Déjouer la mort, apprivoiser l’amour

Une baignade de fin d’été conduit Sam Paulos à l’hôpital, en lutte pour sa vie. Son alliée la plus fidèle: sa nouvelle petite amie, Gayle.

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Il plongea à environ trois mètres de profondeur, puis grimaça. Son pied gauche avait heurté le fond du lac. Une douleur sourde envahit sa jambe, le genre de douleur diffuse que l’on éprouve quand on saute de trop haut.

Quand il refit surface, un autre cousin, qui était debout sur le quai, s’inquiéta: «Sam, je crois que tu saignes», dit-il. Sam regagna le bord à la nage. Ils regardèrent: il y avait une entaille déchiquetée, de moins de cinq centimètres de long, entre la plante de son pied gauche et le talon. Le cousin, dentiste, trouva des bandages et de la gaze, nettoya puis couvrit la plaie, mais la lacération nécessitait des points de suture. Ils partirent donc pour l’hôpital, à 10 minutes de route.

Quelques années auparavant, Sam avait été victime d’un grave accident de voiture. Dans sa vingtaine, il avait aussi enduré des brûlures au troisième degré sur les mains après un accident en cuisine. De nature résiliente, l’homme resta calme, bien que la douleur empirât. Il était inquiet, contrarié aussi, mais il ne paniquait pas.

L’infirmière de triage lui donna un formulaire, changea son pansement et lui dit qu’il devrait attendre pour voir un médecin. Sam s’assit près d’un homme avec un hameçon dans le pouce et passa le temps en envoyant des textos à sa nouvelle petite amie, Gayle Kosokowsky, une conseillère en vente et marketing de 41 ans.

Ils avaient été présentés six mois plus tôt par un ami en commun. Ce fut le coup de foudre. Sam trouvait les taches de rousseur et les fossettes de Gayle adorables, et il aimait la façon qu’elle avait de toujours sourire. Gayle s’épancha au sujet du beau, grand gars, qui était «très, très gentil», auprès de ses amies. Le lendemain, ils sortirent ensemble!

Gayle allait sortir quand Sam lui envoya: «Pied coupé. En route pour l’hôpital.» Elle sentit l’irritation de Sam dans ce court texto. Il rendait visite à sa famille pendant seulement trois jours et ne voudrait pas perdre une minute en salle d’attente. Mais Gayle ne prit pas la nouvelle trop au sérieux. Sam était comme un enfant: un aventurier, un garçon intrépide qui adorait faire de la moto. Une petite coupure n’était pas un signe alarmant. «Oh, vraiment? Petit garçon dans les bois», répondit-elle.

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Quelques heures après son arrivée à l’hôpital, Sam n’avait toujours pas vu de médecin. La palpitation dans son pied était de plus en plus douloureuse avec chaque minute qui passait, à un point qui lui semblait démesuré pour une telle blessure. Craignant avoir été oublié, il cria pour obtenir de l’aide.

Le docteur lui fit six points de suture et lui donna des antidouleurs, puis l’envoya se reposer. À son retour à l’hôpital pour des radios, le matin du 4 septembre, le lendemain de sa baignade maudite, il se sentait encore plus mal. Il ne pouvait plus du tout s’appuyer sur sa jambe. Le jour d’après, il rentra à Toronto en avion. À l’atterrissage, le personnel de l’aéroport le transporta en fauteuil roulant dans la zone des arrivées, là où Gayle l’attendait.

«On aurait dit un vieil homme, raconte-t-elle. Son visage était gris et fermé.» Ils montèrent dans la voiture. En route vers le loft, Sam s’assoupissait sans arrêt. Gayle était inquiète. Elle suggéra d’aller directement à l’hôpital, mais il refusa. Il venait de passer des heures dans une salle d’attente. Son médecin de famille étant toujours ponctuel, il décida de prendre rendez-vous pour le lendemain. Chez elle, Gayle défit le pansement de Sam et fut horrifiée de voir une blessure qui lui paraissait anormalement enflée. Elle envoya des textos à ses amis dans la profession médicale pour avoir des conseils. Ils lui suggérèrent de surélever le pied pour réduire l’enflure.

Pendant la nuit, Sam vomit et dormit à peine. Au matin, il se sentit perdre connaissance. Il dit à Gayle: «Emmène-moi à l’hôpital, maintenant.» Ils partirent pour le Toronto Western Hospital, où Sam attendit jusqu’à environ 10h15.

