La femme qui ose

Karine Vanasse, c’est l’histoire d’une «petite souris» qui déplace les montagnes

La femme qui ose

«J’avais envie de recommencer à zéro», avoue Karine Vanasse, au retour de son escapade parisienne, à l’été 2010. La première de Polytechnique, en février 2009, l’avait laissée à la croisée des chemins. Elle venait de consacrer quatre années de sa jeune vie à la coproduction d’un film qui faisait peur à tout le monde, et sortait de l’aventure avec beaucoup de questions… et un désir: renaître, jouer!

Son vœu a été exaucé. L’actrice de 27 ans court et crie dans Angle mort, un film à suspense québécois – à l’affiche le 25 février. Elle interprète aussi une femme qui se venge d’une tentative de viol dans In extremis, au Théâtre du Rideau Vert (du 8 février au 12 mars 2011), «un rôle dans lequel Farrah Fawcett a prouvé qu’elle était bien plus qu’une fille aux cheveux qui volent au vent».

C’est que l’enfant chérie du cinéma québécois a grandi, tout comme son désir de prendre encore plus de risques. Pourtant, depuis l’adolescente éperdue d’Emporte-moi, en 1999, elle n’incarne quasiment que des femmes à la vie compliquée, de la reine écervelée à la danseuse nue, avec toujours la même éthique: «Je choisis des personnages à qui je peux offrir quelque chose.»

Karine Vanasse parle beaucoup, se reprend cent fois, superpose les nuances. Elle veut très fort être sincère, sans verser dans l’impudeur. Les idées se bousculent dans sa tête, les mots butent sur ses lèvres… Puis elle sourit, et sa joue se creuse d’une fossette aussi tentatrice qu’une trace de doigt dans une meringue. Et l’on comprend pourquoi les caméras l’aiment tant.

Mélanie Saint-Hilaire: Pourquoi avoir fait le saut à Paris, l’été dernier?
Karine Vanasse: J’avais envie de me faire engager par des gens qui n’ont aucune idée de qui je suis. C’est rassurant de constater que les Français peuvent avoir envie de me découvrir, eux qui ne m’ont pas vue grandir. On souffre tous un jour du syndrome de l’imposteur… Et puis, changer de place permet de dresser un bilan. J’en suis où, moi, dans ma vie? Tout ce que je sais, c’est que j’ai réussi à accomplir des choses que je ne pensais pas faire si tôt.

M. S.-H.: Une carrière européenne vous tenterait?
K. V.: Je n’ai aucune intention de négliger ma carrière au Québec, où j’ai encore de belles choses à vivre. Je rêve de tourner avec François Girard, et aussi avec Denis Villeneuve, qui m’a déjà dirigée dans Polytechnique.

M. S.-H.: Vivez-vous un tournant?
K. V.: Oui. Je deviens adulte! J’ai atteint la majorité depuis longtemps, mais tant qu’on n’assume pas ses propres choix, on ne peut pas revendiquer ce statut. Avant, je vivais les projets des autres. Il me manquait cette assurance qui permet de dire ce que l’on veut vraiment. Maintenant, j’ai moins peur de déplaire.

M. S.-H.: Le goût du danger vous tenaille?
K. V.: Quand ça va bien dans notre vie, c’est le moment de prendre des risques. Pas parce que les autres vous pardonnent plus; parce que nous-mêmes, nous nous pardonnons plus. C’est ce qui me permet d’oser.

M. S.-H.: Avez-vous souffert de grandir sous les projecteurs?
K. V.: Les jeunes acteurs sont tellement exposés aux médias que j’ai vite appris à me protéger. C’est dans mes rôles que je m’exprimais le plus. Dans la vie, j’observais beaucoup avant de m’intégrer à un groupe. Je n’étais pas sauvage, juste un peu solitaire, mais je pense que je m’ouvre un peu. Reste que le moment que je préfère sur un plateau, c’est celui où je peux me cacher dans un coin pour regarder agir les autres.

