Une île mystérieuse promettant un puits au trésor

Pendant 200 ans, l’espoir de découvrir un trésor de pirate enfoui profondément au fond d’un puits, sur la côte de Nouvelle-Écosse, a attiré des aventuriers et des rêveurs du monde entier. Tous en sont revenus bredouilles. L’île aux Chênes est-elle maudite ?

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Une île mystérieuse promettant un puits au trésor

Pas très loin de la côte accidentée du sud de la Nouvelle-Écosse, se trouve une toute petite île dont la forme ressemble à un point d’interrogation. Cette silhouette convient bien à l’île aux Chênes – Oak Island en anglais -, car elle est le théâtre d’une énigme troublante qui défie toute résolution depuis plus de deux siècles. 

Ici, depuis 1795 – peu de temps après l’époque où les pirates rôdaient près de la côte atlantique, laissant derrière eux de fascinantes légendes de trésors enfouis -, une multitude de gens ont tenté de savoir ce qui gît au fond d’une fosse mystérieuse qu’on a surnommée, avec optimisme, le Money Pit (« puits au trésor »).

Armés de pioches et de pelles, de baguettes de sourcier ou d’instruments de forage, les chasseurs de trésor ont englouti – jusqu’en 1965 – plus d’un million et demi de dollars dans le Money Pit.

Malgré plus d’une vingtaine de tentatives, personne n’a jamais réussi à atteindre le fond : chaque fois qu’une équipe de foreurs semblait être sur le point d’y arriver, des torrents d’eau surgissaient dans le conduit, noyant ainsi ses espoirs. Bien que l’on sache aujourd’hui que le Money Pit est protégé par un ingénieux système de canalisations qui utilise la mer comme cerbère, on ignore encore qui a creusé le puits et pour quelle raison.

Selon une légende, il aurait été la cachette des butins du capitaine Kidd, pendu pour piraterie en 1701. D’autres thèses favorisent plutôt ceux de Barbe Noire et Henry Morgan, deux corsaires notoires, ou les bijoux de la couronne française, que Louis XVI et Marie-Antoinette auraient emportés avec eux, dit-on, en tentant de fuir pendant la Révolution française… ou encore les manuscrits perdus de Shakespeare. Peu importe ce que la fosse contient, peu de trésors ont été convoités avec autant d’avidité.

Le long défilé des chercheurs de trésor commence il y a 200 ans, le jour où Daniel McGinnis, 16 ans, un jeune homme de Chester, en Nouvelle-Écosse, pagaya jusqu’à l’île aux Chênes, inhabitée, pour y chasser le gibier. Sur une colline, à une extrémité de l’île, il remarqua une étrange dépression.

Juste au-dessus, il aperçut une vieille poulie de bateau qui pendait au bout d’une grosse branche d’arbre sciée. Le sang de McGinnis ne fit qu’un tour, car dans le port de LaHave, tout près de là, un ancien repaire de pirates qui écumaient les navires de Nouvelle-Angleterre, il avait souvent entendu raconter des légendes de trésors enfouis.

Le lendemain, il revint dans l’île avec deux compagnons, Anthony Vaughan et John Smith, et commença à creuser. Trois mètres plus bas, ils heurtèrent une plateforme de vieux rondins de chêne, puis une autre à six mètres et une troisième à neuf mètres.

Dans l’argile durcie des parois du puits, ils pouvaient encore voir des traces de pioche. Comme le travail devenait de plus en plus dur, ils tentèrent de trouver de l’aide. Mais personne ne voulait s’approcher de l’île aux Chênes.

On racontait qu’elle était hantée par les fantômes de deux pêcheurs qui y avaient disparu en 1720 en enquêtant sur d’étranges lueurs. Les garçons renoncèrent donc provisoirement à leurs recherches.

Plus tard, McGinnis et Smith s’installèrent dans l’île. En 1803, intrigué par leur histoire, un riche Néo-­Écossais, Simeon Lynds, se joignit à eux pour fonder une société. Ils découvrirent d’autres plateformes de chêne calfatées avec de la fibre de noix de coco, du charbon et de la poix, ainsi qu’une pierre sur laquelle étaient gravés de curieux symboles.