Le Dr Eyal Golan, spécialiste en soins intensifs, était de garde. Sam avait eu un choc septique ainsi qu’une défaillance multiviscérale: l’infection avait libéré des toxines dans son système, et son corps s’était mis en mode de survie en envoyant du sang aux organes vitaux. Le médecin lui donna des fluides, le mit sous respirateur et amorça un traitement antibiotique. Il travailla ensuite à établir un diagnostic.

Il suspecta une bactérie mangeuse de chair. Dans de tels cas, chaque heure perdue (jusqu’à six heures) avant le traitement antibiotique approprié augmente le risque de mort de 7,6%. Le Dr Golan ne savait pas depuis combien de temps Sam était dans cet état. Il devait faire vite, mais il fallait d’abord écarter les autres théories avant de couper la jambe d’un homme jeune et autrement sain. Ce pouvait être un cas extrême de cellulite (une infection cutanée commune causée par le streptocoque pyogène et le staphylocoque doré), ou un problème cardiaque bloquant le flux sanguin de la jambe. Mais quand le médecin remarqua la crépitation (des bulles de gaz sous-cutanées, un indicateur de bactéries mangeuses de chair), il confirma alors son diagnostic.

Malheureusement, on ne peut pas inverser les effets de la bactérie mangeuse de chair: le tissu est mort. La première opération est appelée débridement, un découpage agressif du tissu nécrosé. L’équipe de chirurgie plastique ouvrit le pied de Sam, et un liquide nauséabond ressemblant à de l’eau de vaisselle s’écoula. La propagation de la fasciite nécrosante est difficile à suivre, car la pourriture se forme non pas à la surface, mais dans la profondeur des tissus protecteurs et la graisse. Les chirurgiens coupèrent dans la jambe, de plus en plus profondément, jusqu’à ce qu’ils voient du sang – un signe de tissu sain. Ils devaient retirer les parties infectées et rien d’autre: s’ils coupaient trop, la jambe ne vaudrait pas la peine d’être sauvée. Sam était arrivé aux urgences en milieu de matinée.

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À 19h45, Sam était enfin opéré.

Le Dr Jim Brunton, un spécialiste des maladies infectieuses, examina les cultures de sang afin de déterminer quelle bactérie avait provoqué l’infection, afin de réduire la liste d’antibiotiques administrés par le Dr Golan. Les tests révélèrent une forte présence de Aeromonas veronii biovar sobria, que l’on trouve dans les lacs et rivières, et de Clostridium bifermentans, présents dans les sédiments des lacs, le sol et les égouts.
Sept amis proches et membres de la famille de Sam se réunirent dans la salle d’attente. Malgré leur présence, Gayle se sentit seule, isolée. Elle connaissait tout le monde, mais encore bien peu, et était encore en état de choc. En entendant quelqu’un la désigner comme «la fille que Sam fréquente», elle fut au bord des larmes.

Le Dr Golan surveilla la situation de Sam au cours de la nuit afin de détecter d’éventuels signes d’amélioration. Sans résultat. Le matin suivant, quatre jours après la baignade, il était encore sous le même respirateur qu’avant le débridement, signe que les bactéries étaient encore présentes. Un médecin de l’équipe de chirurgie orthopédique vint informer la famille que la jambe devrait être amputée. S’ils attendaient, les bactéries pourraient aller jusqu’à l’aine. Gayle sortit aussitôt et sanglota.

La nouvelle de l’amputation tomba juste avant l’arrivée de la mère de Sam, Maria. Sa fille, la sœur aînée de Sam, était morte d’un mélanome en 1999, et tout le monde souhaitait que les nouvelles soient bonnes à son arrivée. Ce n’était pas le cas. Quand elle sut que son fils perdrait sa jambe, elle se mit à pleurer.

On amputa la jambe de Sam juste au-dessus du genou. Son abdomen était gonflé – une complication appelée syndrome du compartiment abdominal – et sa ventilation devint difficile. Alors que Sam pesait normalement 75 kilos, il avait gonflé à plus de 90 kilos. Le Dr Golan ne pouvait plus attendre. Il convoqua deux équipes de chirurgiens, généraux et vasculaires. Ils cherchèrent des signes de la bactérie mangeuse de chair dans l’abdomen, mais heureusement n’en trouvèrent pas. Les bactéries ne s’étaient pas propagées, tandis que le gonflement et l’infection étaient maîtrisés.

