pour exiger d’elle – elle avait alors 25 ans – qu’elle me dise tout sur-le-champ.

«J’aimerais mieux attendre» fut sa réponse prudente. Mon sang n’a fait qu’un tour! Je ne pouvais endurer une seconde de plus le mystère! J’ai alors insisté avec toute la diplomatie et la persuasion dont je suis capable pour la convaincre de me parler.

C’est avec le sentiment d’avoir eu à quémander la vérité que j’ai finalement obtenu ma réponse. «Je suis trans. Je m’identifie comme femme et mon nom est Hannah.» J’ai pris une pause pour digérer la nouvelle, ou plutôt pour être sûre d’avoir bien entendu. J’ai répondu avec le ton débordant de compassion qui me caractérise que j’étais très heureuse pour elle. Que son père et moi allions la soutenir dans sa décision. Qu’elle était une fille formidable et que j’étais de tout cœur avec elle. J’étais devenue intarissable au point de m’étourdir moi-même.

Je réagis toujours de façon émotionnelle face aux difficultés des gens que j’aime en leur adressant des encouragements et des gentillesses sans fin. Mais là, il fallait que je me ressaisisse. J’ai alors respiré à fond pour reprendre rapidement le fil de mes idées.

«Pourquoi ce prénom d’Hannah?», lui ai-je enfin demandé. Comme si un nom pouvait importer dans un moment aussi crucial dans la vie de mon enfant! Il faut se méfier de l’eau qui dort!

Elle m’a répondu très calmement «tu sais, maman, à quel point j’aimais la chienne de mon amie Cheryl?»

– «Tu as choisi de t’appeler Hannah comme sa chienne? Vraiment?»

– «J’ai trouvé le nom d’Hannah très doux et très mélodieux, tout à fait ce qu’il me fallait. Tu peux comprendre ça?»

Si je pouvais comprendre! J’ai ressenti un sentiment de honte. J’étais absolument impardonnable. Après avoir longtemps retenu mon flot de paroles, je lui ai enfin déclaré que j’aimais ce nom, tout comme son père l’aimerait, puisqu’elle l’avait choisi. Et que j’étais heureuse que ce nom la réconforte, et qu’elle était une fille magnifique! Que c’était la vie qu’avait choisi mon enfant chérie, qui savait ce qu’elle voulait, etc.

C’est alors que j’aurais apprécié que quelqu’un me vienne en aide. Mais c’est Hannah qui a mis un frein à mon train de pensées déchaînées. «Un grand merci, maman. Je t’aime très fort et je savais que tu allais comprendre. Pourquoi est-ce que je ne viendrais pas souper avec vous quand papa sera de retour, pour qu’on parle de tout ça?»

– «Oui, euh… Hannah, bien sûr. On va faire ça, c’est promis. C’est une très bonne idée, euh… Hannah.»

Dieu merci, elle a mis fin à la conversation en me lançant: «Merci, je t’adore, à bientôt!» et a raccroché avant que je n’aie eu le temps de répondre.

Intégrer ensemble le changement

J’ai passé les heures suivantes à arpenter les couloirs de notre maison de Toronto avec mes deux cairn terriers sur les talons. J’essayais de comprendre l’intensité de mon bouleversement alors que mes chiens me fixaient pour me rappeler que l’heure de leur promenade approchait.

Tout m’a semblé plus clair après avoir fait le point sur mes sentiments. J’acceptais d’emblée sa transition sexuelle. Ses qualités propres comptaient plus que son genre. Mais je ne pouvais taire mes craintes pour sa sécurité, pour la façon dont les gens la traiteraient et pour sa vie affective.

J’ai fait des cauchemars les deux nuits suivantes. J’ai rêvé que notre fils s’était perdu. Que notre fils était mort. Que nous n’avions jamais eu de fils. Que je n’avais pas mis au monde un garçon, mais subi une appendicectomie. Que notre fils avait rejoint une secte et s’était volatilisé.

À mon réveil, j’étais comme un zombie. Le sentiment de détresse qu’exprimaient ces cauchemars me tenaillait. J’avais accepté cette transition, mais je vivais toujours le deuil de mon garçon auquel je n’avais pas eu le temps de faire mes adieux.

Mon fils est une femme! Je me croyais prête à l’accepter, mais l’enjeu a été plus difficile que prévu.

Il fallait que je me rappelle les signes précurseurs qui avaient annoncé ce moment. Bien avant son coming out, notre fils avait rompu avec sa copine qu’il fréquentait depuis quatre ans. Il nous avait avoué être bisexuel et dit vouloir faire le point à ce sujet en explorant son côté féminin. Nous avons alors assisté pendant près d’un an à sa transition vers des vêtements de femmes. Cela nous a permis de nous habituer à l’éclosion de ce nouvel être bisexuel fluide, féminisé, lesbien, un masculin au féminin, une femme.

Le sigle LGBTQ+ n’arrivait même pas à la définir. Elle a dû chercher son identité tous azimuts avant de finalement y parvenir.

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Reportage: les choses sont restées les mêmes avec ma fille transgenre.
PHOTO: RAINA + WILSON

Les choses sont restées les mêmes

Colin est rentré le lendemain de l’appel d’Hannah. Il a pris calmement la nouvelle comme un père aimant qui accepte les faits. Quel frimeur! De mon côté, l’angoisse semblait m’avoir vieillie de 40 ans. J’étais ravagée et négligée. Alors, face à mon impuissance sur les événements, j’ai opté pour une longue douche chaude qui a calmé le jeu.