À 28 m de profondeur, leur pied-de-biche heurta une masse solide un mètre et demi plus bas. Lynds était convaincu qu’il s’agissait d’un coffre au trésor.

Mais le lendemain, il découvrit avec stupéfaction qu’il y avait 18 m d’eau dans le puits. On y pompa l’eau pendant des semaines, en vain ; le niveau ne bougeait pas. Lynds en conclut que cette eau provenait d’une source souterraine.

L’année suivante, il engagea des mineurs pour creuser un autre puits de 33 m à côté du Money Pit, puis une galerie horizontale dans sa direction. Mais à un mètre du puits, un fort courant d’eau surgit. Les hommes faillirent y laisser leur peau, et le nouveau puits se retrouva rapidement inondé au même niveau que le Money Pit.

Vaincu et presque ruiné, Lynds renonça à sa quête. McGinnis mourut. Mais Vaughan et Smith ne perdirent jamais espoir. En 1849, ils s’attaquèrent une nouvelle fois au Money Pit, avec le soutien d’un consortium de Truro, en Nouvelle-Écosse. Les ­résultats furent spectaculaires.

À 30 m de profondeur, là où le pied-de-biche avait rencontré une masse solide en 1803, le trépan d’une foreuse mue par un cheval (qui prélevait un échantillon de tout ce qu’il traversait) perça une plateforme d’épicéa.

Après avoir traversé un espace vide, elle découpa 10 cm de chêne, 59 cm de pièces de métal, à nouveau 8 cm de chêne et 22 cm de pièces de métal, puis 10 cm de chêne et d’épicéa, puis de l’argile. 

Pour les prospecteurs, cela laissait présager une découverte des plus extraordinaires : une voûte contenant deux coffres, l’un sur l’autre, et chargés de trésors, peut-être des pièces d’or et des bijoux.

De plus, la foreuse avait recueilli quelque chose de très prometteur : trois maillons d’une chaîne en or.

Un deuxième puits de 34 m fut creusé en 1850. Il fut également inondé. Mais cette fois, un des travailleurs tomba dans l’eau et en ressortit en crachant : « C’est de l’eau salée ! » Puis quelqu’un remarqua que le niveau de l’eau montait et descendait dans le puits au rythme de la marée. 

Pour le vénérable Vaughan, cette découverte éveilla un vieux souvenir : des années auparavant, il avait remarqué que de l’eau jaillissait au milieu de la plage de Smith’s Cove, à marée basse – à 158 m du Money Pit.

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Les chasseurs de trésor retournèrent le sable et la roche de la plage à la recherche d’une entrée cachée. Sous le sable, ils découvrirent avec stupéfaction des tonnes de fibre de noix de coco et de zostères par-dessus une chaussée de pierre qui s’étendait sur 47 m, soit la distance entre les laisses de marée haute et de marée basse. En creusant davantage, une autre surprise les attendait : cinq puisards rectangulaires, aux parois recouvertes de galets, qui descendaient à l’oblique de la mer jusque 21 m plus bas puis rejoignaient une canalisation menant au Money Pit.

Ainsi, la plage agissait comme une gigantesque éponge qui absorbait l’eau des marées et la conduisait, par filtration, dans une canalisation.

L’exploration montra ensuite que cette dernière plongeait en ligne droite 21 m plus bas, puis s’incurvait vers un point situé très profondément dans le Money Pit. Elle était remplie de pierres espacées, pour prévenir l’érosion. 

Ce remarquable système de protection n’était pas un obstacle naturel ; c’était l’œuvre d’un génie. En s’approchant de la cache, à 30 m de profondeur, les ouvriers avaient sans le savoir réduit la pression de la terre qui bouchait l’extrémité de la cana­lisation.

Sans se laisser décourager, l’équipe de Truro construisit un batardeau pour retenir l’eau de mer. Mais l’océan le détruisit rapidement. Ensuite, ils tentèrent de creuser une galerie, à 36 m de profondeur, sous le fond du puits. Mais pendant que les travailleurs prenaient un repas, celui-ci s’effondra sur la galerie, et le tout s’enfonça encore plus profondément – dans une mystérieuse cavité. 

