La magie du photographe Yousuf Karsh

Le Musée des beaux-arts de Montréal* consacre une exposition à Yousuf Karsh, peut-être le plus grand portraitiste du XXe siècle. Peu de gens savent que cet immense photographe, reconnu dans le monde entier, a fait ses premières armes à Sherbrooke.

La magie du photographe Yousuf Karsh.Olga Popova/Shutterstock.com
Halifax, 1er janvier 1924. Yousuf Karsh descend seul la passerelle du SS Canada. À 16 ans à peine, le jeune Arménien a dû fuir son pays et les persécutions turques, laissant derrière lui sa famille. Son oncle, Georges Nakash, est là qui l’attend pour le conduire à Sherbrooke, où il exerce le métier de photographe. Dans le train qui les ramène au Québec, le jeune Yousuf Karsh découvre les paysages de neige pour la première fois de sa vie, et qui sait si cette féerie en noir et blanc ne va pas le marquer à jamais, lui qui va devenir un des plus grands photographes du XXe siècle.

À Sherbrooke, Georges l’initie à son métier de photographe, et le talent de son neveu s’affirme bien vite. En 1928, le jeune Arménien part à Boston étudier avec John Garo, un portraitiste de renom. C’est là que, plongé dans le foisonnement de la scène artistique et politique bostonienne, et sous la férule du maître, Yousuf Karsh va façonner son approche si particulière, tant sur le plan technique que psychologique. «Il y a un bref moment où tout ce qui habite l’âme, l’esprit, la pensée d’un homme se reflète dans ses yeux, ses mains, sa posture, se plaisait-il à dire. C’est le moment à capter.»

N’eût été sa grande modestie, il aurait pu ajouter qu’il faut aussi un talent fou et une capacité unique à entrer en communion avec l’autre. « Les sujets de Yousuf se sentaient liés à lui, raconte Jerry Fielder, le directeur de la Estate of Yousuf Karsh, qui a eu le bonheur de travailler avec lui. Ils percevaient rapidement son authenticité et son talent. Leur manière d’y répon­dre, si intime, s’exprime dans les portraits de cette exposition révélatrice.»

Fidèle à cette approche, il va réaliser le portrait qui va propulser sa carrière. Nous sommes en 1941, à Ottawa, où Yousuf Karsh s’est établi à son retour de Boston. La guerre fait rage en Europe et le portraitiste de 33 ans à peine s’apprête à photographier un Winston Churchill… d’humeur massacrante. Et qui refuse bien sûr de lâcher son légendaire cigare lorsque Yousuf Karsh l’y invite. Laissons ce dernier nous décrire la scène :

«Je suis retourné à mon appareil photo, j’ai vérifié que tout était en place. Puis, sans préméditation aucune, mais avec infiniment de respect, je me suis approché de nouveau et j’ai retiré le cigare de sa bouche. Le temps que je refranchisse les quatre pieds qui me séparaient de mon appareil photo, il avait pris un air si belliqueux, j’ai cru qu’il allait me massacrer. Mais l’instant d’après, il s’est fendu d’un large sourire et a ajouté: “Vous pouvez en prendre une autre.” Cette fois, il s’est redressé et a pris un air très bienveillant, très doux. Et j’ai capté la deuxième photographie. Il a marché vers moi, m’a tendu la main et a dit : “Vous êtes même capable de faire prendre la pose à un fauve.”»

La suite appartient à l’histoire.

Quelques citation de Yousuf Karsh:

«Gratien Gélinas incarnait pour moi le clown rieur, celui qui masque son angoisse secrète derrière un sourire maquillé. Il est, sans aucun doute, le plus drôle des comédiens qui aient monté sur scène, au Québec, et on pourrait aller jusqu’à le comparer à Charlie Chaplin.»

«Quand j’ai photographié Glenn Gould à sa maison de Toronto, en 1957, il a joué du piano du début à la fin. La musique, Bach et Alban Berg, était tellement envoûtante que j’en ai oublié l’obturateur et l’éclairage.»

«Quand j’ai photographié le premier ministre Pierre Elliott Trudeau, peu après son entrée en fonction en 1968, les électeurs avaient déjà vu en lui une figure imposante et charismatique – mais polémique, pas encore.»

«En rencontrant [Ernest Hemingway], je m’attendais à me retrouver face à l’amalgame de ses héros. Au contraire, en 1957 […], j’ai découvert un homme particulièrement doux, le plus timide qu’il m’ait été donné de photographier.»

*L’univers de Yousuf Karsh: l’essence du sujet sera au Musée des Beaux-Arts de Montréal jusqu’au 30 janvier 2022.

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Contenu original Selection du Reader’s Digest