L’après-midi, Colin et moi préparions des pâtes primavera, son mets préféré, en attendant qu’elle arrive. Nous faisions également la pratique du nouveau genre grammatical. Je répétais des «ma chérie», «ma belle», mais chaque fois que j’essayais de dire «Hannah», ça ne sortait pas clairement, comme si j’avais bu ou pris un somnifère.

C’est alors que la porte d’entrée s’est ouverte soudainement et elle est apparue. Et à mon plus grand bonheur, elle nous était revenue. Le «il» et le «elle» étaient réunis dans un bouquet superbe. On ne nous avait pas trompés. La personne que nous avions tant aimée pendant 25 ans se trouvait là, devant nous. Cela a déclenché une effusion lacrymale généralisée. Pour une fois que je n’étais pas la seule…

Nous nous sommes assis dans la véranda avec un verre de vin pour tout nous dire. Nous avons discuté à fond de la situation, et Colin et moi lui avons posé toutes les questions possibles. On peut parler d’un après-midi particulièrement instructif. Notre but était de respecter notre fille, de mieux la comprendre pour mieux l’accompagner. De son côté, Hannah a fait des efforts majeurs pour transmettre tout ce que son cœur et son âme lui dictaient.

Plus tard, notre conversation s’est portée sur des sujets plus courants comme son travail, sa vie sociale, les derniers films japonais. On avait l’impression que rien n’avait changé. Nous retrouvions notre complicité de toujours. Nous formions à nouveau notre trio fusionnel. Après avoir terminé son repas de prédilection, notre fille chérie nous a quittés et est rentrée chez elle.

Depuis lors, il nous arrive à l’occasion de faire des erreurs de genre qu’elle reprend gentiment. Nous avons confronté l’opinion publique en sortant tous les trois, et les gens se sont montrés très aimables, à l’exception de quelques regards inquisiteurs. Notre fille dit s’y être habituée et les comprendre. C’est bien la preuve qu’elle est beaucoup plus forte que moi!

Affronter sereinement tous les défis

Je me suis aperçue avec le temps que je bloquais toujours sur son prénom. Hannah me semblait joli, mais jamais assez original et intense pour ma fille. Je savais toutefois que je devais fermer les yeux sur ce sujet.

Mais comme en réponse à mon malaise, notre fille nous a expliqué que les gens trans changeaient souvent leur prénom de départ! Et qu’elle y songeait et voulait que nous l’aidions à trouver le plus approprié. Elle a suggéré des prénoms qui rappellent nos origines écossaise et irlandaise. J’étais ravie et me suis mise immédiatement au travail. Quel honneur de pouvoir jouer un tel rôle dans la vie de notre fille! Cela peut sembler naïf de ma part, mais c’était comme si j’assistais à une sorte de renaissance.

Après d’intenses recherches, Colin et moi lui avons suggéré pas moins de 40 prénoms. Elle a opté pour celui, irlandais, de Kinley ou Kin pour les intimes, un prénom qui lui va comme un gant!

Le plus dur est de trouver sa juste place dans la société. Il y a un an, Kinley et moi participions à une fête de quartier. Nous avons croisé une femme et sa fille dans la vingtaine qui lui ont jeté un regard si malveillant et méprisant que j’en suis restée ébranlée.

C’est Kinley qui faisait l’objet de tant de haine! Et la jeune fille, l’air choqué, a crié: «c’est un travesti!» En se rapprochant, sa mère a alors ajouté fielleusement: «mais où est donc ce guignol?»

Ce guignol! Ma fille! J’étais sidérée.

La jeune femme s’est mise à tourner autour de Kinley en la toisant de haut en bas. Nous étions figées par la stupeur. Alors qu’elle s’éloignait, j’ai bondi dans sa direction et ai répété sa manœuvre. J’ai tourné autour d’elle en plongeant mes yeux dans les siens et lui ai aboyé au visage: «Quelle honte!» avant de repartir abruptement.

Tout en reprenant mes esprits, j’ai demandé à Kinley comment elle pouvait accepter une telle injure. Elle m’a répondu qu’elle devait retenir sa colère et qu’elle avait très peur. Peur de vivre, peur d’exister comme son cœur lui dictait.

Je suis rentrée en larmes et ai tout raconté à Colin. Après y avoir réfléchi, je n’ai pu m’empêcher de constater que j’avais été tout aussi agressive que la jeune fille, même si c’était justifié. Je n’étais pas très fière de moi.

J’ai alors décidé de faire imprimer des cartes que je distribuerais si l’occasion se représentait. D’un côté, on y trouvait une jolie fleur rose et de l’autre, la déclaration suivante: «ma fille est transgenre. C’est un être humain débordant de courage et de compassion. Soutenons son combat pour un monde de paix et d’amour où chacun pourra vivre la vie qu’il désire.»

Je me souviens de l’arrivée du paquet. Colin a bien rigolé en apercevant les 250 cartes. «Tu t’attends à ce qu’il y ait de l’action!» J’en avais acheté autant pour profiter d’un meilleur prix à l’unité. Et je suis ravie de ne pas avoir encore eu à m’en servir.

Je vais dorénavant m’occuper de ma belle et courageuse Kinley, ma fille adorée! Le mot «fierté» est loin de représenter toute la force dont elle fait preuve dans son combat. Et notre famille a repris ses vieilles habitudes comme regarder des films ensemble, et les nouvelles comme l’achat de soutiens-gorge.

Il y a quelque temps, Kinley et moi avons décidé de faire une virée dans les boutiques. En sortant de nos salles d’essayage respectives, nous avons éclaté de rire en constatant que nous avions choisi la même robe!

J’en ai acheté deux, une pour moi et l’autre pour elle. Cela m’a semblé être le moyen idéal pour éviter que Kinley ne dévalise ma garde-robe comme le font depuis toujours toutes les filles du monde!

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