M. S.-H.: Le succès est-il lourd à porter?
K. V.: Je me suis longtemps sentie coupable de vivre de si belles choses. J’aurais tant voulu que tout le monde autour de moi vive ça aussi! Mes amis, mon frère, ma sœur, mes parents… Puis j’ai compris que si j’avais du mal à me réjouir de mon succès, c’est parce que ce succès ne me comblait pas sur le plan humain. Et c’est bien ainsi. Ce n’est pas pour ça qu’on devient acteur.

M. S.-H.: Avez-vous trouvé difficile de dépasser votre statut d’enfant prodige?
K. V.: Mon adolescence est arrivée sur le tard. Au début de la vingtaine, j’ai eu besoin de me découvrir moi-même et de panser quelques blessures. C’est la raison pour laquelle j’ai un peu disparu à ce moment-là. Je devais régler certaines choses pour que mes illusions de petite fille ne me gênent pas dans mes choix de femme.

M. S.-H.: Qu’est-ce qui vous a aidée à mûrir?
K. V.: La musique. Quand j’ai commencé à suivre mes cours de chant avec mon professeur, il y a environ cinq ans, je me mettais à pleurer dès que j’ouvrais la bouche! Je faisais mes vocalises de peine et de misère, et je n’arrivais pas à répéter seule. Puis on m’a proposé de chanter avec Jonas au Centre Bell. Dès que j’ai accepté, j’ai suivi mon cours avec facilité, et j’ai eu beaucoup de plaisir sur scène. J’ai alors compris que j’avais un problème: si j’ai un projet en vue, tout va bien, mais si je fais quelque chose juste pour moi, je n’y arrive pas. Je m’efforce de changer cela.

M. S.-H.: Le film Polytechnique a été pour vous l’épreuve du feu.
K. V.: J’ai eu beaucoup plus peur des répercussions éventuelles de ce film que j’ai bien voulu me l’avouer. Pendant la première, au cinéma Impérial, à Montréal, j’ai entendu un gros bruit. J’étais sûre que quelqu’un entrait pour tirer dans la salle. Inconsciemment, je me préparais au pire. Ce n’est que quand le film est sorti et qu’il a été bien accueilli que j’ai pu souffler un peu.

M. S.-H.: Pourquoi ne pas avoir choisi une gentille histoire d’amour pour votre première expérience de productrice?
K. V.: J’avais 21 ans quand je me suis lancée dans ce projet. L’âge des filles assassinées à Polytechnique… Peut-être qu’à 40 ans je n’aurais pas osé. Au début, j’ai voulu montrer que j’étais capable de choses sérieuses. Puis, en rencontrant les gens, ce désir a été remplacé par l’envie d’accomplir quelque chose de noble, à la hauteur des témoignages sur la tuerie. Le film est bien passé parce qu’il ne voulait impressionner personne.
 
M. S.-H.: Il vous a aussi permis de mieux connaître Maxime Rémillard, copropriétaire de la société de divertissement Remstar (Canal V).
K. V.: C’est grâce à lui que j’ai pu faire Polytechnique. Bien des producteurs m’avaient conseillé de ne pas toucher à ça; lui n’a eu aucune hésitation. Nous sommes tombés amoureux. Maxime est devenu un vrai partenaire pour moi. Il m’impressionne par sa faculté à mener à bien de gros projets; il reste calme, même dans les situations les plus tendues.

M. S.-H.: Pensez-vous fonder une famille un jour?
K. V.: Je tiens plus que tout à avoir des enfants. Même si je ne comprends pas comment les actrices s’organisent quand elles deviennent mères! Si j’avais eu un bébé, je n’aurais pas pu partir six mois cette année, et j’ignore si j’aurais eu envie de jouer au théâtre le soir. Je ne sais tellement pas ce qui m’attend avec la maternité qu’il m’arrive de penser à ce que je veux faire avant d’avoir des enfants, plutôt qu’avant de mourir. Ce n’est pas que je voie la maternité comme une petite mort! [Rires.] C’est beau, ce qui commence, mais ça change une vie.