Pendant ce temps, Gayle eut l’occasion de mieux connaître le clan de Sam. Ils voyaient à quel point elle tenait à lui. Les jours se transformant en semaines, Gayle aida la mère de son petit ami à se déplacer. À l’entrée de Sam à l’hôpital, elle était l’inconnue de sa famille élargie; à son réveil, elle était capable de parler de chacun d’eux avec un nombre de détails impressionnant.

Tout le monde n’était pas sous le charme. Un ami de Sam mit Gayle en garde dans un couloir de l’hôpital. Il avait toujours été là pour Sam, et dit à Gayle que si Sam était assez chanceux pour se remettre de la chirurgie, il ne devait pas avoir le cœur brisé. Gayle resta ferme. «Je ne pars pas, lui dit-elle. Sam a perdu sa jambe, il n’a pas changé – c’est la même personne.»

Sam se réveilla le 12 septembre, six jours après avoir été mis sous respirateur artificiel. Il était médicamenté et incapable de parler, mais quand Gayle entra dans la chambre, il se tourna vers elle et sourit.

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Ils adoraient sortir dîner, explorer le quartier de Queen West et se balader au Musée des beaux-arts. Sam pouvait enfin parler. Il décida qu’il était temps d’avoir une conversation sérieuse avec Gayle. «On ne pourra plus faire tout ça, du moins pas de la même façon.» Si elle voulait le quitter, il comprendrait. Gayle refusa même d’y penser.

Après 20 jours en soins intensifs et quatre autres dans le centre orthopédique, Sam quitta l’hôpital. Être en public était particulièrement difficile au quotidien. Il n’avait pas eu le temps de s’habituer à sa nouvelle réalité: son moignon, sa cicatrice montant jusqu’au ventre, et sa masse réduite à 62 kilos. Il fut transféré au centre West Park Healthcare, où Gayle lui rendit visite presque tous les jours de son séjour d’un mois. Le processus de réapprentissage de la marche était pénible, et des douleurs dans son pied fantôme lui donnaient l’impression d’être piégé dans un étau se resserrant lentement. La présence de Gayle soulagea son sentiment de solitude et facilita son rétablissement. Après sa décharge, Sam emménagea avec elle.

Au cours des six mois suivants, il fit des progrès: il marcha avec des rampes, puis une marchette, deux cannes, une canne, puis sans  aucun appui. Avec l’aide de son assurance et de sa famille, il acheta une prothèse de 80 000 $ à la pointe de la technologie, appelée le «Genium».  La jambe comprend un genou mi-croprocesseur, un accéléromètre, un gyroscope et des capacités qui contribuent tous à faciliter  la marche.

Depuis l’accident, il y a deux ans et demi, la relation de Sam et Gayle s’est radicalement transformée. Avant l’incident, tout semblait beau, nouveau et léger. Subitement, ils traversèrent une expérience plus tourmentée que la plupart des couples.

«Cette épreuve a renforcé notre connexion émotionnelle, et nous a sans aucun doute rapprochés. Je suis dévoué à Gayle, complètement, et pour toujours», dit Sam. Ils ne sont pas fiancés, et ne le seront pas – Gayle a été mariée deux fois et a juré de ne pas recommencer -, mais ils sont liés l’un à l’autre de mille autres façons.

Sam doit désormais s’adapter à un rythme plus lent. Il ne peut pas se lever la nuit pour un verre d’eau. Il doit prendre sa douche assis et ne peut pas courir ou conduire une voiture manuelle. Des tâches simples comme visser une ampoule lui prennent plus de temps qu’on ne peut le penser, et il fait très attention à son autre jambe, qui supporte environ 30% plus de poids qu’avant l’accident. Il a dû se faire à l’idée qu’il doit dorénavant compter sur Gayle pour certaines tâches, comme pelleter la neige et rapporter un sapin de Noël à la maison.

Mais d’autres choses n’ont pas changé.

«Gayle ne me traite pas différemment, dit Sam. Au début, quand ma mère était là, elle était toujours très attentive, déplaçant des meubles, restant proche au cas où je trébucherais – ce que j’appréciais. Maintenant, elle se fait moins de souci. Elle me considère comme parfaitement capable de faire la plupart des choses par moi-même. Elle ne me voit pas comme un handicapé. Elle me voit comme moi.»

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