Bien que le consortium de Truro ait perdu 40 000 dollars, ses ­découvertes suscitèrent beaucoup d’intérêt pour l’île aux Chênes. Une série d’expéditions coûteuses ­s’ensuivirent, qui jouèrent toutes de malchance. Une équipe renonça après l’explosion d’une pompe à vapeur, qui fit une victime. En 1893, près d’un siècle après le début des fouilles, une nouvelle société fut créée, cette fois par Frederick Blair, un homme d’affaires néo-écossais qui ­allait consacrer près de 60 ans à tenter de résoudre le mystère.

Blair et ses partenaires utilisèrent des foreuses de carottage. À 47 m – la plus grande profondeur jamais atteinte – leur foreuse traversa 18 cm de ciment, 13 cm de chêne, 81 cm de pièces de métal, puis encore du chêne et du ciment. Finalement, à 51 m, elle se heurta à une couche de fer impénétrable.

Selon Blair, cela indiquait la présence d’un coffre au trésor encastré dans du béton primitif, plus grand et plus profondément enfoui que ceux qui avaient été traversés par les foreuses en 1850. Cette fois, en plus de particules d’or, le trépan ramena un petit bout de parchemin portant les lettres « vi », inscrites avec une plume d’oie et de l’encre de Chine, selon une analyse réalisée à Boston. 

« C’est encore plus convaincant que si on avait trouvé quelques doublons, affirma Blair. Il y a un trésor de grande valeur, ou des documents historiques au fond de ce puits. »

Mais le consortium ne les trouva jamais. Après avoir dépensé plus de 100 000 dollars, il fit faillite.

Blair fut seul à continuer. Il fit établir ses droits sur le trésor de l’île pour 40 ans, puis offrit de les céder en échange d’une part de ce qui serait éventuellement trouvé. Le premier preneur fut l’ingénieur Harry Bowdoin, de New York. Sous le regard attentif de plusieurs investisseurs notables – dont un jeune avocat nommé Franklin D. Roosevelt – Bowdoin creusa et fora en 1909, sans résultat. Puis il écrivit un article pour la revue Collier’s, soutenant qu’il n’y avait jamais eu le moindre trésor dans l’île aux Chênes, de toute façon.

Vinrent ensuite plusieurs groupes provenant du Wisconsin, de Rochester, New York, et de Newark, New Jersey. Tous échouèrent. En 1931, William Chappell, de Sydney, en Nouvelle-Écosse, engouffra 30 000 dollars dans le Money Pit. Puis la crise économique l’obligea à abandonner. Chappell fut suivi en 1936 par Gilbert Hedden, un millionnaire du New Jersey, qui dépensa 100 000 dollars de plus. 

Hedden fit installer des lignes électriques sous-marines depuis la côte pour alimenter des pompes à haut débit, et engagea une entreprise minière de Pennsylvanie pour vider le puits de 51 m. Encore une fois, sans résultat.

Après la mort de Blair, en 1951, l’île aux Chênes et les droits sur le trésor furent acquis par le fils de Chappell, Mel, qui avait participé à l’expédition de son père en 1931. Mel dépensa 25 000 dollars pour une excavation, qui se transforma rapidement en un petit lac, puis céda une partie de ses droits à une série de chasseurs de fortune, dont Robert Restall, de ­Hamilton.

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Qu’est-ce qui repose là-dessous ?

Restall, un métallurgiste de 59 ans, quitta son emploi à 150 dollars la semaine en 1959 et s’installa dans l’île aux Chênes avec sa femme, Mildred, et leurs fils, Bobbie et Rickey, âgés de 24 et 14 ans. La famille Restall y a vécu depuis, dans une cabane de deux pièces juste à côté du Money Pit, à présent un cratère effondré rempli de boue et de rondins en putréfaction. Restall réussit à dégager une colonne de foreuse de 47 m qui était restée coincée dans les années 1930. Il ajouta huit trous, de huit mètres de profondeur, dans l’espoir de neutraliser les canalisations souterraines qui avaient fait échouer les recherches précédentes.