M. S.-H.: Que répondez-vous à ceux qui disent que vous devez votre carrière à la chance?
K. V.: C’est bien beau d’avoir de la chance, encore faut-il avoir quelque chose à lui offrir. Mes projets ont été couronnés de succès parce que j’y ai mis toute mon énergie.

M. S.-H.: La conseillère en finances Carole Morinville, arrêtée en novembre dernier pour fraude, vous a escroqué 125 000$. Que retenez-vous de cette mésaventure?
K. V.: Une bonne leçon de vie. La confiance est un noble sentiment, mais il ne faut pas que ce soit un prétexte pour se débarrasser de la gestion de ses propres affaires. Cette femme était une figure maternelle pour moi. Jusqu’à la dernière minute, elle a réussi à me rassurer. Quand la vérité a éclaté, je me suis sentie stupide. Pourquoi avais-je besoin à ce point de me fier à quelqu’un? Mais je ne veux pas me juger. Les arnaqueurs sont des menteurs professionnels. Ils sont comme ces pédophiles qui attirent les enfants dans leur toile en se faisant aimer d’eux.

M. S.-H.: Vous avez souvent joué les victimes à l’écran…
K. V.: Le réalisateur français Frédéric Schoendoerffer m’a donné un surnom l’été dernier: «la petite souris». Il disait que ça le fascinait de voir mes yeux bruns bouger sans arrêt à la recherche d’une porte de sortie. Je n’ai pourtant pas l’impression d’être un animal traqué! Si je joue souvent des filles plongées dans des situations difficiles, c’est surtout pour voir comment elles s’en sortent. Le tournage d’Emporte-moi m’a confrontée jeune à la réalité. Pour une adolescente de 14 ans, élevée à Drummondville, tourner dans une vraie maison close où défilent des prostituées, ça secoue.

M. S.-H.: Mettre votre image au service d’une cause ne vous tente pas?
K. V.: C’est bien de se servir de sa notoriété pour s’impliquer, mais il faut y croire vraiment. J’ai déjà participé à une randonnée humanitaire au Népal et j’ai été déçue. Pour donner de façon sincère, il faut savoir ce qu’on a à offrir et pourquoi on veut l’offrir. De préférence, il faut s’engager à long terme. La réalisatrice Anaïs Barbeau-Lavalette le fait de façon admirable. Elle travaille depuis des années comme bénévole auprès du pédiatre social Gilles Julien, ce qui lui a inspiré des œuvres comme Le ring. Je lui lève mon chapeau, mon foulard et mes gants…

M. S.-H.: Êtes-vous aussi sage et sérieuse que votre réputation le veut?
K. V.: Je suis plus folle qu’on ne pense! Malgré mon côté «bonne élève», j’ai vite appris à mettre un peu de légèreté dans ma vie. J’ai récemment participé à l’émission de variétés Dieu merci! Avant, je n’aurais jamais osé; j’aurais eu peur de ne pas faire un parcours sans faute. Là, je me dis que, si je me trompe, les gens vont comprendre.

M. S.-H.: Vous arrive-t-il de faire des choses bizarres?
K. V.: J’adore me promener dans les cimetières. Pour moi, ce n’est pas macabre; ça me ressource, au contraire. J’en reviens toujours apaisée.

M. S.-H.: Que voulez-vous accomplir avant de mourir?
K. V.: J’aimerais chanter. Je suis fan de musique folk… Vais-je le faire un jour? Je ne sais pas. Quelque chose là-dedans me fait peur, qu’il faut que j’apprivoise. J’essaie de suivre un fil conducteur, et j’espère qu’à la fin de mes jours je verrai une cohérence dans mon parcours.

M. S.-H.: Après tant de drames, vous verra-t-on un jour rire à l’écran?
K. V.: L’an dernier, j’ai tourné French Immersion, une comédie sur l’immersion d’anglophones qui doivent passer l’été au Québec. J’y joue une enseignante de français un peu fleur bleue. Le réalisateur riait plus fort que tout le monde pendant les scènes. Ça m’a fait un bien fou!