Pour financer ses recherches, Restall avait déjà vendu presque la moitié de sa moitié des parts sur le trésor à des amis, ainsi qu’à des étrangers qui lui avaient écrit depuis aussi loin que le Texas, aux États-Unis. En tout, incluant ses économies et cinq ans de travail acharné, Restall calculait que sa quête de l’insaisissable trésor de l’île aux Chênes lui avait coûté presque 100 000 dollars. Et tout ce qu’il y avait gagné, jusque-là, était une pierre olivâtre sur laquelle était gravée la date de 1704, qu’il avait trouvée dans un des trous, et un profond respect pour la personne qui avait conçu le Money Pit. « Cet homme, disait-il, était infiniment plus malin que tous ceux qui sont venus ici depuis. »

Y a-t-il vraiment un trésor au fond du Money Pit ? Comme le disait l’ingénieur pétrolier George Greene en 1955, après avoir foré dans l’île aux Chênes pour un groupe de pétroliers du Texas : « Quelqu’un s’est donné beaucoup de mal pour enterrer quelque chose ici. Et à moins qu’il s’agisse du plus grand farceur de tous les temps, cette chose devait bien valoir ces efforts. »

1965 : La chasse au trésor de l’île aux Chênes de Robert Restall se termina tragiquement, au bout de six ans – quelques mois après la publication du présent article – , quand il fut asphyxié par la fumée en explorant un puits de huit mètres et tomba dans l’eau qui était au fond. 

Son fils Bobbie et deux ouvriers s’y précipitèrent pour lui porter secours. Les trois hommes perdirent conscience et se noyèrent. Cause probable du décès : le monoxyde de carbone provenant des moteurs à essence des pompes à eau.

1971 : Triton Alliance Limited, un consortium de chasse au trésor formé trois années auparavant, creusa un des trous de sonde les plus prometteurs, baptisé 10X, jusqu’à 70 m de profondeur. Une caméra sous-marine rapporta des images grenues d’une cavité creusée dans le roc et, à l’intérieur de celle-ci, une main coupée, un corps et plusieurs coffres au trésor. Enthousiasmé par les prises de vue, Triton organisa 10 expéditions de plongée. Aucun trésor ne fut trouvé.

1983 : Triton Alliance poursuivit en justice un chercheur de trésor obstiné, Fred Nolan, pour contester sa propriété de sept lots et réclamer l’accès à l’unique chemin carrossable de l’île, que Nolan bloquait. Quatre ans plus tard, le tribunal trancha que Nolan pouvait conserver les lots mais lui ordonna d’ouvrir l’accès au chemin. 

Malheureusement, cette bataille juridique coûteuse, ajoutée à la crise boursière de 1987, effraya les investisseurs et mit fin à toute activité autour du Money Pit près d’une décennie.

2014 : Des mordus de chasse au trésor, Rick et Marty Lagina, deux frères originaires du Michigan qui possèdent la plus grande partie des terres entourant le Money Pit, ont inspiré une émission de téléréalité suivant leur tentative d’excaver le secteur. À la fin de cette première saison de The Curse of Oak Island, un travailleur utilisant un détecteur de métal à la fine pointe de la technologie a déterré une pièce de monnaie espagnole du 17e siècle, amenant les frères à croire qu’ils sont tout près du but. Dans la ­deuxième saison (diffusée au Canada sur la chaîne History du 16 novembre 2014 au 18 janvier 2015), après avoir estimé que la pièce de monnaie découverte datait de 1652, les deux frères retournent à Oak Island pour tenter de trouver plus d’indices sur le mystère vieux de 200 ans. L’excavation du Money Pit va bon train au cours de cette saison riche en rebondissements et en découvertes, et qui mènera notamment ses protagonistes jusqu’en Europe. S’il s’achève sur une trouvaille majeure, on ignore toutefois toujours – au moment de mettre sous presse – si le dixième et dernier épisode sera suivi d’une troisième saison.

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